« Aucun gouvernement n’est indifférent à la parole du pape et à ses prises de position »
Entretien avec J.M. Coulet, directeur de l’Osservatore Romano en langue française
CITE DU VATICAN, Mercredi 12 janvier 2005 (ZENIT.org) - Dans le discours qu’il a adressé lundi dernier aux membres du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège Jean-Paul II a présenté les quatre principaux défis de l’humanité aujourd’hui : la vie, le pain, la paix et la liberté.
Pour mieux comprendre les caractéristiques et la portée de la diplomatie de Jean-Paul II, Zenit a rencontré Jean-Michel Coulet, directeur de l’Osservatore Romano en langue française, co-auteur avec entre autres les cardinaux Angelo Sodano, secrétaire d’Etat du Vatican, et Jean-Louis Tauran, ancien secrétaire pour les rapports avec les Etats du Vatican, de « La diplomatie de Jean-Paul II » ouvrage publié aux éditions du Cerf en l’an 2000 (cf. www.editionsducerf.fr).
Zenit : Les quatre défis soulevés par le pape dans son discours sont-ils des constantes de la diplomatie de Jean-Paul II ?
J. M. Coulet : En effet, les quatre défis soulevés par Jean-Paul II sont des constantes, l’on pourrait même dire les piliers de la diplomatie pontificale aujourd’hui et même de son magistère depuis son élection. On retrouve ces leitmotive dans les grandes encycliques qui ont jalonné le pontificat, Evangelium vitae, Sollicitudo rei socialis, Redemptor hominis… mais également dans tous ses discours au Vatican ou lors de ses voyages. Ces maîtres-mots sont à la base de toutes les actions des diplomates du Saint-Siège dans le monde.
Quant à la diplomatie pontificale elle fait confiance au droit international en constante évolution et participe à son élaboration (par exemple les nouveaux concepts de droit d’intervention humanitaire, ou de droit des minorités). Force est d’admettre que le pape se bat sur tous les fronts : la défense de la vie et le combat contre la faim, notamment au sein des organisations internationales mais aussi régionales, la paix et la liberté, dans les relations bilatérales avec les Etats… N’oublions pas que Jean-Paul II entretient des relations diplomatiques avec 178 Etats !
Il est convaincu qu’une application rigoureuse du droit permettrait d’éviter que les plus faibles soient victimes de la violence des plus forts. « La force de la loi, dit-il, doit prévaloir sur la loi de la force ».
Zenit : Dans son discours le pape dit que pour promouvoir la paix il est fréquemment intervenu personnellement et par l’intermédiaire de la diplomatie vaticane. Quels sont selon vous les plus grands succès remportés par le Saint-Siège dans ce domaine et peut-être aussi les échecs ?
J. M. Coulet : Incontestablement le plus grand « succès » remporté par Jean-Paul II est le fruit de son Ostpolitik ou de sa diplomatie à l’Est dans les années 80. La fin de la guerre froide avec la chute du mur de Berlin était un grand cheval de bataille de Jean-Paul II. Pour lui, le fondement des droits de l’homme résidait dans la reconnaissance par les Etats souverains d’une liberté qui est la liberté religieuse entendue comme la base de tous les droits.
L’on peut aussi citer le succès de la médiation papale pour résoudre le différend qui opposait l’Argentine au Chili au sujet de la zone australe.
Toutefois une guerre qui éclate malgré les appels répétés du pape est toujours perçue comme un échec ; mais ce dernier ne s’avoue jamais vaincu et répète inlassablement, à temps et à contre temps, comme il l’avait fait pour le conflit du golfe en 91 que « la guerre est une aventure sans retour », ou au Kosovo « qu’il n’est jamais trop tard pour négocier ». Jean-Paul II utilise tous les canaux diplomatiques, que se soit à travers les relations bilatérales, comme au sein des organisations internationales, telles que l’ONU ou ses institutions spécialisées. Il ne connaît pas de répit ! On se rappellera qu’à la veille du conflit en Irak, il avait joué les cartes de la dernière chance en envoyant deux émissaires auprès des deux parties…
Zenit : Avez-vous le sentiment que les appels du pape soient entendus des chefs de gouvernement à travers le monde ?
