2.28.2005

A Rome, le Vatican s'organise en vue d'une hospitalisation longue du pape

LE MONDE | 28.02.05 | 13h48

Le secrétaire particulier de Jean Paul II, Mgr Stanislas Dziwiscz, occupe une place croissante.

Rome de notre envoyé spécial

La déception des pèlerins, dimanche 27 février à midi place Saint-Pierre, était perceptible. A Rome ou en voyage, le pape n'avait jamais manqué l'Angelus dominical. Pour la première fois depuis vingt-six ans, cloué sur son lit d'hôpital depuis sa rechute du 24 février, il ne devait pas être au rendez-vous. Seules des images fixes sur écran, le montrant dans la force de l'âge, étaient proposées à la méditation des pèlerins, et le message fut lu par Mgr Leonardo Sandri, son substitut, dans une relative indifférence.
Les fidèles placés devant l'immeuble sans âme de la polyclinique Gemelli et les téléspectateurs ont eu plus de chance. A la surprise générale, Jean Paul II est apparu derrière les fenêtres fermées de sa chambre, juste à la fin de l'Angelus. Les rideaux se sont ouverts lentement, laissant découvrir sa silhouette blanche. Il a béni et salué la foule, et même montré sa gorge, opérée jeudi pour la trachéotomie, avant de disparaître des écrans.
Cette image muette d'un homme réduit au silence après avoir harangué des foules pendant un quart de siècle, résume le drame qui se joue entre Gemelli et le Vatican. Un drame dont la clé se trouve dans le message qu'il a fait lire par son substitut : "Encore une fois, je m'adresse à vous de la polyclinique Gemelli. Je vous demande de continuer à m'accompagner par votre prière. Le Carême, que nous sommes en train de vivre, nous aide à mieux comprendre les valeurs de la souffrance qui, d'un monde à l'autre, nous touche tous." Puis : "Je voudrais que ce message de réconfort et d'espérance parvienne à tous, spécialement ceux qui traversent des moments difficiles, à ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur esprit."
C'est l'image d'un "père" malade qui identifie son combat à celui de tous les malades, qui accomplit sa mission "dans les moments les plus difficiles, comme il l'a fait dans les années faciles", commentaient dimanche les pèlerins place Saint-Pierre. Un père dont la maladie inquiète chaque jour davantage les siens. Jean Paul II serait dans un état satisfaisant et les résultats de ses examens sanguins ne présenteraient pas de signes alarmants, mais tout Rome sait déjà que cette deuxième hospitalisation sera très longue.
Les leçons ont été tirées d'un retour trop précoce au Vatican - voulu par le pape lui-même - le 10 février après son premier séjour à Gemelli et un maximum de précautions sont prises. Des sources médicales n'excluent pas qu'il doive garder définitivement la canule, le tube de plastique qui lui a été implanté à la base du cou pour faciliter l'alimentation en air de ses poumons. Il aura besoin de semaines, dit-on à Rome, pour recommencer à parler, s'il y parvient. Les plus optimistes évoquent un retour au Vatican pour les fêtes pascales fin mars.

UN "QUADRIUMVIRAT"

Face à cette situation inédite d'un pape empêché de parler et de donner des instructions, le Vatican s'organise. Dans l'improvisation. Officiellement, son gouvernement tourne autour d'une sorte de "quadriumvirat", composé des cardinaux Angelo Sodano, secrétaire d'Etat, Josef Ratzinger, gardien de la doctrine, Giovanni-Battista Ré, qui prépare les dossiers de nomination des évêques, et Camillo Ruini, vicaire de Rome, qui fait la liaison avec l'Eglise italienne. Mais, dans les hiérarchies informelles qui naissent à la fin de tout règne, deux hommes prennent une place croissante : Mgr Stanislas Dziwiscz, 65 ans, secrétaire particulier du pape depuis Cracovie, chargé d'organiser le cordon sanitaire autour de sa chambre d'hôpital, et Mgr Leonardo Sandri, son substitut, 61 ans.
Rome remue les souvenirs : dans les trois dernières années de son long pontificat (1939-1958), Pie XII ne parlait plus qu'à Mgr Domenico Tardini, son secrétaire d'Etat, et à sa gouvernante allemande, la redoutée Sœur Pasqualina. Demain, c'est "Don Stanislas" qui sera appelé à jouer ce rôle de recevoir les instructions d'un pape muet, par un signe de tête, par un mot griffonné, à décrypter ses intentions. C'est lui qui a demandé à Leonardo Sandri, le "substitut" (numéro trois de la Curie après le pape et le secrétaire d'Etat), un évêque argentin simple et chaleureux, très estimé au Vatican, de suppléer le pape, dimanche, pour lire le message de l'Angelus et donner la bénédiction aux fidèles.
Cet honneur n'est pas revenu au secrétaire d'Etat, Angelo Sodano, dont l'activisme, depuis le début de la maladie de Jean Paul II, fait l'objet de jugements divers à Rome et trahirait son ambition de jouer les premiers rôles à la mort du pape.
De même, c'est à la demande de Stanislas Dziwizsc que Mgr Renato Boccardo, le jeune organisateur des voyages de Jean Paul II, vient d'être promu vice-gouverneur de la Cité du Vatican, autrement dit l'homme qui a la haute main sur les services de l'Etat pontifical.

Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 01.03.05
-->