Vatican II, quarante ans après
[La Croix, 2/12/2005]
Le 8 décembre 1965, Paul VI clôturait le grand concile du XXe siècle, ouvert en 1962 par Jean XXIII. Quatre décennies plus tard, Vatican II n'a pas fini de produire ses fruits
Archevêque de Rouen depuis un an et demi, Mgr Jean-Charles Descubes veut faire du 40e anniversaire de la clôture du concile Vatican II un temps fort de relecture et d’approfondissement. « Je suis persuadé, explique-t-il, qu’il faut du temps pour s’approprier un événement comme le Concile. J’ai aussi le sentiment que certaines intuitions conciliaires n’ont pas été suffisamment exploitées. On en vit bien souvent, mais il faut davantage en prendre conscience. » C’est pourquoi, du 25 novembre au 4 décembre, les doyennés du diocèse ont été invités à réfléchir sur les grands textes du Concile à partir de sept thèmes principaux.
Ainsi, le thème de l’évangélisation a été confié au doyenné de Rouen-Nord, la liberté religieuse au doyenné de Dieppe, l’Église dans son rapport au monde au doyenné du pays de Caux… En point d’orgue de cette semaine, un grand rassemblement de tous les diocésains se déroulera à la cathédrale de Rouen le dimanche 11 décembre (15 h 30) pour «Vivre aujourd’hui l’espérance du Concile».
8 décembre 1965-8 décembre 2005. Quarante ans ! Certains s’en souviennent avec enthousiasme, et parfois nostalgie. Le Concile fut pour eux le terreau où leur foi s’est nourrie et a grandi. Presque naturellement. « Quelle espérance nous a habités pendant le Concile, témoigne le P. Michel Patureau, prêtre, né en 1928… Hélas, cette grande espérance s’est peu à peu estompée. À nouveau est revenue la tentation de repli au cœur de la forteresse, dont les fenêtres ne se seront entrouvertes qu’un instant. »
«Je me sens totalement une enfant du Concile»
Pour le P. Henri Denis, 85 ans, qui fut expert à Vatican II, d’importants acquis demeurent, comme la réforme liturgique, la reconnaissance de la liberté religieuse, le dialogue interreligieux. Mais, estime-t-il, d’autres chantiers pleins d’avenir comme l’œcuménisme, le rapport de l’Église au monde, l’Église peuple de Dieu ou la collégialité épiscopale n’ont pas eu les fruits attendus.
D’autres, en particulier tout ce qui a trait au corps et à la sexualité, ont été refusés et refoulés. « On a retrouvé l’unité du peuple de Dieu, analyse le P. Antoine Guggenheim, de l’École Cathédrale de Paris. Je crois que c’est un acquis, même si on n’a pas tout mis en œuvre et que des conséquences doivent en être tirées. »
Pour la plupart de ceux qui, témoins ou historiens, ont vécu le Concile « en train de se faire », ce fut un événement fondateur, une bouffée d’air incroyable, une grande étape dans l’histoire de l’Église catholique et dans leur propre histoire.
Beaucoup de catholiques se sont tout de suite sentis à l’aise dans cette Église qui s’ouvrait toute grande à la vie des hommes et au souffle de l’Esprit. « J’ai été bercé là-dedans », confie François Boëdec, jésuite, né en 1962. « Je me sens totalement une enfant du Concile », affirme Marie-Paulette, religieuse née en 1966.
«Un petit quart d’heure de folie de Jean XXIII»
Certains diocèses, comme celui de Poitiers, ont très tôt cherché à s’appuyer sur le Concile pour définir leurs orientations. « La mise en place des “communautés locales (1)” a été pensée ici comme une mise en œuvre du Concile, explique Éric Boone, théologien laïc, directeur du Centre théologique de Poitiers. À la suite de Gaudium et spes, nous avons beaucoup réfléchi à la question de la proximité, à ce que signifie une Église dans la société, non en opposition mais insérée au cœur du monde de ce temps. Chaque communauté locale associe une équipe de base – composée de laïcs appelés et élus – et un territoire qui n’est pas défini en fonction des clochers, mais à partir des réalités du terrain. » Pour Mgr Rouet, l’enjeu est de « passer de l’état de laïcs qui tournent autour du prêtre » au statut de communautés réelles responsables, avec un prêtre à leur service.
L’histoire de la réception du Concile n’est pourtant pas simple. Dès le départ, au sein même de la curie romaine et parmi les fidèles, des oppositions et des tensions se sont manifestées. Le Concile, « né d’un petit quart d’heure de folie de Jean XXIII », selon une raillerie toujours en cours, était dangereux. Ces courants n’ont pas désarmé. Il est vrai que certains textes conciliaires, fruits de négociations et de compromis entre des théologies opposées, peuvent donner lieu à des interprétations contradictoires.
