2.25.2005

Le gouvernement de l'Eglise désorienté, des spéculations relancées

LE MONDE | 25.02.05

La trachéotomie subie jeudi par le pape crée une situation nouvelle pour le Vatican et relance les spéculations sur sa capacité à diriger l'Eglise. Combien de temps Jean Paul II, élu le 16 octobre 1978, malgré son courage, pourra-t-il encore lutter contre la maladie ? Depuis l'attentat du 13 mai 1981, il a subi neuf hospitalisations et sept interventions chirurgicales.

Le pape pourra-t-il retrouver l'usage de sa voix ?

Pour une période impossible à estimer, il sera empêché de parler à la suite de l'insertion de la canule qui lui permet de respirer au niveau de la trachée artère. "Pour un patient qui a atteint le stade terminal de la maladie de Parkinson et a subi une trachéotomie, on peut parler d'état critique", déclarait un neurochirurgien de New York interrogé vendredi par Reuters. "Avec une trachéotomie, on parle avec beaucoup de difficultés. Quand on y arrive !", ajoutait le docteur Barbara Paris, également de New York.
On voit mal le pape en mesure de reprendre avant longtemps ses activités et présider les célébrations pascales, cœur de l'année liturgique, à la fin du mois de mars. La menace d'aphasie totale n'est plus infondée à ce stade de la maladie, ce qui pose la question de la validité des actes accomplis par cet homme gravement malade qui dispose du pouvoir suprême dans l'Eglise. Toute décision en matière de discipline et de doctrine, toute nomination d'évêque est suspendue si le pape est inapte à gouverner. Il peut déléguer, mais pour les seules matières ordinaires. Encore doit-il être capable de "communiquer" avec son entourage, notamment Angelo Sodano, 77 ans, secrétaire d'Etat, "premier ministre".
"Même à partir d'un lit d'hôpital, il est possible que celui qui gouverne l'Eglise exprime sa volonté par des écrits et par des gestes", avait déclaré le cardinal italien Mario Francesco Pompedda, juriste renommé, lors de la première hospitalisation du pape début février. Mais ce point de vue ne fait pas l'unanimité à la Curie. "Un muet ne peut pas célébrer la messe. Cela pose le problème de la renonciation", avait osé déclarer, lors d'un précédent accident de santé, en octobre 2003, un autre canoniste, le cardinal argentin Jorge Meija. Mario Francesco Pompedda avait alors répliqué qu'il n'était pas nécessaire, pour l'exercice de sa charge, que "le pape officie".

Peut-il encore donner sa démission ?

Oui. Le droit canon ne contient aucune disposition relative à une destitution du pape pour cause d'incapacité physique à gouverner. Il prévoit, en revanche, dans son article 332, que le pontife romain peut renoncer à sa charge, à condition que "la renonciation soit faite librement et dûment manifestée, mais non pas qu'elle soit acceptée par qui que ce soit".
Les historiens estiment à une dizaine le nombre de papes qui ont démissionné dans l'histoire. La plus célèbre, grâce à Dante qui en fait le récit dans ses œuvres, est la démission de Célestin V en 1294. Depuis, aucun pape n'a démissionné. Paul VI (1963-1978), souffrant d'arthrose, avait été tenté de le faire, mais n'a pas donné suite à cette décision, de crainte qu'elle ne crée un précédent et soit le prétexte à des pressions futures sur le pape.
Toutes les déclarations de Jean Paul II, y compris les plus récentes lors de sa première hospitalisation début février, montrent sa résolution à poursuivre sa mission jusqu'à la mort. Le 7 février, le cardinal Angelo Sodano avait évoqué l'hypothèse de la "renonciation", plus par naïveté que par calcul, estimant qu'une démission devait être laissée "à la conscience du pape". D'autres proches, comme les cardinaux Giovanni-Battista Ré, préfet de la congrégation des évêques, et Camillo Ruini, vicaire de Rome, avaient immédiatement désavoué les propos de Sodano. Depuis, le débat avait été considéré comme clos et le "parti de la démission" comme battu.
Rien ne laissait présager, après sa trachéotomie, que le pape puisse changer un jour d'attitude. Devant l'absence de procédure d'"empêchement" pour incapacité, on sait seulement - sans certitude absolue - qu'il a laissé à ses proches un message secret fixant ses intentions pour le jour où il ne serait plus en état de pouvoir lui-même les exprimer.
En octobre 2003, le cardinal argentin Meija, déjà cité, avait jugé utile de publier la lettre que Paul VI, à la fin de sa vie, avait secrètement remise à ses proches en disant : "Si le pape se trouve dans un état de complète invalidité mentale et (ou) physique, le Saint-Siège doit être considéré comme vacant et l'on doit procéder à l'élection de son successeur."
A Rome, beaucoup pensent que Jean Paul II a dû laisser des dispositions identiques, mais personne ne croit qu'il reviendra sur sa résolution de s'en remettre seulement à la volonté de Dieu.

Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.02.05
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