2.04.2005

Le Saint-Père peut-il être déclaré inapte à gouverner l'Eglise ?

En cas de vacance du pouvoir au Vatican, les dispositions sont prévues en vue de l'élection d'un successeur

Le Vatican : de notre envoyée spéciale Sophie de Ravinel
[Le Figaro, 04 février 2005]

Malgré les propos rassurant du Saint-Siège sur l'état de santé de Jean-Paul II, la question du gouvernement de l'Eglise catholique et de l'Etat de la cité du Vatican se pose à nouveau. Depuis 1981, le code de droit canon laisse la possibilité à un pape de renoncer à sa mission et admet aussi qu'il puisse être «totalement empêché» de l'exercer. Dans ce cas, personne n'est officiellement autorisé à tenir les rênes du pouvoir. Les lois à respecter durant cette période sont identiques à celles de la vacance du siège apostolique entre la mort d'un pape et l'élection de son successeur. Il n'y a donc pas de vide juridique, mais les termes employés sont suffisamment flous pour laisser une certaine marge de manoeuvre aux plus proches collaborateurs du Souverain Pontife.
Même hospitalisé, même dans un état de grande précarité sanitaire, le Pape reste donc officiellement l'unique chef de l'Eglise catholique. Aucune suppléance n'est prévue, contrairement aux autres Etats, puisque son pouvoir, selon la doctrine catholique, lui vient directement de Dieu. Qu'il s'agisse de la période suivant une renonciation, qui doit être «faite librement et dûment manifestée», ou celle durant laquelle un pape est totalement empêché de gouverner, le canon 335 du code indique que «rien ne doit être innové dans le gouvernement de l'Eglise tout entière». Seul un pape est en droit de nommer, de publier des documents ou de trancher sur des questions morales qui concernent toute l'Eglise catholique. Les seules décisions qui peuvent être prises concernent les affaires courantes de l'Eglise. Jean-Paul II l'a rappelé dans la constitution apostolique Universi dominici gregis publiée en 1996 et décrivant en des termes très précis la période de vacance et le mode d'élection d'un pape.
Cependant, l'incapacité totale à gouverner reste une question ouverte. Rien n'est indiqué sur les critères permettant de décréter cet état, ni sur qui est en droit de le décréter. Au Vatican, une rumeur récurrente affirme que Jean-Paul II, comme le pape Paul VI, aurait laissé à son secrétaire particulier, Mgr Stanislaw Dziwisz, une lettre contenant des dispositions précises sur ces points. Personne n'a jamais été en mesure de confirmer l'existence de cette missive. Plus que les spéculations intellectuelles ou juridiques, c'est une considération pragmatique des événements qui domine au Vatican. Lorsque le très petit cercle des plus proches collaborateurs du Pape le jugera opportun, tout sera possible et adaptable aux lois existantes.
En attendant, la vie suit son cours au Vatican, où l'on affirme que Jean-Paul II est encore parfaitement capable de prendre des décisions. Hier matin, le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi et membre de ce cercle de pouvoir, célébrait paisiblement sa messe hebdomadaire ouverte aux fidèles. Avant que les cloches de la basilique ne sonnent leurs sept coups, une vingtaine de prêtres et une soixantaine de fidèles ont traversé en silence la place Saint-Pierre déserte, pour rejoindre le collège teutonique situé à côté de la salle Paul-VI où se déroulent les audiences du Pape. A l'entrée du Vatican, deux gardes suisses saluaient respectueusement les visiteurs, comme à l'habitude, sans qu'aucune mesure particulière ne soit venue bousculer leur service.
Seule une curieuse liturgie populaire venant clôturer la messe, pouvait rappeler à l'assistance le nouvel épisode de douleur que traverse le Pape. En effet, l'Eglise catholique célébrait hier la mémoire de saint Blaise, un médecin, évêque et martyr, qui aurait vécu, selon la tradition, entre le IIIesiècle et le IVe siècle. La légende raconte que Blaise sauva un jeune homme de l'étouffement en lui retirant une arrête de poisson coincée dans la gorge. Pour cette raison, il est invoqué comme le saint patron qui protège des maladies de la gorge et, par extension, de tout ce qui touche au système respiratoire... Le cardinal Ratzinger n'a pas failli à la tradition de la bénédiction de saint Blaise, particulièrement vivace en Italie. Tenant dans une main deux cierges allumés et croisés, il bénissait de l'autre les fidèles qui s'approchaient de lui. «Cette bénédiction est très sérieuse et très efficace», a-t-on répondu à ceux qui s'interrogeaient sur la signification de ce geste inusité dans d'autres contrés. Le Pape lui-même en est convaincu puisque, hier matin vers 10 heures, son majordome Angelo Gugel est entré à l'hôpital Gemelli avec, sous le bras, les deux cierges nécessaires au rite. Qui sait si saint Blaise ne le guérira pas de sa laryngo-trachéite aiguë.
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