Quarante ans après, la manière de lire les textes demeure une grande interrogation et crée toujours des clivages. Pour beaucoup, les divergences sont pensées à partir d’une grille de lecture « politique » bipolaire (progressisme-traditionalisme, Église-société…) qui ne suffit pas, fait remarquer le P. Christoph Theobald, théologien jésuite au Centre Sèvres à Paris. « Le Concile nous met sur une ligne de crête, avec la possibilité de tomber à droite ou à gauche, dans la sécularisation ou l’identitaire », analyse de son côté le P. Guggenheim.
En fait, en France tout au moins, beaucoup, surtout parmi les plus jeunes, ignorent ce que fut le Concile, qui reste « un objet flou ». « Je me souviens seulement de quelques changements à la messe, notamment du passage du latin au français », indique Marilyn Bayon, 49 ans, responsable de catéchèse à Sevran (Seine-Saint-Denis) depuis plusieurs années.
«Quel chemin parcouru depuis le Concile ?»
Elle n’a découvert les textes du Concile que récemment à l’occasion d’une formation. « C’est en étudiant Gaudium et spes que, pour la première fois, j’ai pris conscience de la place du baptisé. Je ne pensais pas que les laïcs avaient un rôle aussi important dans l’Église. »
« Dans les jeunes générations que je fréquente (les 25-40 ans), observe le P. François Boëdec, rédacteur en chef de la revue Croire aujourd’hui, le Concile n’est pas suffisamment connu et reconnu. Beaucoup manquent de sens historique, et se contentent de clichés et d’a priori. Ils ne mesurent absolument pas les enjeux ecclésiaux de l’événement. » « Des étudiants, souvent séminaristes, ne connaissent pas le Concile et lisent les textes comme on en lit d’autres, confirme le P. Antoine Guggenheim. Avec eux nous avons un travail tout particulier à faire, leur montrer pourquoi ce concile-là s’est déroulé à ce moment-là. »
Le P. Pierre-Yves Pecqueux, directeur du séminaire interdiocésain d’Orléans, milite aussi pour le retour aux textes. « Pour toutes les matières, les séminaristes sont invités dès la première année à naviguer à travers Vatican II. À la fin de leurs études, ils doivent systématiquement reparcourir les documents conciliaires avec une grille de lecture : Comment en est-on arrivé au texte ? Quels sont les enjeux pour l’Église ? Quel chemin parcouru depuis le Concile ? »
« Se réclamer de “l’esprit” du Concile peut n’être que l’expression d’une volonté d’ouverture, le signe d’un vague libéralisme, prévient le P. Theobald. Mais ce peut être aussi quelque chose de beaucoup plus fin qui consiste à retrouver l’esprit de la lettre du Concile – historiquement située –, et à renvoyer à l’esprit du Concile qui n’a pas donné de solutions, mais une manière de résoudre les problèmes. De manière ultime, le critère d’une interprétation juste est celui d’une conformité à l’esprit de l’évangile. La Déclaration sur la liberté religieuse décrit une manière de vivre et d’agir qui est celle de Jésus avec ses apôtres. Cela définit un style qui nous aide à interpréter les textes. »
Elodie MAUROT et Bernard JOUANNO
(1) Un nouveau visage d’Église. L’expérience des communautés locales à Poitiers, par Albert Rouet, Éric Boone, P. Russeil, etc. éd. Bayard. 252 p., 15,90 €.
***
À lire
- Vatican II. L’intégrale. l’édition bilingue révisée de tous les textes du concile (Bayard, 1177 p., 29 €)
- Vatican II. Quarante ans après. Un hors-série de 82 pages de La Croix et disponible par téléphone au 0825.825.832 (0,15 € la minute) et sur la boutique de la-croix.com (pour l'acheter, cliquez ici).
- Histoire du concile Vatican II (1959-1965), sous la direction de Giuseppe Alberigo, version française d’Étienne Fouilloux, Cerf, 5 volumes. Le dernier volume vient de paraître : Concile de transition. La quatrième session et la conclusion du Concile.
- Découvrir le concile Vatican II, par le cardinal Paul Poupard, Salvator, 174 p., 9,95 €.
- Vatican II, de la lettre à l’esprit : une mission, par Bernard Minvielle et Antoine Guggenheim (dir.), Parole et Silence, 218 p., 20 €.
- Une Église en concile. Recherches de science religieuse, avril-juin 2005, tome 93/2, 17 €.
