4.21.2005

Attaqué sur son conservatisme, Benoît XVI nuance son discours

LE MONDE | 21.04.05 | 15h45  •  Mis à jour le 21.04.05 | 15h45
Rome de notre envoyé spécial

Sous le cardinal Ratzinger perce Benoît XVI. Comme si l'élection au trône de Pierre avait transformé le grand commis de l'Eglise en une figure de "pasteur" qu'on ne lui connaissait pas. La mutation ne se fera pas en un jour. Benoît XVI n'a pas le charisme des foules de Jean Paul II, l'énergie de sa poignée de main et de sa parole.
Mais la première journée du nouveau pape, mercredi 20 avril, a révélé un style qui n'est déjà plus celui de l'intellectuel discret et timide qu'il était, derrière son bureau de l'ex-Saint-Office. Il a commencé à apprendre son métier de pape. Il est allé saluer ses anciens collaborateurs à la congrégation pour la doctrine de la foi, puis, avec émotion, a ôté les scellés de l'appartement pontifical posés après le décès de Jean Paul II. Il s'est assis au bureau de son prédécesseur et a signé un document de son nouveau nom. Mais, avant d'occuper des lieux qui doivent être aménagés, il séjournera à la maison Sainte-Marthe. Dans l'après-midi, Benoît XVI a pris son premier bain de foule à la sortie de l'appartement qu'il habitait, Citta Leonina, près du Vatican. Il a embrassé des enfants, répondu aux salutations de la foule, incrédule de le voir là, avant de repartir à bord d'une Mercedes noire. Le sourire est franc, le geste cordial et ample. Est-ce l'homme qui a changé ou le regard posé sur lui ?
Le discours, lui, a changé. L'homélie que le nouveau pape a lue, en latin, lors de la messe de clôture du conclave, mercredi 20 à l'aube, était moins crispée que celle prononcée avant le conclave. Comme s'il voulait donner des gages, rassurer les progressistes qui s'interrogent sur sa fidélité au concile Vatican II, et les partisans du dialogue oecuménique qui se méfient de lui.
Le mystère de son élection si rapide est levé. Les premières indiscrétions ont révélé que le courant réformateur du conclave - très minoritaire et sans leader - s'est vite rallié au vote pro-Ratzinger. En revanche, la perplexité règne sur ses intentions. Faut-il continuer à voir en Benoît XVI l'homme d'une congélation de la "vérité" catholique, agressée par le monde moderne, ou l'avocat, qu'il fut mercredi d'"une Eglise plus courageuse, plus libre, plus jeune, qui regarde avec sérénité le passé et n'a pas peur du futur" ?
Benoît XVI n'a pas choisi le nom des papes du concile (Jean XXIII, Paul VI), mais cela ne veut pas dire qu'il soit un pape "antimoderniste". "Je veux affirmer avec force, a-t-il dit, la décisive volonté de poursuivre l'engagement de la réalisation du concile Vatican II, sur les traces de mes prédécesseurs et dans la fidèle continuité avec la tradition bimillénaire de l'Eglise."
Dans son homélie aux obsèques de Jean Paul II, celui qui n'était encore que le doyen du Sacré Collège n'avait pas fait une seule référence au concile Vatican II.
Mais quelle interprétation faire de cet événement d'il y a quarante ans ? Le concile, mais rien que le concile, disait le cardinal Ratzinger. Les progressistes répondaient : le concile, mais tout le concile !
Le nouveau pape ne reviendra jamais sur ses condamnations passées (de l'homosexualité à l'ordination des femmes), mais certains s'attendent à des assouplissements - en faveur des Eglises locales - sur le mode d'exercice du pouvoir pontifical et l'extrême centralisation du catholicisme.
Sur la relance du dialogue avec les autres confessions, Benoît XVI a aussi tenté de rassurer. Il veut marcher dans les pas de Jean Paul II. "Le nouveau pape s'engage, a-t-il dit, à oeuvrer sans relâche à reconstituer la pleine et visible unité de tous les fidèles du Christ. Telle est son ambition, le devoir urgent qui l'appelle. Il est conscient que les déclarations et les bons sentiments ne suffiront pas, car il faut des gestes concrets qui émeuvent les consciences. C'est la condition de tout progrès dans la voie de l'oecuménisme." Il a repris le thème, cher à Jean Paul II, de la "purification de la mémoire", seule capable d'affronter les désaccords historiques.
Mais quels "gestes concrets" ? L'archevêque de Canterbury (anglicans), Mgr Rowan Williams, a applaudi à son élection, de même que la Fédération luthérienne mondiale qui se souvient de l'accord historique que le cardinal Ratzinger avait permis de signer, en 1999, sur la "justification par la foi" qui, il y a quatre siècles, avait condamné Martin Luther. Mais pour les orthodoxes de Russie, son élection ne change rien au contentieux historique et théologique qui oppose Rome à Moscou. Les engagements pris par Benoît XVI demandent à être vérifiés chez un homme qui s'est toujours montré plus préoccupé par l'affirmation de la vérité catholique que par la réunification entre des Eglises qui bute sur l'"obstacle" (Paul VI) de la primauté de l'évêque de Rome.
Sa bonne volonté semble totale vis-à-vis des religions non-chrétiennes. Le cardinal Ratzinger a approuvé les initiatives de Jean Paul II dans le rapprochement avec le judaïsme et son élection suscite de la satisfaction dans les milieux juifs et en Israël. Mais l'affirmation de tous ses documents que Jésus-Christ est le "seul médiateur" entre Dieu et les hommes, les condamnations des théologiens qui ne le suivaient pas sur ce point, ne sont pas rassurantes pour ceux qui croient au dialogue du catholicisme avec l'islam ou les grandes traditions asiatiques.
C'est le point sur lequel le nouveau pape est resté le plus vague mercredi : "L'Eglise entend poursuivre avec les religions non-chrétiennes un dialogue ouvert et sincère. Je n'écarterai aucun effort pour poursuivre le dialogue prometteur engagé par mes prédécesseurs avec les divers courants de civilisation."

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 22.04.05
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