2.03.2005

Le cardinal allemand est la bête noire des catholiques libéraux.

A 77 ans, Josef Ratzinger pourrait devenir pape "de transition"
LE MONDE | 03.02.05 | 14h07

C'est le magazine américain Time qui a lancé la rumeur à la mi-janvier : le cardinal allemand Josef Ratzinger, figure emblématique du conservatisme doctrinal du pontificat de Jean Paul II, bête noire des catholiques libéraux, pourrait devenir, malgré ses 77 ans, un pape "de transition", garant de la continuité au sommet de l'Eglise, amortissant l'effet du séisme que provoquerait la mort d'un pape qui aura régné plus d'un quart de siècle. L'hypothèse d'une limite d'âge pour l'exercice du pouvoir pontifical ferait son chemin parmi les cardinaux.
Ce scénario "américain" ne provoque pas, à Rome, que des haussements d'épaules. Il aurait été ébauché à la suite d'une discrète enquête demandée par George Bush au Vatican où, à la faveur d'une fin de règne propice à l'immobilisme, le cardinal Ratzinger est omniprésent. Né en Bavière le 16 avril 1927, préfet inamovible de la Congrégation pour la doctrine de la foi (l'ex-Saint-Office), il est le doyen des cardinaux du Sacré Collège, l'homme qui guidera le choix du conclave. Personnalité séduisante, sa proximité intellectuelle avec Jean Paul II, qui l'a reconduit dans ses fonctions tous les cinq ans depuis 1980, frappe tous les observateurs.
Rien n'est plus caricatural que la figure d'inquisiteur de ce prélat allemand détesté par les catholiques progressistes de son pays, qui l'appellent le "Panzerkardinal". Il surprend tous ses visiteurs par la profondeur de ses yeux bleus, la douceur de sa voix, sa finesse intellectuelle. Théologien très ouvert au concile Vatican II (1962-1965) qu'il suit comme expert, il est "retourné" par les manifestations étudiantes de Mai 68 aux Etats-Unis et en Europe, annonciatrices, selon lui, de toutes les dérives modernes, comme le "nihilisme" philosophique, le "relativisme" (toutes les religions se valent), le "sécularisme" déshumanisant.
Ce seront ses principales cibles à la tête de la revue Communio qu'il fonde avec le grand théologien suisse Hans-Urs von Balthasar, qui a formé et nourri des générations d'intellectuels catholiques et de cardinaux (Jean-Marie Lustiger, Philippe Barbarin en France). Prêtre depuis 1951, Josef Ratzinger est nommé archevêque de Munich en 1977 et créé cardinal par Paul VI, dont il est l'un des derniers promus vivants.
Son amitié avec le futur Jean Paul II remonte au concile et aux synodes épiscopaux à Rome. Il deviendra l'architecte de son projet de recentrage doctrinal de l'Eglise après les audaces réformatrices du concile. Il fera scandale, dans Entretien sur la foi, publié en 1985, vingt ans après Vatican II, en souhaitant une sorte de "restauration".
Main de fer dans un gant de velours, le cardinal Ratzinger est l'auteur des sanctions qui ont frappé des "théologiens de la libération" en Amérique latine, des contestataires comme Hans Küng, son ancien collègue de théologie à la faculté de Tübingen, ou Eugen Drewermann. La pièce maîtresse de son action sera la rédaction du Catéchisme universel, publié en 1992, suivi un an après de la plus brillante encyclique de Jean Paul II sur la vérité (Veritatis splendor), reflet fidèle des idées de Josef Ratzinger sur les dérives d'une modernité qui ne saurait plus distinguer entre le bien et le mal, ni les limites d'une liberté vide de sens et de transcendance.

DOCTRINAIRE OU PRAGMATIQUE

Chacune des "instructions" du gardien de l'orthodoxie romaine suscite des polémiques. Elles visent la franc-maçonnerie, la procréation médicalement assistée (Le Don de la vie, en 1987), plus récemment l'homosexualité, le féminisme, les "abus" dans la pratique du sacrement eucharistique. Son document Dominus Jesus, en 2000, apparaît comme une régression pour les militants de l'œcuménisme : Josef Ratzinger y réaffirme la suprématie de l'Eglise catholique et refuse aux communautés protestantes leur caractère d'"Eglises".
Mais cet homme qui passe pour doctrinaire sait se montrer pragmatique. Avec habileté, il démine le conflit né, pendant la campagne présidentielle aux Etats-Unis, de l'interdiction de la communion formulée par certains évêques hyperconservateurs contre des hommes politiques catholiques - comme John Kerry - qui ne s'opposent pas explicitement à l'avortement et au mariage homosexuel. De même vient-il de mener un dialogue de haute tenue dans Esprit (janvier 2004) avec Jürgen Habermas, qui n'est pas précisément de son bord philosophique.
En France, il prêche le Carême à Notre-Dame de Paris, en 2001 : "L'enfer, c'est vivre dans l'absence de Dieu (...). Quand la foi et la raison se divisent, les deux en pâtissent." A Caen, le 5 juin 2004, pour le 60e anniversaire du débarquement, il a fait un discours remarqué sur la guerre, le terrorisme et les atteintes à la démocratie lorsque "les sources de la morale et du droit", puisées dans la révélation autant que dans la raison, sont ignorées et trahies. Dans cet esprit, il se bat pour le rappel de l'héritage chrétien dans la Constitution européenne.
"Ratzinger est au-dessus de tous les autres, notamment des papabili italiens ou latino-américains au profil de pasteurs", estiment certaines sources à Rome. Il a pour ambition de réarmer intellectuellement le catholicisme pour faire face aux défis du monde moderne, mais l'image d'Eglise-forteresse qui, à tort ou à raison, reste attachée à son nom, ne lui vaut pas que des amis.

Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.02.05
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