En 1946, le Vatican a demandé de ne pas rendre à leurs familles les enfants juifs baptisés
LE MONDE | 10.01.05 • MIS A JOUR LE 11.01.05 | 12h26
Un document retrouvé à Paris mettrait en cause le nonce Roncalli, futur Jean XXIII.
Un document, découvert au centre des archives de l'Eglise de France à Issy-les-Moulineaux, relance la polémique sur l'attitude du Vatican concernant les enfants juifs placés dans des établissements catholiques pendant la guerre et baptisés pour garantir leur protection. Ce document a été retrouvé par une historienne française, qui dégage toute responsabilité dans la publication de ce texte, le 28 décembre, par le Corriere della Sera et veut garder l'anonymat.
Il date du 23 octobre 1946 et porte l'en-tête de la nonciature apostolique à Paris, avec le numéro d'ordre 4 516, mais n'est pas signé. Il s'agit d'une note de quelques lignes, au ton administratif, qui se présente comme le "résumé d'une décision" attribuée à l'ex-Saint-Office et "approuvée par le Saint-Père", selon une formule usuelle qui ne garantit aucunement l'origine vaticane de cette instruction.
En 1946, le pape n'est autre que Pie XII et son nonce à Paris, depuis décembre 1944, Mgr Angelo Roncalli, créé cardinal en 1952 et élu pape, en 1958, sous le nom de Jean XXIII. Celui-ci sera l'initiateur du concile Vatican II (1962-1965), qui redéfinira les rapports de l'Eglise avec le judaïsme et les juifs.
A qui est adressée cette note d'octobre 1946 et que dit-elle ? Elle porte en tête la mention manuscrite : "Le 30/4/47 à S. Em. le Cal Gerlier", du nom de l'archevêque de Lyon de l'époque. Ainsi est-il légitime de penser qu'elle était destinée à un ou des évêques qui, après-guerre, s'interrogeaient sur la conduite à tenir vis-à-vis d'enfants juifs sauvés par des familles catholiques et baptisés.
Cette note en cinq points demande d'"éviter de répondre par écrit aux autorités juives" qui souhaitent récupérer ces enfants. Elle ajoute que "les enfants baptisés ne pourront pas être confiés à des institutions qui ne seraient pas à même d'assurer leur éducation chrétienne". Et que "si les parents les réclamaient, pour autant que les enfants n'aient pas reçu le baptême, ils pourront leur être rendus". Pas question, donc, de restituer à leurs familles des enfants juifs baptisés.
Un tel document soulève des questions troublantes. Alberto Melloni, historien de Bologne, responsable de sa publication dans le Corriere della Sera, assure qu'il s'agit bien d'une "instruction" du Saint-Office, transmise à la nonciature de Paris, mais que le nonce Roncalli ne l'a pas lui-même transmise aux évêques.
Quitte à ternir la réputation d'ami des juifs de Mgr Roncalli (qui, pendant la guerre, alors qu'il était nonce en Grèce et en Turquie, avait aidé au sauvetage de juifs), il est difficile de croire que le représentant du pape à Paris ait pu négliger une telle instruction de 1946. A la question de savoir si Mgr Roncalli a "omis" volontairement de la transmettre, l'historien français Etienne Fouilloux - qui vient de publier l'agenda des années françaises du nonce Roncalli (Anni di Franzia. Agenda del nunzio 1945-1948) - répond au Monde : "Je n'ai rien trouvé qui se rapporte à cet événement dans son agenda." La seule certitude, pour lui, est que ce document émane de la nonciature, probablement rédigé par un "bureaucrate" et transmis à l'épiscopat.
Mgr Roncalli était réputé pour ses bons contacts avec les juifs de France. Selon une lettre de deux dirigeants juifs, datée du 19 juillet 1946, il aurait donné l'autorisation au grand rabbin de Palestine, Isaac Herzog, en visite à Paris, de régler avec les établissements catholiques la question des enfants juifs. M. Fouilloux confirme cette rencontre d'avril 1946 avec le rabbin Herzog, qui sera suivie d'une autre, en 1949, avec Maurice Fisher, premier ambassadeur d'Israël à Paris. Mais l'"agenda" de Roncalli ne dit rien sur ce que fut l'attitude concrète du futur pape Jean XXIII.
