«Il y a une raison d’Eglise»
INTERVIEW:
Hier, pour la première fois de son pontificat, le pape n’a pas prononcé l’angélus dominical, mais est apparu à la fenêtre de la Clinique Gemelli. Christian Terras, rédacteur en chef du «Canard enchaîné de la presse catho» déplore les luttes d’influences qui gangrènent le Vatican.
Caroline Stevan
24 heures.ch, 27 février 2005
«Catholique libéral.» C'est ainsi que Christian Terras définit le milieu dont il est issu. L'homme a fondé en 1985 le mensuel Golias (12 000 exemplaires), également surnommé «le Canard enchaîné de la presse catho». Bête noire de bon nombre de fidèles, Christian Terras, lui-même croyant, est persuadé que son journal relève de «la salubrité publique, ecclésiale et chrétienne». Le journaliste, ainsi, publie chaque année son «Trombinoscope des évêques», dans lequel il décerne des mitres aux plus méritants: «Les évêques ont un réel pouvoir mais, contrairement aux politiciens, n'ont aucun retour sur leurs actes ou paroles.» Sans pitié aucune, la revue a également publié une liste de cent religieux impliqués dans le génocide rwandais. Souvent confronté aux tentatives de censure de l'Eglise, le mensuel est aussi évincé des librairies catholiques, qui sont légion dans la très pieuse région lyonnaise où il sévit. Pour le rédacteur en chef, le verrouillage de l'information concernant l'état de santé du pape révèle les dissensions internes au Vatican. Analyse.
- Comment analysez-vous les derniers événements?
- On ne peut pas compter sur la fiabilité et la véracité des informations concernant la santé du pape. Les communiqués ne sont pas faits par des médecins mais par la salle de presse. Au lieu de sortir de l'hôpital il y a quinze jours, le pape aurait dû rester une semaine de plus afin de récupérer au mieux. Mais il y a une raison d'Eglise comme il y a une raison d'Etat et l'on a voulu montrer qu'il tenait toujours le gouvernail du bateau de Saint-Pierre.
- Comment expliquez-vous cette attitude?
- Ce verrouillage relève de la tradition de l'Eglise: on communique a minima. On veut nous faire croire que le pape est infaillible et immortel, qu'il tiendra jusqu'au bout, même s'il n'entend plus, ne parle plus et n'est lucide que deux heures par jour. La vacance du pouvoir est évidente depuis un mois, mais le Vatican cherche à éviter une instrumentalisation par certains groupes fondamentalistes qui ne doivent leur existence qu'à Jean-Paul II. Ces derniers, tels l'Opus Dei, les cercles charismatiques ou Communication et Libération, cherchent à assurer la succession du pape sur une même base idéologique: restauratrice, voire fondamentaliste. Le livre de Jean-Paul II est d'ailleurs révélateur de la stratégie de ces groupes qui, à travers ce «testament spirituel», tentent de se conférer une légitimité. Ils surfent sur l'obstination du pape à rester au pouvoir afin de garantir leur avenir.
- Le Vatican est-il en butte à des luttes intestines?
- Une institution comme l'Eglise, sous couvert d'Esprit-Saint et de grandes valeurs, n'en est pas moins à l'abri des jeux de pouvoir et des rapports de force. Les récentes déclarations du cardinal Cottier sur le préservatif prouvent que des voix réformistes s'élèvent à l'intérieur de l'Eglise. Plusieurs camps se distinguent: les ultra-conservateurs, les plus modérés et les libéraux qui ne peuvent rien dire aujourd'hui sur le pape mais n'en pensent pas moins. Ceux-là sont conscients qu'il faut régler les problèmes de l'Eglise sous peine d'aller au-devant d'un schisme rampant, comme aux Etats-Unis ou en Allemagne.
- Comment imaginez-vous la succession du pape?
- Le conclave se décidera certainement sur un candidat italien. Parmi les conservateurs, ce pourrait être l'archevêque de Venise, Mgr Scola - mais il est sans doute trop jeune et trop proche de Communication et Libération - ou le cardinal Sepe, qui a la main basse sur les Eglises des pays en développement. Parmi les libéraux, le cardinal Tettamanzi est un homme rond, qui a donné des gages à gauche comme à droite. Il est un peu le Raymond Barre de la curie romaine. Le conclave devra aussi prendre en compte la donne sud-américaine, puisque 45% des catholiques du monde viennent de cette région. Plus le système voudra faire perdurer Jean-Paul II dans cette espèce de simulacre, plus le conclave risque de prendre le contre-pied et d'élire un candidat porté sur les réformes.
