11.11.2005

Les héritiers de Foucauld

11-11-2005

Quatre-vingt-neuf ans après sa mort, Charles de Foucauld est béatifié dimanche 13 novembre à Rome. Même s'il n’a créé aucun ordre, la famille foucauldienne est nombreuse. Son procès en béatification a fait l'objet d'une longue enquête de personnalité
De la vie de Charles de Foucauld, faite de ruptures et de recherches, certains retiennent d’abord sa quête éperdue de l’imitation du Christ dans le dénuement et la pauvreté. Il suffit de lire son emploi du temps quotidien, extrêmement minuté, pour se rendre compte à quel point il a été marqué par son passage à la Trappe. Il est resté moine jusqu’à la fin de ses jours, priant de longues heures, se nourrissant du minimum – souvent même en deçà du minimum –, dormant assez peu pour se ménager un temps d’adoration du Saint Sacrement.
Pour autant, il a voulu mener cette vie au milieu des gens et pas n’importe où : là où l’Évangile n’avait pas été annoncé. Il y avait donc chez lui cette volonté d’aller porter l’hostie – c’est la raison pour laquelle il a voulu être prêtre – dans les colonies françaises de religion musulmane. Il était donc bien également missionnaire.
Sans vouloir entretenir une fausse querelle, Jean-François Six, Maurice Serpette et Pierre Sourisseau ont pris le parti de se cantonner aux écrits et à la pensée de Charles de Foucauld à la fin de sa vie. C’est-à-dire au moment où, installé à Tamanrasset, il commençait à voir clair en lui-même, entre 1908 et 1916.
D’où le titre de leur livre : Le Testament de Charles de Foucauld (1). Même s’il était encore tiraillé entre plusieurs « appels », au moins savait-il à ce moment-là ce qu’il venait faire au Sahara et ce que pourrait être cette « confrérie » dont il rêvait, cette association clérico-laïque qui n’était donc pas un ordre religieux et qu’il appellera l’Union des Frères et Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus.
«Il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux»
Les trois auteurs ont effectué un travail de fourmis et d’exégètes. On connaît bien la recherche obstinée de Jean-François Six, mais on n’a pas suffisamment souligné l’immensité du travail d’historien de Pierre Sourisseau. Pour la postulation, c’est lui qui a effectué le plus gros travail de documentation et de vérification et il est maintenant l’exact connaisseur de la vie du frère universel. Son apport dans ce livre et dans la démarche pour la béatification de Foucauld a été précieux et essentiel.
Qu’apprend-on dans ce « testament » ? Tout d’abord que Charles de Foucauld entrait bel et bien dans l’idée alors admise de coloniser l’Algérie. Comme la plupart des Français de cette époque, à l’image d’un Jules Ferry qui, à la Chambre des députés, déclarait sans ambages : « Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »
Charles de Foucauld le voyait bien ainsi, même s’il insistait sur les devoirs des nations colonisatrices et s’il y ajoutait le verbe « évangéliser ». Il n’est pas en Algérie pour servir d’auxiliaire à l’administration française mais pour apporter l’Évangile, car il lui est insupportable de savoir que ces populations délaissées n’ont jamais entendu parler du Christ. Il ne cherche pas tant à en faire des chrétiens – on sait bien qu’à la fin de sa vie, après quinze années passées au Sahara, il n’aura fait aucune conversion – qu’à leur apporter au moins un autre discours.
Il évoque pour ces populations et dans un premier temps une «religion naturelle». « Il ne s’agit pas d’une évangélisation proprement dite, je n’en suis ni digne ni capable et l’heure n’est pas venue. C’est le travail préparatoire à l’évangélisation, la mise en confiance, en amitié. » Les auteurs du livre traduisent ainsi la volonté du frère universel : « Le développement d’une morale naturelle et d’une religion naturelle lui apparaît comme une ouverture pour la foi chrétienne. » Et ils reprennent cette phrase de Charles de Foucauld : « Il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux. »
Dans ce Testament de Charles de Foucauld, il est bien expliqué qu’il ne se départait jamais d’une double démarche qui consistait à élever parallèlement le niveau de vie culturelle et spirituelle des Touaregs. « Tâcher, par la parole et l’exemple, de les porter à une vie meilleure et conforme à la religion naturelle ; développer leur instruction, leur donner une instruction égale à la nôtre. (…) Prêcher Jésus aux Touaregs, je ne crois pas que Jésus le veuille, ni de moi ni de personne. Ce serait le moyen de retarder, non d’avancer leur conversion. Cela les mettrait en défiance, les éloignerait, loin de les rapprocher. »

«Une révolution dans l’Église»

