9.12.2008

L'attente soulevée par le voyage de Benoît XVI

Par Thierry Boutet et Philippe de Saint-Germain
Le Figaro


Les auteurs, respectivement président du conseil éditorial de la revue Liberté politique et délégué général de la Fondation de Service politique, décryptent la situation paradoxale de l'Église catholique en France, notamment depuis le discours de Nicolas Sarkozy au Latran, en décembre dernier.

Dans quelques jours, Benoît XVI sera à Paris et à Lourdes. L'Église de France l'attend avec une impatience mêlée d'appréhension. Entre Rome et Paris, les relations ne sont pas simples. Avec le temps, la «question religieuse» a paru une question réglée, grâce à une pratique apaisée de la laïcité. Mais l'effet conjuguéde l'ignorance religieuse et du relativisme de la pensée a changé la donne, accusant les faiblesses du modèle laïque «à la française». Ces faiblesses, Nicolas Sarkozy a osé les affronter. Son discours au Latran, le 20 décembre dernier, a suscité stupeur et indignation. En affirmant que la République n'a pas vocation à donner un sens à la vie, Nicolas Sarkozy a eu le mérite de sortir du non-dit et de relancer le débat, y compris dans l'Église. L'initiative en effet n'a pas suscité une vague d'enthousiasme dans les rangs ecclésiastiques. Le statu quo allait-il être remis en cause ?

Le 11 juillet, à Rome, le cardinal Tarcisio Bertone saisissait la balle au bond, estimant que «certains éléments font espérer une évolution de cette laïcité rigide qui fit de la France de la IIIe République un modèle de comportement antireligieux». Le message est peut-être aussi un appel déguisé aux autorités de l'Église de France pour faire évoluer leur modèle de relations avec les institutions civiles. Autrement dit : l'Église doit être capable, elle aussi, de tenir le discours de la rupture.

Pour prendre la question d'un peu plus loin, il faut revenir au concile Vatican II, et mettre en lumière la question de la place des catholiques dans la société. Pour les fidèles laïcs, cela signifie cohérence de vie entre sa foi et ses engagements, et présence des chrétiens dans tous les secteurs de la vie sociale, en particulier la politique, «forme éminente de la charité». La contrepartie de cette exigence est double : le droit à la liberté religieuse, rappelé vigoureusement, et la liberté d'action des catholiques dans le champ propre de leurs responsabilités.

Cet appel a été partiellement subverti en France. La promotion du laïcat s'est davantage traduite par une cléricalisation des laïcs, assignés à des missions ecclésiales. De leur côté, les clercs se laïcisaient, tentés par les affaires du monde, en socialisant le message de l'Évangile.

L'appel au renouveau du concile a néanmoins inspiré de nombreuses initiatives : œuvres sociales (coopération, aide aux futures mères), culturelles (médias), éducatives (écoles et facultés libres, centres de recherche, scoutisme), fraternités de prière (communautés charismatiques). Ces initiatives courageuses ont jailli le plus souvent sous l'impulsion de laïcs, hors des sentiers balisés de l'institution.

Après avoir tenté de contenir cette créativité débordante, et parfois avec le légitime souci d'une saine prudence, les évêques de France ont suivi le mouvement. Face à l'assèchement des structures historiques et la chute des vocations, et sous l'influence de l'anticonformiste pape Jean-Paul II, ils ont pour la plupart accepté ces œuvres nouvelles sur la base d'une forme de compromis : oui à la nouveauté, mais sous réserve d'un alignement sur leurs orientations pastorales.

D'où encore un certain hiatus entre la hiérarchie, marquée par la culture du consensus, et les fidèles. Ceux qui prennent la parole au nom de leur foi, même sans chercher à engager l'Église, incommodent les autorités qui privilégient le dialogue avec les institutions plutôt que la défense des valeurs. Les chrétiens qui agissent pour le respect de la vie humaine ne sont guère soutenus ; ceux qui ne veulent pas se contenter du contingentement de l'enseignement catholique à 20 % des effectifs importunent.

Les évêques qui les soutiennent sont de plus en plus nombreux, mais encore minoritaires. Car depuis longtemps, l'Église de France a assis ses bonnes relations avec l'État sur une grande discrétion sur les sujets qui fâchent. En pratique, tout se passe comme si l'on avait accepté que le religieux se laisse enfermer par le politique dans le seul espace qui lui est consenti : celui d'une opinion sous tutelle de la laïcité. Cet embarras procède d'une ligne pastorale défensive, qu'on ne trouve pas en Italie ou en Espagne, par exemple.

Cette conception de la présence des chrétiens dans le monde n'est pas celle de Benoît XVI, qui a toujours considéré la liberté de l'Église et des baptisés comme un signe des temps : «La responsabilité des chrétiens pour obtenir la paix et la justice, leur engagement irrévocable à construire le bien commun, est inséparable de leur mission de proclamerle don de la vie éternelle à laquelle Dieu a appelé tout homme et toute femme», a-t-il rappelé devant les membres de l'Académie pontifical des sciences sociales le 3 mai dernier.
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