J. M. Coulet : Ses appels ne restent jamais lettre morte car ils interpellent non seulement les politiques, mais aussi la presse qui sert de relais auprès de l’opinion publique. En fin stratège, Jean-Paul II a toujours su se servir des moyens de communication pour faire passer des messages ou lancer des appels. Il sait que les gouvernements sont extrêmement attentifs à l’opinion publique qui est souvent spontanée. Il fait usage de la démocratie, qui selon l’enseignement social de l’Eglise, signifie participation des citoyens aux choix de société, possibilité de sanctionner les gouvernants, et solidarité.
Assurément aucun chef d’Etat ou de gouvernement n’est indifférent à la parole du pape et à ses prises de position. J’en veux pour preuve la multitude d’audiences que le pape accorde aux hommes politiques, de toutes tendances, qui viennent au Vatican, ou qu’il rencontre lors de ses voyages. Parmi les hommes politiques qui viennent le voir l’on note plusieurs catégories : ceux qui sont animés d’une vraie bonne volonté et qui viennent chercher conseil ; ceux-là sont beaucoup plus nombreux que l’on peut croire et ne professent pas toujours la religion catholique ; avec le temps ils sont presque devenus des « intimes » du pape, ce qui permet d’avoir des conversations franches en-dehors des barrières qu’impose la diplomatie. Il y a également ceux qui viennent au Vatican pour exposer la situation de leur pays et chercher un soutien de la part du pape et des catholiques. Et enfin, il y a ceux qui s’assurent une couverture médiatique qui selon eux aura des retombées positives dans leur pays… bien entendu personne n’est dupe ! Dans tous les cas de figures, le pape réserve toujours l’accueil qui se doit à la personne qui a émis le souhait de le rencontrer, sans restriction. Nous ne connaissons pas le degré de chaleur des conversations en privé, mais nous savons que Jean-Paul II n’a jamais mâché ses mots face à ses interlocuteurs !
Si la parole du pape ne trouve pas d’application immédiate, l’important est que celui-ci intervienne. Les voyages apostoliques servent également à cela. Rencontrer les populations est un aspect important du magistère, mais la parole du pape s’adresse aussi aux autorités politiques qui tirent toujours un enseignement des orientations proposées. On pense immédiatement aux voyages en Pologne au début du pontificat ou dans certains pays d’Afrique et du continent latino américain.
Zenit : Le pape a-t-il une conception des droits de l’homme différente de celle des sociétés en général ? Le premier défi cité dans son discours est celui de la vie, qui n’est pas toujours celui d’un gouvernement…
J. M. Coulet : Dès son accession sur le trône de Pierre, Jean-Paul II a fait de la défense des droits de l’homme le programme de son pontificat. Ce fut le thème de sa première encyclique, Redemptor Hominis. Il y a toutefois différentes manières de les faire respecter, de les promouvoir, de les sauvegarder.
Il existe une hiérarchie des droits. Si le pape entame son discours au corps diplomatique en rappelant le défi de la vie, c’est qu’il considère que dans de nombreuses sociétés celui-ci est bafoué, voire mis en danger, et son rôle de chef spirituel est de rappeler que la vie ne nous appartient pas, que nous ne pouvons pas en disposer selon notre bon plaisir. Naturellement il pense à l’avortement, à l’euthanasie, à la recherche scientifique… En bref, il tire la sonnette d’alarme.
Il le dit lui-même, venant d’un pays ou la liberté était limitée, il connaît le prix de celle-ci et il a pu se faire une idée précise de la valeur du respect des droits de l’homme. Pour lui, quand cette condition est remplie au sein d’un pays, l’on peut passer à un autre stade qui est celui de la recherche de la paix, au sens large de désarmement : quand les droits de l’homme sont respectés, il est plus facile d’obtenir la paix. La paix établie, toutes les conditions sont remplies pour travailler au développement, dont la priorité est d’enrayer la faim. Droits de l’homme, désarmement et développement, trois D qui animent la diplomatie pontificale sous Jean-Paul II.