- Pensez-vous que le pape doive démissionner?
- Jean-Paul II ferait preuve d'une grande responsabilité et d'un certain prosélytisme en reconnaissant qu'il est à bout de force. Cela permettrait d'éviter le climat malsain et les luttes d'influence qui prévalent aujourd'hui. Cette mise en scène sacrificielle, cette exaltation de la souffrance identifiée au calvaire du Christ ne servent ni le message de l'Eglise ni celui de l'Evangile. Il y a là une réminiscence historique de fin de dictature, comme celle de Brejnev ou de Franco. Le double visage du pape le rend à la fois insaisissable et attachant: sa modernité, certains gages qu'il a pu donner sur les droits de l'homme restent des affichages qui n'ont jamais été suivis d'effets. Comment peut-on se montrer à Assises avec des bouddhistes et des musulmans et affirmer dans une encyclique que le salut du monde ne relève que de l'Eglise catholique?
- Quelles réformes préconisez-vous pour le salut de l'Eglise?
- L'Eglise souffre d'un absolutisme et d'une concentration des pouvoirs regrettable. L'urgence est de donner de l'oxygène aux Eglises locales et à la théologie, étouffée comme jamais sous ce pontificat. Réfléchir sur les questions d'éthique sexuelle, d'acculturation, du rôle de la femme, y compris dans les ministères… Sortir de cet obscurantisme du permis et du défendu. L'Eglise s'est arc-boutée sur une tradition moralisatrice qui ne correspond plus à la réalité. Il faut qu'elle sorte de cette attitude suspicieuse par rapport à l'individu et qu'elle le laisse libre de ses choix quant à la contraception, au divorce… Ce catholicisme inébranlable ne peut répondre à la quête de sens des gens aujourd'hui. L'Eglise ne pourra faire l'économie d'une reconstruction de son message. Le défi du Vatican est moins institutionnel que culturel. Le fait que le système joue à la fois comme grande religion du monde et comme Etat est également discutable. User du jeu politique pour faire passer des messages d'ordre spirituel relève de la confusion des genres.
Hier, pour la première fois de son pontificat, le pape n’a pas prononcé l’angélus dominical, mais est apparu à la fenêtre de la Clinique Gemelli. Christian Terras, rédacteur en chef du «Canard enchaîné de la presse catho» déplore les luttes d’influences qui gangrènent le Vatican.
Caroline Stevan
24 heures.ch, 27 février 2005
«Catholique libéral.» C'est ainsi que Christian Terras définit le milieu dont il est issu. L'homme a fondé en 1985 le mensuel Golias (12 000 exemplaires), également surnommé «le Canard enchaîné de la presse catho». Bête noire de bon nombre de fidèles, Christian Terras, lui-même croyant, est persuadé que son journal relève de «la salubrité publique, ecclésiale et chrétienne». Le journaliste, ainsi, publie chaque année son «Trombinoscope des évêques», dans lequel il décerne des mitres aux plus méritants: «Les évêques ont un réel pouvoir mais, contrairement aux politiciens, n'ont aucun retour sur leurs actes ou paroles.» Sans pitié aucune, la revue a également publié une liste de cent religieux impliqués dans le génocide rwandais. Souvent confronté aux tentatives de censure de l'Eglise, le mensuel est aussi évincé des librairies catholiques, qui sont légion dans la très pieuse région lyonnaise où il sévit. Pour le rédacteur en chef, le verrouillage de l'information concernant l'état de santé du pape révèle les dissensions internes au Vatican. Analyse.
- Comment analysez-vous les derniers événements?
- On ne peut pas compter sur la fiabilité et la véracité des informations concernant la santé du pape. Les communiqués ne sont pas faits par des médecins mais par la salle de presse. Au lieu de sortir de l'hôpital il y a quinze jours, le pape aurait dû rester une semaine de plus afin de récupérer au mieux. Mais il y a une raison d'Eglise comme il y a une raison d'Etat et l'on a voulu montrer qu'il tenait toujours le gouvernail du bateau de Saint-Pierre.
- Comment expliquez-vous cette attitude?
