12.29.2004

La légende noire de l'Opus Dei

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 29.12.04

On l'appelle la « secte », la « pieuvre », la « milice », la « garde blanche »... Que Dan Brown ait puisé dans l'Opus Dei matière à intrigue n'a étonné aucun lecteur averti, ni aucun des membres d'une OEuvre lasse de prêter son nom aux stéréotypes les plus éculés. Depuis sa création en 1928 par un prêtre espagnol, Jose Maria Escriva, canonisé en 2002 par Jean Paul II, le filon de l'« Opus Dei-société-secrète » ne s'est jamais épuisé. L'organisation est pourtant présente dans les cinq continents (86 000 membres). Elle a la caution du pape, qui l'a érigée, en 1982, en « prélature personnelle », un statut sur mesure mais prévu par le droit de l'Eglise. Malgré cela, l'Opus Dei vit et prospère, depuis soixante-dix ans, avec cette sulfureuse réputation.
Péché de jeunesse ? Dans l'Espagne ultracléricale d'avant Franco, la jeune Opus Dei - société de « laïcs » appelés à exercer leur « apostolat » dans le monde et leur vie quotidienne - suscite la plus extrême méfiance. Que les membres de l'Obra soient des « laïcs », ne portant sur eux aucun signe religieux distinctif, se lient par un voeu d'obéissance et choisissent (pour quelques-uns) la vie communautaire, est alors tellement original et subversif que l'Opus Dei va exciter pour longtemps les imaginations, aiguiser les controverses et les oppositions. Pendant la guerre civile, à Barcelone, la Phalange franquiste brûle les livres du fondateur.
L'Opus Dei touche en Espagne des ingénieurs, des médecins, des professeurs, des fonctionnaires, etc. Et c'est un autre procès de « conspiration » qui surgit : l'Obra cherche à infiltrer les milieux intellectuels, politiques, économiques, à « noyauter » tous les cercles d'affaires et de pouvoir. Ajoutons l'obstination qu'a mise Jose Maria Escriva à ses débuts pour faire reconnaître son oeuvre par le Vatican de Pie XII (1939-1958), et tous les ingrédients du « mystère » sont réunis : l'Opus Dei est une société secrète et élitiste, soumise au Vatican, haut lieu de toutes les intrigues et richesses. Depuis le XVIe siècle, les jésuites sont poursuivis par cette même légende noire.
Les associations antisectes ont décrit l'Opus comme une société occulte, militairement hiérarchisée, sous le joug de son gourou (le « fondateur », le « prélat »). Selon cette légende noire, l'aspirant devrait passer par un rituel initiatique, s'engager à tenir secrètes les règles de l'organisation, couper ses liens avec son environnement amical et familial. L'intransigeance dans la foi catholique se doublerait d'une discipline de fer. Le « surnuméraire » ou « numéraire » s'infligerait des pénitences sévères : jeûnes, mortification, autoflagellation, port du cilice comme le fait l'assassin Silas dans Da Vinci Code.
L'OEuvre passe aussi pour très riche. Elle brasse des affaires, érige des sanctuaires, des collèges, des universités, en Espagne, en Amérique latine, en Asie, etc. Son pouvoir n'aurait plus de limite. Les « opusiens » auraient infiltré l'appareil d'Etat en Espagne, l'armée, les banques, l'industrie, la presse. Ils auraient manipulé le pape qui ne leur ménage aucune faveur, pris le pouvoir au sommet de la hiérarchie catholique. Dans la perspective du conclave qui élira le successeur de Jean Paul II, la presse vaticaniste compte déjà les cardinaux qui lui sont le plus favorables.
La réalité est plus décevante. Les hommes et femmes engagés dans l'Opus le sont par libre consentement. Jamais les associations anti-sectes n'ont réussi à la faire figurer dans leurs « listes noires ». L'OEuvre a une stratégie d'expansion dans l'Eglise, mais compte peu d'évêques membres en exercice ou de cardinaux à la Curie. Dans la politique, elle traîne comme un péché historique la participation de sept hauts fonctionnaires, membres déclarés de l'Opus Dei, dans des gouvernements franquistes de 1957 à 1972. Mais pour le reste, que d'excès ! C'est faire beaucoup d'honneur à ses services de communication que de les confondre avec des agences d'infiltration des médias rappelant la période soviétique.
Cette légende noire, c'est l'Opus Dei elle-même qui l'a créée, par la liberté laissée à ses membres. Tout membre en effet est libre de sa participation à un mouvement politique ou à une association. L'Opus Dei n'est-elle donc qu'une oeuvre de perfectionnement individuel, de formation doctrinale au service de Dieu et de l'Eglise ? Ou une entreprise d'infiltration, à des fins de pouvoir et d'enrichissement, de tel parti, telle entreprise, tel gouvernement ? La réponse n'est ni dans la culture du secret ni dans la propagation d'erreurs, qui, même répétées cent fois, n'ont jamais fait une vérité.
Henri Tincq
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