3.01.2005

Cardinal Philippe Barbarin : "Le Saint-Siège est rodé : tout est prêt à la Curie pour passer cette période difficile"

LE MONDE | 01.03.05
Entretien avec l'archevêque de Lyon.

Selon un communiqué publié lundi 28 février au Vatican, l'état de santé de Jean Paul II s'améliore "sans complications". Le pape a commencé "des exercices de réhabilitation respiratoire et phonique". Le Monde a rencontré le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, de passage au Vatican.

Croyez-vous que le pape puisse encore continuer à gouverner l'Eglise ?

Le Saint-Siège est rodé : tout est prêt à la Curie pour traverser cette période difficile. De son côté, le pape sait et saura toujours exprimer sa pensée personnelle, sa volonté sur ce que j'appelle l'essentiel : à savoir donner une parole de paix pour le monde et de compassion pour les victimes. Bien sûr, si demain une autre guerre arrivait, si un autre malheur survenait, il faudra qu'on entende la voix de l'Eglise. Mais, sur cet "essentiel", je n'ai pas de crainte : le pape saura se faire comprendre. Si, pour un temps, il n'était plus en mesure d'assurer sa prédication chaque mercredi aux pèlerins de Rome, ce ne serait pas grave.

N'est-on pas face à un vide ?

Le pape n'est pas un chef d'Etat comme les autres. Ce qui ne serait pas pensable au niveau d'un Etat l'est pour l'Eglise, qui n'est pas un Etat comme les autres. Bien sûr, ce silence peut paraître contradictoire avec la fonction d'un pape qui est d'annoncer la foi. Et son immobilité, contradictoire avec le rôle d'un pasteur qui est de marcher à la tête de son troupeau. Il n'empêche que, mystérieusement, Jean Paul II continue sa mission alors que, pour l'instant, il ne peut plus parler. Au début du christianisme, l'apôtre Pierre est celui qui parle et prêche, tandis que l'apôtre Jean qui l'accompagne ne parle pas, alors qu'il avait été le témoin des heures tragiques de la croix. Pierre fut-il pour autant meilleur apôtre que Jean ?

Faites-vous partie des cardinaux qui souhaitent un exercice du pouvoir moins solitaire ?

Dès le début, Jean Paul II a conçu sa mission comme celle d'un pape qui conduit son peuple en enseignant la foi ; il a fait entendre la voix des pays les plus pauvres, il a contribué à la réunification des chrétiens et au dialogue entre toutes les religions. Dans ces domaines, il a donné un témoignage extraordinaire. Mais bien que je connaisse peu Rome et la Curie, je ne crois pas que ce soit dans ces lieux que Jean Paul II ait déployé son énergie principale. Ce n'est pas là qu'il laissera sa trace. Peut-être que son successeur s'attellera à cette tâche, parce qu'il verra clairement les réformes nécessaires et qu'il saura les mettre en œuvre.

Comment interprétez-vous son "silence" ?

Quand il était le "sportif de Dieu", décrit en 1980 à Paris par le cardinal Marty, son témoignage était neuf et surprenant. C'est le même qu'il donne par son extrême faiblesse. Cela fait huit ou dix ans qu'on dit qu'il doit démissionner. Mais en huit ans, il a participé à trois JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) à Paris, Rome et Toronto. Il a fait "repentance" au Kotel de Jérusalem, "retournant" les juifs du monde entier. Il est entré en 2001, pour la première fois, dans une grande mosquée, à Damas.

Alors j'affirme que le pontificat de Jean Paul II, quand il est malade et épuisé, n'est pas moins fécond que quand il était jeune. Ce qui a été fait dans les huit dernières années est tout aussi important que ce qui a été fait dans les huit premières. L'image du vieil homme avec une canne, recueilli au mur des Lamentations en mars 2000 à Jérusalem, est aussi forte, pour moi, que celle d'octobre 1986 à Assise, quand il rassemblait tous les chefs religieux du monde. Son témoignage était éblouissant quand il était en forme. Il reste authentique et marquant dans son immense faiblesse.

Croyez-vous qu'il puisse démissionner ?

S'il avait voulu le faire, il l'aurait fait depuis longtemps. Les journalistes ont rapporté ce propos d'un médecin disant que, dans la maladie de Parkinson, la trachéotomie correspond à une étape de la phase terminale de la maladie. Le pape le sait. Il a dit qu'il irait jusqu'au bout de sa course, mais il peut évidemment changer d'avis. Je crois cependant que la question de la démission est vraiment derrière nous et que la poser actuellement est un manque de délicatesse. Notre mission aujourd'hui est d'accompagner le pape de notre affection et de notre prière. Que Dieu lui donne la paix intérieure et le courage dont il a besoin... pour avancer dans l'espérance !

Propos recueillis par Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 02.03.05
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