Jean Paul II compare avortement, nazisme et communisme
LE MONDE | 23.02.05 | 14h26
Dans un nouveau livre de souvenirs, le pape met en garde contre les "idéologies du mal".
Mémoire et identité, Jean Paul II. Flammarion, 218 p., 17 €. Trad. François Donzy.
Au soir de sa vie, le pape publie une réflexion, poignante et personnelle, sur la question du mal. Il le fait dans un quatrième livre de souvenirs, intitulé Mémoire et identité, qui a été présenté à Rome mardi 22 février et sortira le 3 mars dans les librairies françaises. Le "mal" d'hier : Karol Wojtyla tire les leçons des tragiques expériences du nazisme et du communisme, dont il a été le témoin direct en Pologne. Et le "mal" d'aujourd'hui : dans un amalgame contestable avec le passé, il condamne à nouveau l'avortement et les unions homosexuelles.
Juste après avoir évoqué, au début du livre, l'extermination des juifs par les nazis, le pape dénonce "l'extermination légale des êtres humains conçus et non encore nés". Il s'agit "encore une fois", explique t-il, d'"une extermination décidée par des Parlements élus démocratiquement". Dans la foulée, il s'en prend au Parlement européen, qui "fait pression" pour que soient reconnues les unions homosexuelles "comme une forme alternative de la famille, à laquelle reviendrait aussi le droit d'adopter". C'est, pour Wojtyla, une autre "idéologie du mal, insidieuse, occulte, qui tente d'exploiter contre l'homme, et contre la famille même, les droits de l'homme".
Déjà, dans le discours de Radom (Pologne, 1991) ou l'encyclique Evangile de la vie (1995), qui avaient soulevé des polémiques dans les milieux juifs et progressistes, le pape s'en était pris au génocide nazi, en même temps qu'à l'avortement, au terrorisme, à la guerre, à la toxicomanie, traités comme autant de symptômes de la "culture de mort" qui, selon lui, fascinerait l'homme moderne. Dans ce dernier livre, il répète que les "idéologies du mal", anciennes et contemporaines, ont leurs racines dans une même philosophie européenne de rupture avec Dieu.
LE "LIBÉRALISME PRIMITIF"
C'est le livre d'un intellectuel polonais pétri de l'histoire et de la culture de son pays, mais blessé de l'avoir vu disparaître de la conscience européenne à cause de l'occupation nazie et de la nuit communiste. Ce livre a d'ailleurs été écrit, en 1993, avec deux autres philosophes polonais, Krysztof Michalski et Jozef Tischner, revu, corrigé, actualisé depuis par l'entourage de Jean Paul II. Un livre de réfutation, plus que de combat, de la philosophie européenne des Lumières.
Le pape ne méconnaît pas l'apport des Lumières et de la Révolution française aux luttes pour les droits de l'homme et de la nation, tout en rappelant que "liberté, égalité et fraternité" sont des valeurs chrétiennes. Mais ce sont les Lumières, démontre-t-il, qui ont fait le lit des "idéologies du mal".
Après Descartes ("Je pense, donc je suis"), l'individu se fait juge du bien et du mal. Dieu n'est plus qu'un "contenu de la conscience" autonome. Dieu, le bien cessent de s'imposer comme des catégories objectives.
La voie est alors ouverte à tous les abîmes. "Si l'homme peut décider par lui-même, sans Dieu, de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, il peut aussi disposer qu'un groupe d'hommes soit anéanti." En tuant le "Dieu de la Révélation", les Lumières ont failli tuer l'homme, dans les camps de concentration et au goulag.
Les équivalences qu'il fait entre l'extermination des juifs et celle des enfants avortés, entre la démocratie de Weimar (qui a conduit Hitler au pouvoir) et les Parlements qui légalisent l'IVG et les unions homosexuelles sont choquantes. Mais, pour Wojtyla, elles ont la même source dans le rejet de l'ordre naturel voulu par le Créateur.
Elles sont d'égales conséquences de la même "violation de la Loi de Dieu". C'est le même cri que Jean Paul II aura poussé toute sa vie : tout ce qui est "légal", dans l'ordre des gouvernements démocratiques, n'est pas forcément "légitime" au plan moral.
Une fois de plus, ce livre suscitera des polémiques et ne sera pas compris pour ce qu'il veut être d'abord : un acte de défense de l'homme, rappelé ici au bon usage de sa liberté. Car la "dangerosité" du monde actuel, comme celui du XXe siècle, écrit Jean Paul II, vient de ce que l'homme ne sait plus distinguer entre le bien et le mal. Il "fait abstraction de toute responsabilité éthique". La revendication à la "liberté seule", délivrée "de tout frein et de tout lien", n'a d'autres noms, selon lui, que le "caprice", le "libéralisme primitif", dont l'influence est "potentiellement dévastatrice".
Ce livre condense vingt-cinq ans d'enseignement. Il puise dans les textes du concile Vatican II (1962-1965), et dans les propres ouvrages et discours de Wojtyla, quand il rappelle que la Pologne a pu survivre à ses tragédies grâce à sa foi et à sa culture. Cette "culture" dont il fait encore le modèle du développement des "nations", contre tout nationalisme, et d'un légitime "patriotisme", face à la dissolution des identités dans un monde globalisé.