- Ce verrouillage relève de la tradition de l'Eglise: on communique a minima. On veut nous faire croire que le pape est infaillible et immortel, qu'il tiendra jusqu'au bout, même s'il n'entend plus, ne parle plus et n'est lucide que deux heures par jour. La vacance du pouvoir est évidente depuis un mois, mais le Vatican cherche à éviter une instrumentalisation par certains groupes fondamentalistes qui ne doivent leur existence qu'à Jean-Paul II. Ces derniers, tels l'Opus Dei, les cercles charismatiques ou Communication et Libération, cherchent à assurer la succession du pape sur une même base idéologique: restauratrice, voire fondamentaliste. Le livre de Jean-Paul II est d'ailleurs révélateur de la stratégie de ces groupes qui, à travers ce «testament spirituel», tentent de se conférer une légitimité. Ils surfent sur l'obstination du pape à rester au pouvoir afin de garantir leur avenir.
- Le Vatican est-il en butte à des luttes intestines?
- Une institution comme l'Eglise, sous couvert d'Esprit-Saint et de grandes valeurs, n'en est pas moins à l'abri des jeux de pouvoir et des rapports de force. Les récentes déclarations du cardinal Cottier sur le préservatif prouvent que des voix réformistes s'élèvent à l'intérieur de l'Eglise. Plusieurs camps se distinguent: les ultra-conservateurs, les plus modérés et les libéraux qui ne peuvent rien dire aujourd'hui sur le pape mais n'en pensent pas moins. Ceux-là sont conscients qu'il faut régler les problèmes de l'Eglise sous peine d'aller au-devant d'un schisme rampant, comme aux Etats-Unis ou en Allemagne.
- Comment imaginez-vous la succession du pape?
- Le conclave se décidera certainement sur un candidat italien. Parmi les conservateurs, ce pourrait être l'archevêque de Venise, Mgr Scola - mais il est sans doute trop jeune et trop proche de Communication et Libération - ou le cardinal Sepe, qui a la main basse sur les Eglises des pays en développement. Parmi les libéraux, le cardinal Tettamanzi est un homme rond, qui a donné des gages à gauche comme à droite. Il est un peu le Raymond Barre de la curie romaine. Le conclave devra aussi prendre en compte la donne sud-américaine, puisque 45% des catholiques du monde viennent de cette région. Plus le système voudra faire perdurer Jean-Paul II dans cette espèce de simulacre, plus le conclave risque de prendre le contre-pied et d'élire un candidat porté sur les réformes.
- Pensez-vous que le pape doive démissionner?
- Jean-Paul II ferait preuve d'une grande responsabilité et d'un certain prosélytisme en reconnaissant qu'il est à bout de force. Cela permettrait d'éviter le climat malsain et les luttes d'influence qui prévalent aujourd'hui. Cette mise en scène sacrificielle, cette exaltation de la souffrance identifiée au calvaire du Christ ne servent ni le message de l'Eglise ni celui de l'Evangile. Il y a là une réminiscence historique de fin de dictature, comme celle de Brejnev ou de Franco. Le double visage du pape le rend à la fois insaisissable et attachant: sa modernité, certains gages qu'il a pu donner sur les droits de l'homme restent des affichages qui n'ont jamais été suivis d'effets. Comment peut-on se montrer à Assises avec des bouddhistes et des musulmans et affirmer dans une encyclique que le salut du monde ne relève que de l'Eglise catholique?
- Quelles réformes préconisez-vous pour le salut de l'Eglise?
- L'Eglise souffre d'un absolutisme et d'une concentration des pouvoirs regrettable. L'urgence est de donner de l'oxygène aux Eglises locales et à la théologie, étouffée comme jamais sous ce pontificat. Réfléchir sur les questions d'éthique sexuelle, d'acculturation, du rôle de la femme, y compris dans les ministères… Sortir de cet obscurantisme du permis et du défendu. L'Eglise s'est arc-boutée sur une tradition moralisatrice qui ne correspond plus à la réalité. Il faut qu'elle sorte de cette attitude suspicieuse par rapport à l'individu et qu'elle le laisse libre de ses choix quant à la contraception, au divorce… Ce catholicisme inébranlable ne peut répondre à la quête de sens des gens aujourd'hui. L'Eglise ne pourra faire l'économie d'une reconstruction de son message. Le défi du Vatican est moins institutionnel que culturel. Le fait que le système joue à la fois comme grande religion du monde et comme Etat est également discutable. User du jeu politique pour faire passer des messages d'ordre spirituel relève de la confusion des genres.
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