Le 8 décembre 1965, Paul VI clôturait le grand concile du XXe siècle, ouvert en 1962 par Jean XXIII. Quatre décennies plus tard, Vatican II n'a pas fini de produire ses fruits
Archevêque de Rouen depuis un an et demi, Mgr Jean-Charles Descubes veut faire du 40e anniversaire de la clôture du concile Vatican II un temps fort de relecture et d’approfondissement. « Je suis persuadé, explique-t-il, qu’il faut du temps pour s’approprier un événement comme le Concile. J’ai aussi le sentiment que certaines intuitions conciliaires n’ont pas été suffisamment exploitées. On en vit bien souvent, mais il faut davantage en prendre conscience. » C’est pourquoi, du 25 novembre au 4 décembre, les doyennés du diocèse ont été invités à réfléchir sur les grands textes du Concile à partir de sept thèmes principaux.
Ainsi, le thème de l’évangélisation a été confié au doyenné de Rouen-Nord, la liberté religieuse au doyenné de Dieppe, l’Église dans son rapport au monde au doyenné du pays de Caux… En point d’orgue de cette semaine, un grand rassemblement de tous les diocésains se déroulera à la cathédrale de Rouen le dimanche 11 décembre (15 h 30) pour «Vivre aujourd’hui l’espérance du Concile».
8 décembre 1965-8 décembre 2005. Quarante ans ! Certains s’en souviennent avec enthousiasme, et parfois nostalgie. Le Concile fut pour eux le terreau où leur foi s’est nourrie et a grandi. Presque naturellement. « Quelle espérance nous a habités pendant le Concile, témoigne le P. Michel Patureau, prêtre, né en 1928… Hélas, cette grande espérance s’est peu à peu estompée. À nouveau est revenue la tentation de repli au cœur de la forteresse, dont les fenêtres ne se seront entrouvertes qu’un instant. »
«Je me sens totalement une enfant du Concile»
Pour le P. Henri Denis, 85 ans, qui fut expert à Vatican II, d’importants acquis demeurent, comme la réforme liturgique, la reconnaissance de la liberté religieuse, le dialogue interreligieux. Mais, estime-t-il, d’autres chantiers pleins d’avenir comme l’œcuménisme, le rapport de l’Église au monde, l’Église peuple de Dieu ou la collégialité épiscopale n’ont pas eu les fruits attendus.
D’autres, en particulier tout ce qui a trait au corps et à la sexualité, ont été refusés et refoulés. « On a retrouvé l’unité du peuple de Dieu, analyse le P. Antoine Guggenheim, de l’École Cathédrale de Paris. Je crois que c’est un acquis, même si on n’a pas tout mis en œuvre et que des conséquences doivent en être tirées. »
Pour la plupart de ceux qui, témoins ou historiens, ont vécu le Concile « en train de se faire », ce fut un événement fondateur, une bouffée d’air incroyable, une grande étape dans l’histoire de l’Église catholique et dans leur propre histoire.
Beaucoup de catholiques se sont tout de suite sentis à l’aise dans cette Église qui s’ouvrait toute grande à la vie des hommes et au souffle de l’Esprit. « J’ai été bercé là-dedans », confie François Boëdec, jésuite, né en 1962. « Je me sens totalement une enfant du Concile », affirme Marie-Paulette, religieuse née en 1966.
«Un petit quart d’heure de folie de Jean XXIII»
Certains diocèses, comme celui de Poitiers, ont très tôt cherché à s’appuyer sur le Concile pour définir leurs orientations. « La mise en place des “communautés locales (1)” a été pensée ici comme une mise en œuvre du Concile, explique Éric Boone, théologien laïc, directeur du Centre théologique de Poitiers. À la suite de Gaudium et spes, nous avons beaucoup réfléchi à la question de la proximité, à ce que signifie une Église dans la société, non en opposition mais insérée au cœur du monde de ce temps. Chaque communauté locale associe une équipe de base – composée de laïcs appelés et élus – et un territoire qui n’est pas défini en fonction des clochers, mais à partir des réalités du terrain. » Pour Mgr Rouet, l’enjeu est de « passer de l’état de laïcs qui tournent autour du prêtre » au statut de communautés réelles responsables, avec un prêtre à leur service.
L’histoire de la réception du Concile n’est pourtant pas simple. Dès le départ, au sein même de la curie romaine et parmi les fidèles, des oppositions et des tensions se sont manifestées. Le Concile, « né d’un petit quart d’heure de folie de Jean XXIII », selon une raillerie toujours en cours, était dangereux. Ces courants n’ont pas désarmé. Il est vrai que certains textes conciliaires, fruits de négociations et de compromis entre des théologies opposées, peuvent donner lieu à des interprétations contradictoires.