Pour M. Fouilloux, même bien disposé vis-à-vis des juifs, "le nonce Roncalli n'a fait qu'appliquer strictement, conformément à sa charge, ce que le Vatican lui demandait". C'est lui qui, par exemple, a dû négocier avec le général de Gaulle la grâce d'évêques collaborateurs dont le nouveau gouvernement exigeait le renvoi. Autrement dit, ce document du 23 octobre 1946 n'ajoute rien de plus à ce qu'on savait de la doctrine de l'Eglise à l'époque : un enfant juif baptisé n'est plus juif, et l'Eglise a le devoir de l'élever chrétiennement.
En toile de fond de cette polémique, il faut rappeler le procès de béatification du pape Pie XII, contre lequel s'opposent la communauté juive et les courants catholiques progressistes. Après la publication dans le Corriere della Sera de cette note de 1946, Peter Gumpel, jésuite allemand, postulateur de la cause de Pie XII, a volé au secours de celui-ci. Le Saint-Office n'a fait que rappeler, dit-il, la doctrine qui prévalait alors : le baptême soumet à l'Eglise celui qui le reçoit et celle-ci est tenue de l'élever dans la foi catholique.
Henri Tincq
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Les douloureuses affaires Mortara et Finaly
En avril 1944, les époux Finaly confient leurs deux fils, Robert et Gérald, à une crèche de Grenoble dirigée par Antoinette Brun, catholique fervente, mais ils meurent en déportation. En 1945, une tante, Margaret Fischel-Finaly, réclame les enfants à Mlle Brun, qui refuse de les rendre et qui, en 1948, avoue les avoir fait baptiser. En 1952, une décision de justice ordonne leur restitution, mais les enfants ont fui en Espagne, cachés par des institutions catholiques. Il faudra une campagne d'opinion pour les faire rentrer. Depuis, les frères Finaly vivent en Israël. Un siècle plus tôt, en 1858, des gendarmes pontificaux de Bologne avaient kidnappé l'enfant Edgardo Levi-Mortara, qui, malade, avait été secrètement baptisé par une servante. Malgré des protestations officielles (Napoléon III, François-Joseph), Pie IX a toujours refusé de rendre le jeune homme, devenu prêtre et mort à Liège en 1940.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.01.05
Un document retrouvé à Paris mettrait en cause le nonce Roncalli, futur Jean XXIII.
Un document, découvert au centre des archives de l'Eglise de France à Issy-les-Moulineaux, relance la polémique sur l'attitude du Vatican concernant les enfants juifs placés dans des établissements catholiques pendant la guerre et baptisés pour garantir leur protection. Ce document a été retrouvé par une historienne française, qui dégage toute responsabilité dans la publication de ce texte, le 28 décembre, par le Corriere della Sera et veut garder l'anonymat.
Il date du 23 octobre 1946 et porte l'en-tête de la nonciature apostolique à Paris, avec le numéro d'ordre 4 516, mais n'est pas signé. Il s'agit d'une note de quelques lignes, au ton administratif, qui se présente comme le "résumé d'une décision" attribuée à l'ex-Saint-Office et "approuvée par le Saint-Père", selon une formule usuelle qui ne garantit aucunement l'origine vaticane de cette instruction.
En 1946, le pape n'est autre que Pie XII et son nonce à Paris, depuis décembre 1944, Mgr Angelo Roncalli, créé cardinal en 1952 et élu pape, en 1958, sous le nom de Jean XXIII. Celui-ci sera l'initiateur du concile Vatican II (1962-1965), qui redéfinira les rapports de l'Eglise avec le judaïsme et les juifs.
A qui est adressée cette note d'octobre 1946 et que dit-elle ? Elle porte en tête la mention manuscrite : "Le 30/4/47 à S. Em. le Cal Gerlier", du nom de l'archevêque de Lyon de l'époque. Ainsi est-il légitime de penser qu'elle était destinée à un ou des évêques qui, après-guerre, s'interrogeaient sur la conduite à tenir vis-à-vis d'enfants juifs sauvés par des familles catholiques et baptisés.
