Le choix du prochain pape sera dicté par des critères de prudence
LE MONDE | 02.02.05 | 14h34
Le cardinal allemand Josef Ratzinger fait figure de "grand électeur" incontesté du conclave qui décidera de la succession.
L'Eglise et le Vatican sont gouvernés depuis dix ans par un pape malade. Dès lors, trois types de questions n'ont cessé de se poser à l'opinion sur la capacité de Jean Paul II à tenir lui-même le gouvernail, sur les risques d'une démission ("renonciation" prévue par le droit de l'Eglise) et sur le choix de son successeur. Une résistance physique hors du commun avait semblé, un à un, déminer tous ces sujets. L'hospitalisation subite du pape oblige à reposer une à une ces questions.
C'est en septembre 1996 que son syndrome de Parkinson avait été annoncé par Joaquin Navarro-Valls, son porte-parole, et son médecin, le docteur Renato Buzzonetti. Depuis, en dépit de mises au point plus ou moins rassurantes, l'état de santé de Jean Paul II n'avait cessé de se dégrader.
Le pape a rarement interrompu ses activités. Ses visiteurs étaient à la fois surpris et admiratifs par son esprit, resté en éveil, et sa capacité de réaction à la triple manifestation de cette maladie : tremblements, akinésie (ralentissement des mouvements), raideur musculaire surtout au niveau de la bouche, altérant ses capacités d'élocution.
Mais le discours rassurant ne pouvait pas cacher la vérité : soumis à des traitements intensifs, le pape n'était plus "en forme" que par intermittences. Une arthrose au genou, conséquence d'une fracture mal soignée en 1992, lui avait imposé un fauteuil roulant pour se déplacer. Et surtout ses difficultés respiratoires inquiétaient de plus en plus son entourage.
Les hypothèses sur sa démission avaient toutefois cessé après août 2002. Elles avaient été ébauchées par des journalistes, régulièrement démenties par l'entourage et le pape lui-même, mais reprises publiquement - entraînant des polémiques sans fin - par quelques cardinaux, impressionnés à la fois par le courage du pape et une fidélité aussi douloureuse à sa mission. Des hommes bien en cour comme les cardinaux Josef Ratzinger, Godfried Danneels, Rodriguez Maradiaga n'avaient pas écarté l'hypothèse d'une "renonciation" si le pape ne se sentait plus en état d'exercer sa fonction.
La mise au point était venue de Jean Paul II lui-même, lundi 19 août 2002, symboliquement en terre polonaise, au sanctuaire de Kalwaria Zebrzydowska, au sud de Cracovie. Il s'était adressé en ces mots à la Vierge : "Donne-moi les forces physiques et spirituelles pour pouvoir remplir, jusqu'à la fin, la mission que le Christ m'a confiée." Jusqu'à la fin : l'équivoque n'était plus permise. Seule la mort ou la perte irréversible de ses forces physiques pourrait empêcher Jean Paul II de continuer de gouverner son Eglise. Il ne serait pas le premier pape des temps modernes à démissionner de son plein gré.
Logique de Dieu contre la logique des hommes. Continuer à gouverner, mais comment ? Finis les voyages au long cours. Ceux-ci sont en nombre et en durée réduits. Jean Paul II n'a fait en 2004 que deux visites hors d'Italie : en Suisse, en juin, et à Lourdes, en août. Son seul projet de voyage pour 2005 était celui de Cologne (Allemagne), pour les Journées mondiales de la jeunesse.
Sur le plan politique, son dernier grand combat aura été contre la guerre en Irak. Et surtout, le pouvoir pontifical s'est trouvé resserré autour d'un petit nombre d'hommes : Mgr Stanislas Dziwisz, un prêtre polonais amené dès 1978 de Cracovie, secrétaire particulier du pape et collaborateur de tous les instants, au pouvoir impressionnant. Puis le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'Etat, numéro deux de la Curie et surtout le cardinal Josef Ratzinger, inamovible préfet de la doctrine, élu en 2002 doyen du Sacré Collège des cardinaux, dont le poids n'a cessé de croître.