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.02.05
Dans un nouveau livre de souvenirs, le pape met en garde contre les "idéologies du mal".
Mémoire et identité, Jean Paul II. Flammarion, 218 p., 17 €. Trad. François Donzy.
Au soir de sa vie, le pape publie une réflexion, poignante et personnelle, sur la question du mal. Il le fait dans un quatrième livre de souvenirs, intitulé Mémoire et identité, qui a été présenté à Rome mardi 22 février et sortira le 3 mars dans les librairies françaises. Le "mal" d'hier : Karol Wojtyla tire les leçons des tragiques expériences du nazisme et du communisme, dont il a été le témoin direct en Pologne. Et le "mal" d'aujourd'hui : dans un amalgame contestable avec le passé, il condamne à nouveau l'avortement et les unions homosexuelles.
Juste après avoir évoqué, au début du livre, l'extermination des juifs par les nazis, le pape dénonce "l'extermination légale des êtres humains conçus et non encore nés". Il s'agit "encore une fois", explique t-il, d'"une extermination décidée par des Parlements élus démocratiquement". Dans la foulée, il s'en prend au Parlement européen, qui "fait pression" pour que soient reconnues les unions homosexuelles "comme une forme alternative de la famille, à laquelle reviendrait aussi le droit d'adopter". C'est, pour Wojtyla, une autre "idéologie du mal, insidieuse, occulte, qui tente d'exploiter contre l'homme, et contre la famille même, les droits de l'homme".
Déjà, dans le discours de Radom (Pologne, 1991) ou l'encyclique Evangile de la vie (1995), qui avaient soulevé des polémiques dans les milieux juifs et progressistes, le pape s'en était pris au génocide nazi, en même temps qu'à l'avortement, au terrorisme, à la guerre, à la toxicomanie, traités comme autant de symptômes de la "culture de mort" qui, selon lui, fascinerait l'homme moderne. Dans ce dernier livre, il répète que les "idéologies du mal", anciennes et contemporaines, ont leurs racines dans une même philosophie européenne de rupture avec Dieu.
LE "LIBÉRALISME PRIMITIF"
C'est le livre d'un intellectuel polonais pétri de l'histoire et de la culture de son pays, mais blessé de l'avoir vu disparaître de la conscience européenne à cause de l'occupation nazie et de la nuit communiste. Ce livre a d'ailleurs été écrit, en 1993, avec deux autres philosophes polonais, Krysztof Michalski et Jozef Tischner, revu, corrigé, actualisé depuis par l'entourage de Jean Paul II. Un livre de réfutation, plus que de combat, de la philosophie européenne des Lumières.
Le pape ne méconnaît pas l'apport des Lumières et de la Révolution française aux luttes pour les droits de l'homme et de la nation, tout en rappelant que "liberté, égalité et fraternité" sont des valeurs chrétiennes. Mais ce sont les Lumières, démontre-t-il, qui ont fait le lit des "idéologies du mal".
Après Descartes ("Je pense, donc je suis"), l'individu se fait juge du bien et du mal. Dieu n'est plus qu'un "contenu de la conscience" autonome. Dieu, le bien cessent de s'imposer comme des catégories objectives.
La voie est alors ouverte à tous les abîmes. "Si l'homme peut décider par lui-même, sans Dieu, de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, il peut aussi disposer qu'un groupe d'hommes soit anéanti." En tuant le "Dieu de la Révélation", les Lumières ont failli tuer l'homme, dans les camps de concentration et au goulag.
Les équivalences qu'il fait entre l'extermination des juifs et celle des enfants avortés, entre la démocratie de Weimar (qui a conduit Hitler au pouvoir) et les Parlements qui légalisent l'IVG et les unions homosexuelles sont choquantes. Mais, pour Wojtyla, elles ont la même source dans le rejet de l'ordre naturel voulu par le Créateur.
Elles sont d'égales conséquences de la même "violation de la Loi de Dieu". C'est le même cri que Jean Paul II aura poussé toute sa vie : tout ce qui est "légal", dans l'ordre des gouvernements démocratiques, n'est pas forcément "légitime" au plan moral.
Une fois de plus, ce livre suscitera des polémiques et ne sera pas compris pour ce qu'il veut être d'abord : un acte de défense de l'homme, rappelé ici au bon usage de sa liberté. Car la "dangerosité" du monde actuel, comme celui du XXe siècle, écrit Jean Paul II, vient de ce que l'homme ne sait plus distinguer entre le bien et le mal. Il "fait abstraction de toute responsabilité éthique". La revendication à la "liberté seule", délivrée "de tout frein et de tout lien", n'a d'autres noms, selon lui, que le "caprice", le "libéralisme primitif", dont l'influence est "potentiellement dévastatrice".
Ce livre condense vingt-cinq ans d'enseignement. Il puise dans les textes du concile Vatican II (1962-1965), et dans les propres ouvrages et discours de Wojtyla, quand il rappelle que la Pologne a pu survivre à ses tragédies grâce à sa foi et à sa culture. Cette "culture" dont il fait encore le modèle du développement des "nations", contre tout nationalisme, et d'un légitime "patriotisme", face à la dissolution des identités dans un monde globalisé.
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.02.05
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