Cette note en cinq points demande d'"éviter de répondre par écrit aux autorités juives" qui souhaitent récupérer ces enfants. Elle ajoute que "les enfants baptisés ne pourront pas être confiés à des institutions qui ne seraient pas à même d'assurer leur éducation chrétienne". Et que "si les parents les réclamaient, pour autant que les enfants n'aient pas reçu le baptême, ils pourront leur être rendus". Pas question, donc, de restituer à leurs familles des enfants juifs baptisés.
Un tel document soulève des questions troublantes. Alberto Melloni, historien de Bologne, responsable de sa publication dans le Corriere della Sera, assure qu'il s'agit bien d'une "instruction" du Saint-Office, transmise à la nonciature de Paris, mais que le nonce Roncalli ne l'a pas lui-même transmise aux évêques.
Quitte à ternir la réputation d'ami des juifs de Mgr Roncalli (qui, pendant la guerre, alors qu'il était nonce en Grèce et en Turquie, avait aidé au sauvetage de juifs), il est difficile de croire que le représentant du pape à Paris ait pu négliger une telle instruction de 1946. A la question de savoir si Mgr Roncalli a "omis" volontairement de la transmettre, l'historien français Etienne Fouilloux - qui vient de publier l'agenda des années françaises du nonce Roncalli (Anni di Franzia. Agenda del nunzio 1945-1948) - répond au Monde : "Je n'ai rien trouvé qui se rapporte à cet événement dans son agenda." La seule certitude, pour lui, est que ce document émane de la nonciature, probablement rédigé par un "bureaucrate" et transmis à l'épiscopat.
Mgr Roncalli était réputé pour ses bons contacts avec les juifs de France. Selon une lettre de deux dirigeants juifs, datée du 19 juillet 1946, il aurait donné l'autorisation au grand rabbin de Palestine, Isaac Herzog, en visite à Paris, de régler avec les établissements catholiques la question des enfants juifs. M. Fouilloux confirme cette rencontre d'avril 1946 avec le rabbin Herzog, qui sera suivie d'une autre, en 1949, avec Maurice Fisher, premier ambassadeur d'Israël à Paris. Mais l'"agenda" de Roncalli ne dit rien sur ce que fut l'attitude concrète du futur pape Jean XXIII.
Pour M. Fouilloux, même bien disposé vis-à-vis des juifs, "le nonce Roncalli n'a fait qu'appliquer strictement, conformément à sa charge, ce que le Vatican lui demandait". C'est lui qui, par exemple, a dû négocier avec le général de Gaulle la grâce d'évêques collaborateurs dont le nouveau gouvernement exigeait le renvoi. Autrement dit, ce document du 23 octobre 1946 n'ajoute rien de plus à ce qu'on savait de la doctrine de l'Eglise à l'époque : un enfant juif baptisé n'est plus juif, et l'Eglise a le devoir de l'élever chrétiennement.
En toile de fond de cette polémique, il faut rappeler le procès de béatification du pape Pie XII, contre lequel s'opposent la communauté juive et les courants catholiques progressistes. Après la publication dans le Corriere della Sera de cette note de 1946, Peter Gumpel, jésuite allemand, postulateur de la cause de Pie XII, a volé au secours de celui-ci. Le Saint-Office n'a fait que rappeler, dit-il, la doctrine qui prévalait alors : le baptême soumet à l'Eglise celui qui le reçoit et celle-ci est tenue de l'élever dans la foi catholique.
Henri Tincq
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Les douloureuses affaires Mortara et Finaly
En avril 1944, les époux Finaly confient leurs deux fils, Robert et Gérald, à une crèche de Grenoble dirigée par Antoinette Brun, catholique fervente, mais ils meurent en déportation. En 1945, une tante, Margaret Fischel-Finaly, réclame les enfants à Mlle Brun, qui refuse de les rendre et qui, en 1948, avoue les avoir fait baptiser. En 1952, une décision de justice ordonne leur restitution, mais les enfants ont fui en Espagne, cachés par des institutions catholiques. Il faudra une campagne d'opinion pour les faire rentrer. Depuis, les frères Finaly vivent en Israël. Un siècle plus tôt, en 1858, des gendarmes pontificaux de Bologne avaient kidnappé l'enfant Edgardo Levi-Mortara, qui, malade, avait été secrètement baptisé par une servante. Malgré des protestations officielles (Napoléon III, François-Joseph), Pie IX a toujours refusé de rendre le jeune homme, devenu prêtre et mort à Liège en 1940.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.01.05
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