Aucune des grandes décisions de l'Eglise, depuis l'an 2000, n'a pu échapper à ce trio d'hommes, provoquant des "mauvaises humeurs" au sein de la Curie, des crispations doctrinales sur des sujets aussi divers que l'eucharistie (rappel de l'interdiction de l'hospitalité eucharistique pour les protestants), de l'attitude à adopter vis-à-vis des traditionalistes ou l'usage du préservatif, auquel le cardinal Georges Cottier "théologien du pape" vient de reconnaître quelque mérite dans la prévention du sida.
L'ascendant pris par le cardinal allemand Josef Ratzinger dans ces derniers mois du gouvernement de Jean Paul II en fait le "grand électeur" incontesté du prochain conclave. Depuis quelque semaines, des articles de presse en font même, malgré ses 77 ans, l'un des premiers favoris de l'élection, l'homme qui garantirait le mieux la continuité après Jean Paul II. Après tout, Jean XXIII, en 1958, n'avait-il pas été élu à 77 ans ?
Et si le cardinal Ratzinger ne devenait pas le prochain pape, il encouragerait l'élection d'un cardinal de gestion modéré, capable de décrisper l'Eglise, tout en évitant d'audacieuses réformes. Deux cardinaux italiens correspondent à ce profil : le cardinal Dionigi Tettamanzi, archevêque de Milan, (bientôt 71 ans) et le cardinal Angelo Scola, patriarche de Venise (64 ans).
Autant dire que tout choix en dehors d'un cardinal européen serait encore considéré comme aventureux. Il faudrait une révolution des esprits, dans les trois semaines qui séparent le décès du pape et l'ouverture du conclave, pour que quelques papabili latino-américains soient désignés. Les plus souvent cités restent le Hondurien Oscar Andres Rodriguez Maradiaga (62 ans), le Brésilien Claudio Hummes, de Sao Paulo (70 ans) et l'Argentin José Maria Bergoglio, de Buenos Aires (68 ans).
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.02.05
Le cardinal allemand Josef Ratzinger fait figure de "grand électeur" incontesté du conclave qui décidera de la succession.
L'Eglise et le Vatican sont gouvernés depuis dix ans par un pape malade. Dès lors, trois types de questions n'ont cessé de se poser à l'opinion sur la capacité de Jean Paul II à tenir lui-même le gouvernail, sur les risques d'une démission ("renonciation" prévue par le droit de l'Eglise) et sur le choix de son successeur. Une résistance physique hors du commun avait semblé, un à un, déminer tous ces sujets. L'hospitalisation subite du pape oblige à reposer une à une ces questions.
C'est en septembre 1996 que son syndrome de Parkinson avait été annoncé par Joaquin Navarro-Valls, son porte-parole, et son médecin, le docteur Renato Buzzonetti. Depuis, en dépit de mises au point plus ou moins rassurantes, l'état de santé de Jean Paul II n'avait cessé de se dégrader.
Le pape a rarement interrompu ses activités. Ses visiteurs étaient à la fois surpris et admiratifs par son esprit, resté en éveil, et sa capacité de réaction à la triple manifestation de cette maladie : tremblements, akinésie (ralentissement des mouvements), raideur musculaire surtout au niveau de la bouche, altérant ses capacités d'élocution.
Mais le discours rassurant ne pouvait pas cacher la vérité : soumis à des traitements intensifs, le pape n'était plus "en forme" que par intermittences. Une arthrose au genou, conséquence d'une fracture mal soignée en 1992, lui avait imposé un fauteuil roulant pour se déplacer. Et surtout ses difficultés respiratoires inquiétaient de plus en plus son entourage.