CITE DU VATICAN, Mercredi 12 janvier 2005 (ZENIT.org) - Dans le discours qu’il a adressé lundi dernier aux membres du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège Jean-Paul II a présenté les quatre principaux défis de l’humanité aujourd’hui : la vie, le pain, la paix et la liberté.
Pour mieux comprendre les caractéristiques et la portée de la diplomatie de Jean-Paul II, Zenit a rencontré Jean-Michel Coulet, directeur de l’Osservatore Romano en langue française, co-auteur avec entre autres les cardinaux Angelo Sodano, secrétaire d’Etat du Vatican, et Jean-Louis Tauran, ancien secrétaire pour les rapports avec les Etats du Vatican, de « La diplomatie de Jean-Paul II » ouvrage publié aux éditions du Cerf en l’an 2000 (cf. www.editionsducerf.fr).
Zenit : Les quatre défis soulevés par le pape dans son discours sont-ils des constantes de la diplomatie de Jean-Paul II ?
J. M. Coulet : En effet, les quatre défis soulevés par Jean-Paul II sont des constantes, l’on pourrait même dire les piliers de la diplomatie pontificale aujourd’hui et même de son magistère depuis son élection. On retrouve ces leitmotive dans les grandes encycliques qui ont jalonné le pontificat, Evangelium vitae, Sollicitudo rei socialis, Redemptor hominis… mais également dans tous ses discours au Vatican ou lors de ses voyages. Ces maîtres-mots sont à la base de toutes les actions des diplomates du Saint-Siège dans le monde.
Quant à la diplomatie pontificale elle fait confiance au droit international en constante évolution et participe à son élaboration (par exemple les nouveaux concepts de droit d’intervention humanitaire, ou de droit des minorités). Force est d’admettre que le pape se bat sur tous les fronts : la défense de la vie et le combat contre la faim, notamment au sein des organisations internationales mais aussi régionales, la paix et la liberté, dans les relations bilatérales avec les Etats… N’oublions pas que Jean-Paul II entretient des relations diplomatiques avec 178 Etats !
Il est convaincu qu’une application rigoureuse du droit permettrait d’éviter que les plus faibles soient victimes de la violence des plus forts. « La force de la loi, dit-il, doit prévaloir sur la loi de la force ».
Zenit : Dans son discours le pape dit que pour promouvoir la paix il est fréquemment intervenu personnellement et par l’intermédiaire de la diplomatie vaticane. Quels sont selon vous les plus grands succès remportés par le Saint-Siège dans ce domaine et peut-être aussi les échecs ?
J. M. Coulet : Incontestablement le plus grand « succès » remporté par Jean-Paul II est le fruit de son Ostpolitik ou de sa diplomatie à l’Est dans les années 80. La fin de la guerre froide avec la chute du mur de Berlin était un grand cheval de bataille de Jean-Paul II. Pour lui, le fondement des droits de l’homme résidait dans la reconnaissance par les Etats souverains d’une liberté qui est la liberté religieuse entendue comme la base de tous les droits.
L’on peut aussi citer le succès de la médiation papale pour résoudre le différend qui opposait l’Argentine au Chili au sujet de la zone australe.
Toutefois une guerre qui éclate malgré les appels répétés du pape est toujours perçue comme un échec ; mais ce dernier ne s’avoue jamais vaincu et répète inlassablement, à temps et à contre temps, comme il l’avait fait pour le conflit du golfe en 91 que « la guerre est une aventure sans retour », ou au Kosovo « qu’il n’est jamais trop tard pour négocier ». Jean-Paul II utilise tous les canaux diplomatiques, que se soit à travers les relations bilatérales, comme au sein des organisations internationales, telles que l’ONU ou ses institutions spécialisées. Il ne connaît pas de répit ! On se rappellera qu’à la veille du conflit en Irak, il avait joué les cartes de la dernière chance en envoyant deux émissaires auprès des deux parties…
Zenit : Avez-vous le sentiment que les appels du pape soient entendus des chefs de gouvernement à travers le monde ?