Et pour ce travail, nous disent les auteurs, il imagine de faire venir incognito des prêtres, de remplacer les religieuses par des « infirmières laïques » « tout à Jésus de cœur » et bien sûr des laïcs, célibataires ou en couples. C’est le deuxième grand apport de ce livre que de suivre le projet, parfois compliqué, de Charles de Foucauld d’une Confrérie dont le mot est apparu en 1908. Un véritable parcours du combattant, fort bien raconté ici. Quelle lutte ! quelle obstination ! que d’énergie a-t-il dépensée, en venant plusieurs fois en France, pour mettre sur pied cette association spirituelle appelée « pieuse union ».
À dire vrai, il a beaucoup changé d’idée au niveau de la structure à mettre en place, mais il a toujours conservé les mêmes trois buts à ceux qui voudraient le suivre. Imiter Jésus, c’est le premier but. Il concerne la conversion personnelle, conversion quotidienne à travers des actes qui se réfèrent au Jésus de l’Évangile. Le deuxième but concerne la manifestation d’une vie de foi centrée sur Jésus dans l’Eucharistie.
Le troisième porte sur l’évangélisation. Charles de Foucauld voulait mobiliser des laïcs. Il revient souvent sur l’exemple de Priscille et Aquila, le couple ami de saint Paul qui voyaient, écrit Foucauld « ceux que le prêtre ne voit pas, pénétrant là où il ne peut pénétrer, allant à ceux qui le fuient, évangélisant par un contact bienfaisant, une bonté débordant sur tous, une affection toujours prête à se donner. »
Il propose non pas un ordre religieux de plus mais une « Union » qui, écrivent les auteurs du Testament « serait une révolution dans l’Église en tant que communauté évangélique et évangélisatrice, une communauté nomade en ce sens que ses membres sont dispersés mais qu’ils n’agissent pas en ordre dispersé : ils sont réunis dans la Communion des saints. »
Cette Union, poursuivie par Louis Massignon après la mort de Foucauld, existe toujours, sous la forme non pas de «fraternités», mais par des adhésions personnelles. Animée par Jean-François Six, il s’agit d’une confrérie très souple, sans hiérarchie intérieure, composée de fidèles, prêtres et laïcs, religieux, mariés, célibataires. Le P. Six les présente comme des « missionnaires de commencement » appelés à un « défrichement évangélique ». Expression bien foucauldienne.

Dominique GERBAUD

(1) Le testament de Charles de Foucauld, de Jean-François Six, Maurice Serpette, Pierre Sourisseau. Fayard, 300 p., 18 €.

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Les cérémonies liées à la béatification
À Rome

Le samedi 12 novembre, à 16 heures, en l’église abbatiale des Trappistes de Tre Fontane, à proximité de la Fraternité générale des Petites Sœurs de Jésus, via di Acque Salvie, 00142 Roma, aura lieu, sous la présidence de Mgr François Blondel, évêque de Viviers, une méditation sur le message spirituel du P. de Foucauld , qui sera suivie d’un temps d’adoration du Saint Sacrement, au moins jusqu’à 18 h 30.

Le dimanche 13 novembre, à 10 heures, béatification de Charles de Foucauld en la basilique Saint-Pierre de Rome, au cours de la messe concélébrée sous la présidence du cardinal Saraiva Martins, préfet de la Congrégation des causes des saints. Pour y assister, un billet d’entrée à basilique sera nécessaire (1).

Le lundi 14 novembre, à 9 h 30, messe d’action de grâce en l’honneur du bienheureux Charles de Foucauld , sous la présidence de Mgr Claude Rault, évêque de Laghouat-Ghardaïa, en l’église abbatiale des Trappistes de Tre Fontane.


À Strasbourg

Charles de Foucauld étant né à Strasbourg, sa béatification sera suivie de près en Alsace. Journée diocésaine le samedi 19 novembre, à la cathédrale de Strasbourg, par les religieux de la famille spirituelle de Charles de Foucauld présents en Alsace.

De 13 heures à 18 heures, adoration à la crypte. De 13 heures à 16 heures, vidéo sur la vie du saint à la chapelle Saint-Michel, toutes les 30 minutes. Au même endroit, à 16 heures, conférence sur son itinéraire spirituel. À 18 h 30, messe présidée par Mgr Joseph Doré. Le 21 novembre, Michel Reeber, prêtre strasbourgeois spécialiste de l’islam, donnera une conférence sur « Charles de Foucauld et les droits de l’homme » à 20 h 30, chez les dominicains, 42, rue de l’Université. Enfin, tout au long de l’année 2006, une exposition itinérante présentera la vie et le parcours de Charles de Foucauld .


(1) Le billet requis pourra être retiré au Centre pastoral d’accueil de Saint-Louis-des-Français, via Santa Giovanna d’Arco, 10, 00186 Roma (tél. [0039] 06.68.80.38.15). À partir du vendredi 11, de 14 h 30 à 19 h 30, au n° 5 (porterie de Saint-Louis-des-Français). Le samedi 12, de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h 30 à 17 heures, au n° 10 (centre pastoral).

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Les premières foucauldiennes
Elles furent des précurseurs. Fondées en 1933, les Petites Sœurs du Sacré-Cœur furent les premières à se prévaloir de Charles de Foucauld. « Comme lui, dit Sœur Lucile, nous pensons qu’il y a une pauvreté du monde à vivre au quotidien. Comme lui, nous sommes des contemplatives au milieu du monde. Comme lui nous mettons l’accent sur la prière, l’adoration de l’eucharistie et nous voulons regarder Dieu agissant auprès des plus démunis. Ce regard fait partie de notre contemplation. »

Les Petites Sœurs du Sacré-Cœur constituent une toute petite famille. « Nous n’avons jamais été plus d’une cinquantaine et c’est un peu notre richesse d’être peu nombreuses, limitées. », dit encore Sœur Lucile.

Elles sont sept à vivre à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, dans un pavillon qui sert aussi de quartier général à la Fraternité. Toutes les Petites Sœurs du Sacré-Cœur vivent au milieu des pauvres. « C’est une présence d’amitié et nous faisons du bénévolat auprès des femmes les plus démunies. » Elles sont onze en France, sept à Rosny et quatre à Romans-sur-Isère, les autres se trouve en Bolivie, en Tunisie, à Tamanrasset, en Espagne et au Mali.

Tout en étant intégrées à la paroisse de Rosny-sous-Bois, elles ont adopté une vie assez proche de celle de Charles de Foucauld avec une heure de prière le matin, une heure d’adoration dans la journée et des temps de prière communautaire. L’oratoire est la pièce la mieux aménagée. « On ne lésine pas sur la grandeur de l’oratoire car on y passe beaucoup de temps. »
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