Les hypothèses sur sa démission avaient toutefois cessé après août 2002. Elles avaient été ébauchées par des journalistes, régulièrement démenties par l'entourage et le pape lui-même, mais reprises publiquement - entraînant des polémiques sans fin - par quelques cardinaux, impressionnés à la fois par le courage du pape et une fidélité aussi douloureuse à sa mission. Des hommes bien en cour comme les cardinaux Josef Ratzinger, Godfried Danneels, Rodriguez Maradiaga n'avaient pas écarté l'hypothèse d'une "renonciation" si le pape ne se sentait plus en état d'exercer sa fonction.
La mise au point était venue de Jean Paul II lui-même, lundi 19 août 2002, symboliquement en terre polonaise, au sanctuaire de Kalwaria Zebrzydowska, au sud de Cracovie. Il s'était adressé en ces mots à la Vierge : "Donne-moi les forces physiques et spirituelles pour pouvoir remplir, jusqu'à la fin, la mission que le Christ m'a confiée." Jusqu'à la fin : l'équivoque n'était plus permise. Seule la mort ou la perte irréversible de ses forces physiques pourrait empêcher Jean Paul II de continuer de gouverner son Eglise. Il ne serait pas le premier pape des temps modernes à démissionner de son plein gré.
Logique de Dieu contre la logique des hommes. Continuer à gouverner, mais comment ? Finis les voyages au long cours. Ceux-ci sont en nombre et en durée réduits. Jean Paul II n'a fait en 2004 que deux visites hors d'Italie : en Suisse, en juin, et à Lourdes, en août. Son seul projet de voyage pour 2005 était celui de Cologne (Allemagne), pour les Journées mondiales de la jeunesse.
Sur le plan politique, son dernier grand combat aura été contre la guerre en Irak. Et surtout, le pouvoir pontifical s'est trouvé resserré autour d'un petit nombre d'hommes : Mgr Stanislas Dziwisz, un prêtre polonais amené dès 1978 de Cracovie, secrétaire particulier du pape et collaborateur de tous les instants, au pouvoir impressionnant. Puis le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'Etat, numéro deux de la Curie et surtout le cardinal Josef Ratzinger, inamovible préfet de la doctrine, élu en 2002 doyen du Sacré Collège des cardinaux, dont le poids n'a cessé de croître.
Aucune des grandes décisions de l'Eglise, depuis l'an 2000, n'a pu échapper à ce trio d'hommes, provoquant des "mauvaises humeurs" au sein de la Curie, des crispations doctrinales sur des sujets aussi divers que l'eucharistie (rappel de l'interdiction de l'hospitalité eucharistique pour les protestants), de l'attitude à adopter vis-à-vis des traditionalistes ou l'usage du préservatif, auquel le cardinal Georges Cottier "théologien du pape" vient de reconnaître quelque mérite dans la prévention du sida.
L'ascendant pris par le cardinal allemand Josef Ratzinger dans ces derniers mois du gouvernement de Jean Paul II en fait le "grand électeur" incontesté du prochain conclave. Depuis quelque semaines, des articles de presse en font même, malgré ses 77 ans, l'un des premiers favoris de l'élection, l'homme qui garantirait le mieux la continuité après Jean Paul II. Après tout, Jean XXIII, en 1958, n'avait-il pas été élu à 77 ans ?
Et si le cardinal Ratzinger ne devenait pas le prochain pape, il encouragerait l'élection d'un cardinal de gestion modéré, capable de décrisper l'Eglise, tout en évitant d'audacieuses réformes. Deux cardinaux italiens correspondent à ce profil : le cardinal Dionigi Tettamanzi, archevêque de Milan, (bientôt 71 ans) et le cardinal Angelo Scola, patriarche de Venise (64 ans).
Autant dire que tout choix en dehors d'un cardinal européen serait encore considéré comme aventureux. Il faudrait une révolution des esprits, dans les trois semaines qui séparent le décès du pape et l'ouverture du conclave, pour que quelques papabili latino-américains soient désignés. Les plus souvent cités restent le Hondurien Oscar Andres Rodriguez Maradiaga (62 ans), le Brésilien Claudio Hummes, de Sao Paulo (70 ans) et l'Argentin José Maria Bergoglio, de Buenos Aires (68 ans).
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.02.05
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