Quarante ans après, la manière de lire les textes demeure une grande interrogation et crée toujours des clivages. Pour beaucoup, les divergences sont pensées à partir d’une grille de lecture « politique » bipolaire (progressisme-traditionalisme, Église-société…) qui ne suffit pas, fait remarquer le P. Christoph Theobald, théologien jésuite au Centre Sèvres à Paris. « Le Concile nous met sur une ligne de crête, avec la possibilité de tomber à droite ou à gauche, dans la sécularisation ou l’identitaire », analyse de son côté le P. Guggenheim.
En fait, en France tout au moins, beaucoup, surtout parmi les plus jeunes, ignorent ce que fut le Concile, qui reste « un objet flou ». « Je me souviens seulement de quelques changements à la messe, notamment du passage du latin au français », indique Marilyn Bayon, 49 ans, responsable de catéchèse à Sevran (Seine-Saint-Denis) depuis plusieurs années.
«Quel chemin parcouru depuis le Concile ?»
Elle n’a découvert les textes du Concile que récemment à l’occasion d’une formation. « C’est en étudiant Gaudium et spes que, pour la première fois, j’ai pris conscience de la place du baptisé. Je ne pensais pas que les laïcs avaient un rôle aussi important dans l’Église. »
« Dans les jeunes générations que je fréquente (les 25-40 ans), observe le P. François Boëdec, rédacteur en chef de la revue Croire aujourd’hui, le Concile n’est pas suffisamment connu et reconnu. Beaucoup manquent de sens historique, et se contentent de clichés et d’a priori. Ils ne mesurent absolument pas les enjeux ecclésiaux de l’événement. » « Des étudiants, souvent séminaristes, ne connaissent pas le Concile et lisent les textes comme on en lit d’autres, confirme le P. Antoine Guggenheim. Avec eux nous avons un travail tout particulier à faire, leur montrer pourquoi ce concile-là s’est déroulé à ce moment-là. »
Le P. Pierre-Yves Pecqueux, directeur du séminaire interdiocésain d’Orléans, milite aussi pour le retour aux textes. « Pour toutes les matières, les séminaristes sont invités dès la première année à naviguer à travers Vatican II. À la fin de leurs études, ils doivent systématiquement reparcourir les documents conciliaires avec une grille de lecture : Comment en est-on arrivé au texte ? Quels sont les enjeux pour l’Église ? Quel chemin parcouru depuis le Concile ? »
« Se réclamer de “l’esprit” du Concile peut n’être que l’expression d’une volonté d’ouverture, le signe d’un vague libéralisme, prévient le P. Theobald. Mais ce peut être aussi quelque chose de beaucoup plus fin qui consiste à retrouver l’esprit de la lettre du Concile – historiquement située –, et à renvoyer à l’esprit du Concile qui n’a pas donné de solutions, mais une manière de résoudre les problèmes. De manière ultime, le critère d’une interprétation juste est celui d’une conformité à l’esprit de l’évangile. La Déclaration sur la liberté religieuse décrit une manière de vivre et d’agir qui est celle de Jésus avec ses apôtres. Cela définit un style qui nous aide à interpréter les textes. »
Elodie MAUROT et Bernard JOUANNO
(1) Un nouveau visage d’Église. L’expérience des communautés locales à Poitiers, par Albert Rouet, Éric Boone, P. Russeil, etc. éd. Bayard. 252 p., 15,90 €.
***
À lire
- Vatican II. L’intégrale. l’édition bilingue révisée de tous les textes du concile (Bayard, 1177 p., 29 €)
- Vatican II. Quarante ans après. Un hors-série de 82 pages de La Croix et disponible par téléphone au 0825.825.832 (0,15 € la minute) et sur la boutique de la-croix.com (pour l'acheter, cliquez ici).
- Histoire du concile Vatican II (1959-1965), sous la direction de Giuseppe Alberigo, version française d’Étienne Fouilloux, Cerf, 5 volumes. Le dernier volume vient de paraître : Concile de transition. La quatrième session et la conclusion du Concile.
- Découvrir le concile Vatican II, par le cardinal Paul Poupard, Salvator, 174 p., 9,95 €.
- Vatican II, de la lettre à l’esprit : une mission, par Bernard Minvielle et Antoine Guggenheim (dir.), Parole et Silence, 218 p., 20 €.
- Une Église en concile. Recherches de science religieuse, avril-juin 2005, tome 93/2, 17 €.
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