2.03.2005

Une longue lutte contre la souffrance

Elie Maréchal
[LE FIGARO, 03 février 2005]


De tous les combats que Jean-Paul II eut à affronter, celui qu'il mena contre la souffrance fut sans doute le plus obsédant, le plus intime, le plus secret. Pape résistant il est, et d'abord aux multiples atteintes à sa santé. Comme le disait encore hier Lech Walesa, leader historique du syndicat polonais Solidarnosc, «le pape est quelqu'un de solide».
Ski, natation, kayak ont forgé le corps robuste de cet homme d'un mètre soixante-seize, avant qu'il ne soit élu à 58 ans pour succéder à un Jean-Paul Ier qui ne régna que trente-trois jours. L'excellente condition physique de Karol Wojtyla, alors cardinal-archevêque de Cracovie, fut assurément l'une des raisons qui inclinèrent le conclave de l'automne 1978 à porter sur lui une majorité de suffrages (99 sur 111). Des évêques se souviennent encore qu'il les relevait, d'une poigne forte, quand ceux-ci s'agenouillaient devant lui.
Dès son élection, Jean-Paul II a demandé à son secrétaire particulier, Mgr Stanislaw Dziwisz, qu'en cas de nécessité médicale il soit transporté à l'hôpital «comme tout le monde» ; et de préciser : «A Gemelli !» Cet établissement hospitalier catholique est situé à quelque vingt minutes du Vatican en voiture, mais une ambulance escortée peut y aller plus vite.
13 mai 1981, 17 h 17 : des coups de feu claquent sur la place Saint-Pierre. Le jeune Turc Ali Mehmet Agça vient de tirer. Touché à l'abdomen, à la main gauche et au bras droit, le Pape s'écroule. Aucun organe vital n'a cependant été atteint. Ce sera la première hospitalisation à Gemelli, pendant vingt et un jours. Le séjour est plus long que prévu, à cause d'une infection due à un cytomégalovirus qui le contraindra à revenir le 20 juin à la polyclinique. Il y sera à nouveau opéré le 5 août, avant de prendre une longue convalescence à Castel Gandolfo. Plus rien ne sera comme avant.
Les coups durs s'enchaîneront, onze ans plus tard. En juillet 1992, c'est l'ablation d'une tumeur intestinale cancéreuse et de la vésicule biliaire ; en novembre 1993, une luxation de l'épaule droite, à la fin d'une audience ; en avril 1994, une fracture du fémur qui entraîne la pose d'une prothèse de la hanche et un mois d'hospitalisation ; en octobre 1996, une appendicite. Au total, cent trente-six jours –environ quatre mois et demi– d'hospitalisation. Jean-Paul II plaisante sur le sujet : «Gemelli est devenu le Vatican bis», dit-il. Aujourd'hui, il y effectue son neuvième séjour.
Année après année, d'autres incidents de santé sont venus s'interposer, soulevant l'émotion des fidèles. Au Noël de 1995, une grippe empêche le Saint-Père de célébrer la messe de minuit et, le lendemain, des nausées l'obligent à interrompre la bénédiction urbi et orbi. En mars et août 1996, une fièvre de «nature digestive», selon le Vatican, le force à annuler une série d'engagements publics.
En juin 1999, en voyage à Cracovie, il chute dans le palais archiépiscopal et le cardinal Macharski doit le remplacer pour une messe en plein air. En mars 2002, une crise d'arthrite au genou droit perturbe son programme pascal. Bientôt, la canne est remplacée par le fauteuil roulant et, outre les tremblements, surviennent des difficultés d'élocution. Le visage se fige de plus en plus et le geste devient rare.
Jamais il ne se départit de cet humour sur lui-même. «C'est un pape un peu déficient, mais toujours en un seul morceau et pas encore mort», sourit-il, fin 1993. «On gouverne l'Eglise avec la tête et non avec les jambes», affirme-t-il, alors que s'accentuent les symptômes de la maladie de Parkinson, apparus en 1996 où, déjà, les craintes circulaient que ce globe-trotter ne puisse continuer à sillonner le monde. Tapant du poing sur la table, il bousculait son entourage qui cherchait à le ménager. Inlassablement, sa volonté s'arc-boute contre la souffrance, comme on le vit à Lourdes en août dernier au milieu des malades.
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