Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, défend l'héritage juif de l'Europe
LE MONDE | 14.01.05 | 14h20
Pour la première fois, un haut représentant de l'Eglise catholique, le cardinal Jean-Marie Lustiger, a participé à l'assemblée générale du Congrès juif mondial (CJM), qui vient de se tenir à Bruxelles. Dimanche 9 janvier, il s'est adressé à plus de quatre cents représentants de communautés juives du monde entier (Ukraine, Russie, Argentine, Chili, Etats-Unis, etc.). Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Serge Klarsfeld et le rabbin Michel Serfaty étaient présents.
Dans son discours, qui fera l'objet d'une publication intégrale par le CRIF, Mgr Lustiger a salué la présence permanente du judaïsme dans l'histoire de l'Europe : "Toujours en marge, mais jamais loin du centre, le plus souvent persécuté et menacé de destruction, mais jamais vraiment disparu".
"On peut dire sans exagération, a-t-il ajouté, que la conscience européenne a été profondément et intimement marquée par la présence des juifs." Citant Karl Marx et Sigmund Freud, l'archevêque de Paris fait observer que, "participant à l'édification de la culture occidentale, certains d'entre eux revendiquaient, d'autres contestaient leur identité et, parfois, les sources juives de leur pensée".
Pour le cardinal Lustiger - qui représentera le pape le 27 janvier pour la commémoration de la libération du camp d'Auschwitz, il y a soixante ans - l'extermination des juifs a été une perte irréparable pour les cultures nationales d'Europe : "Que l'on pense à la Pologne, la Roumanie, la Lituanie, l'Allemagne, l'Autriche et tant d'autres nations. Perte irréparable pour l'identité européenne que nous tentons de "rattraper" depuis un demi-siècle ! C'est aux Etats-Unis ou en Israël que les rescapés de ce naufrage européen ont été recueillis, apportant leur potentiel culturel et religieux à la civilisation de ces nouveaux mondes."
"Comment l'Europe pourrait-elle penser son avenir si elle méconnaissait la part de sa culture dont elle est redevable à la présence des juifs en son sein ?", s'est interrogé Mgr Lustiger devant le Congrès juif. Selon lui, l'idée de "repentance", voire de "réparation", gagne du terrain. Il rappelle l'engagement personnel, "tenace et vigoureux", du pape en vue de la "purification de la mémoire" de peuples hier en guerre dans des conflits inexpiables.
Il dénonce la résurgence de l'antisémitisme en Europe. "Certes, elle est liée, affirme-t-il, à des circonstances politiques précises où, dans certains pays, interviennent comme éléments provocateurs l'immigration d'origine musulmane et les conflits avec les pays arabes." Mais les manifestations antisémites, en France par exemple, n'ont, selon lui, ni les mêmes causes ni les mêmes effets qu'en Pologne, en Allemagne, en Russie ou dans les pays d'Europe centrale. Juifs et chrétiens européens sont invités à collaborer pour montrer "le caractère factice et destructeur de cet antisémitisme et lui enlever toute légitimité sociale".
L'archevêque de Paris se dit convaincu des fruits du dialogue entre juifs et catholiques ouvert au concile Vatican II (1962-1965). "Un travail positif, poursuivi en commun par des croyants, chrétiens et juifs, est possible aujourd'hui, observe-t-il. Il peut et doit se fonder sur les exigences de la Révélation que nous recevons de la Bible." Il doit porter sur "les enjeux moraux de notre civilisation, pays par pays, culture par culture, tenant compte des histoires particulières". Il "atteste" que l'Eglise catholique est prête à cette collaboration.
"La confiance et le respect nous donnent la chance unique, a-t-il conclu, de poursuivre un travail de réflexion et d'action pour une vision commune de l'homme, qui rende à l'Europe conscience des sources morales et spirituelles de sa civilisation (...). Je considère qu'il s'agit là d'un travail en profondeur, à l'abri des remous et des péripéties médiatiques que provoquent les manifestations antisémites dont le bruit vise à augmenter le crédit."
Quelques jours avant ce discours, on apprenait que Mgr Lustiger avait formé une équipe de dix prêtres parisiens pour entretenir des relations suivies avec une dizaine de représentants du rabbinat français.