J. M. Coulet : Ses appels ne restent jamais lettre morte car ils interpellent non seulement les politiques, mais aussi la presse qui sert de relais auprès de l’opinion publique. En fin stratège, Jean-Paul II a toujours su se servir des moyens de communication pour faire passer des messages ou lancer des appels. Il sait que les gouvernements sont extrêmement attentifs à l’opinion publique qui est souvent spontanée. Il fait usage de la démocratie, qui selon l’enseignement social de l’Eglise, signifie participation des citoyens aux choix de société, possibilité de sanctionner les gouvernants, et solidarité.
Assurément aucun chef d’Etat ou de gouvernement n’est indifférent à la parole du pape et à ses prises de position. J’en veux pour preuve la multitude d’audiences que le pape accorde aux hommes politiques, de toutes tendances, qui viennent au Vatican, ou qu’il rencontre lors de ses voyages. Parmi les hommes politiques qui viennent le voir l’on note plusieurs catégories : ceux qui sont animés d’une vraie bonne volonté et qui viennent chercher conseil ; ceux-là sont beaucoup plus nombreux que l’on peut croire et ne professent pas toujours la religion catholique ; avec le temps ils sont presque devenus des « intimes » du pape, ce qui permet d’avoir des conversations franches en-dehors des barrières qu’impose la diplomatie. Il y a également ceux qui viennent au Vatican pour exposer la situation de leur pays et chercher un soutien de la part du pape et des catholiques. Et enfin, il y a ceux qui s’assurent une couverture médiatique qui selon eux aura des retombées positives dans leur pays… bien entendu personne n’est dupe ! Dans tous les cas de figures, le pape réserve toujours l’accueil qui se doit à la personne qui a émis le souhait de le rencontrer, sans restriction. Nous ne connaissons pas le degré de chaleur des conversations en privé, mais nous savons que Jean-Paul II n’a jamais mâché ses mots face à ses interlocuteurs !
Si la parole du pape ne trouve pas d’application immédiate, l’important est que celui-ci intervienne. Les voyages apostoliques servent également à cela. Rencontrer les populations est un aspect important du magistère, mais la parole du pape s’adresse aussi aux autorités politiques qui tirent toujours un enseignement des orientations proposées. On pense immédiatement aux voyages en Pologne au début du pontificat ou dans certains pays d’Afrique et du continent latino américain.
Zenit : Le pape a-t-il une conception des droits de l’homme différente de celle des sociétés en général ? Le premier défi cité dans son discours est celui de la vie, qui n’est pas toujours celui d’un gouvernement…
J. M. Coulet : Dès son accession sur le trône de Pierre, Jean-Paul II a fait de la défense des droits de l’homme le programme de son pontificat. Ce fut le thème de sa première encyclique, Redemptor Hominis. Il y a toutefois différentes manières de les faire respecter, de les promouvoir, de les sauvegarder.
Il existe une hiérarchie des droits. Si le pape entame son discours au corps diplomatique en rappelant le défi de la vie, c’est qu’il considère que dans de nombreuses sociétés celui-ci est bafoué, voire mis en danger, et son rôle de chef spirituel est de rappeler que la vie ne nous appartient pas, que nous ne pouvons pas en disposer selon notre bon plaisir. Naturellement il pense à l’avortement, à l’euthanasie, à la recherche scientifique… En bref, il tire la sonnette d’alarme.
Il le dit lui-même, venant d’un pays ou la liberté était limitée, il connaît le prix de celle-ci et il a pu se faire une idée précise de la valeur du respect des droits de l’homme. Pour lui, quand cette condition est remplie au sein d’un pays, l’on peut passer à un autre stade qui est celui de la recherche de la paix, au sens large de désarmement : quand les droits de l’homme sont respectés, il est plus facile d’obtenir la paix. La paix établie, toutes les conditions sont remplies pour travailler au développement, dont la priorité est d’enrayer la faim. Droits de l’homme, désarmement et développement, trois D qui animent la diplomatie pontificale sous Jean-Paul II.
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