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.01.05
Pour la première fois, un haut représentant de l'Eglise catholique, le cardinal Jean-Marie Lustiger, a participé à l'assemblée générale du Congrès juif mondial (CJM), qui vient de se tenir à Bruxelles. Dimanche 9 janvier, il s'est adressé à plus de quatre cents représentants de communautés juives du monde entier (Ukraine, Russie, Argentine, Chili, Etats-Unis, etc.). Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Serge Klarsfeld et le rabbin Michel Serfaty étaient présents.
Dans son discours, qui fera l'objet d'une publication intégrale par le CRIF, Mgr Lustiger a salué la présence permanente du judaïsme dans l'histoire de l'Europe : "Toujours en marge, mais jamais loin du centre, le plus souvent persécuté et menacé de destruction, mais jamais vraiment disparu".
"On peut dire sans exagération, a-t-il ajouté, que la conscience européenne a été profondément et intimement marquée par la présence des juifs." Citant Karl Marx et Sigmund Freud, l'archevêque de Paris fait observer que, "participant à l'édification de la culture occidentale, certains d'entre eux revendiquaient, d'autres contestaient leur identité et, parfois, les sources juives de leur pensée".
Pour le cardinal Lustiger - qui représentera le pape le 27 janvier pour la commémoration de la libération du camp d'Auschwitz, il y a soixante ans - l'extermination des juifs a été une perte irréparable pour les cultures nationales d'Europe : "Que l'on pense à la Pologne, la Roumanie, la Lituanie, l'Allemagne, l'Autriche et tant d'autres nations. Perte irréparable pour l'identité européenne que nous tentons de "rattraper" depuis un demi-siècle ! C'est aux Etats-Unis ou en Israël que les rescapés de ce naufrage européen ont été recueillis, apportant leur potentiel culturel et religieux à la civilisation de ces nouveaux mondes."
"Comment l'Europe pourrait-elle penser son avenir si elle méconnaissait la part de sa culture dont elle est redevable à la présence des juifs en son sein ?", s'est interrogé Mgr Lustiger devant le Congrès juif. Selon lui, l'idée de "repentance", voire de "réparation", gagne du terrain. Il rappelle l'engagement personnel, "tenace et vigoureux", du pape en vue de la "purification de la mémoire" de peuples hier en guerre dans des conflits inexpiables.
Il dénonce la résurgence de l'antisémitisme en Europe. "Certes, elle est liée, affirme-t-il, à des circonstances politiques précises où, dans certains pays, interviennent comme éléments provocateurs l'immigration d'origine musulmane et les conflits avec les pays arabes." Mais les manifestations antisémites, en France par exemple, n'ont, selon lui, ni les mêmes causes ni les mêmes effets qu'en Pologne, en Allemagne, en Russie ou dans les pays d'Europe centrale. Juifs et chrétiens européens sont invités à collaborer pour montrer "le caractère factice et destructeur de cet antisémitisme et lui enlever toute légitimité sociale".
L'archevêque de Paris se dit convaincu des fruits du dialogue entre juifs et catholiques ouvert au concile Vatican II (1962-1965). "Un travail positif, poursuivi en commun par des croyants, chrétiens et juifs, est possible aujourd'hui, observe-t-il. Il peut et doit se fonder sur les exigences de la Révélation que nous recevons de la Bible." Il doit porter sur "les enjeux moraux de notre civilisation, pays par pays, culture par culture, tenant compte des histoires particulières". Il "atteste" que l'Eglise catholique est prête à cette collaboration.
"La confiance et le respect nous donnent la chance unique, a-t-il conclu, de poursuivre un travail de réflexion et d'action pour une vision commune de l'homme, qui rende à l'Europe conscience des sources morales et spirituelles de sa civilisation (...). Je considère qu'il s'agit là d'un travail en profondeur, à l'abri des remous et des péripéties médiatiques que provoquent les manifestations antisémites dont le bruit vise à augmenter le crédit."
Quelques jours avant ce discours, on apprenait que Mgr Lustiger avait formé une équipe de dix prêtres parisiens pour entretenir des relations suivies avec une dizaine de représentants du rabbinat français.
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.01.05
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