Benoît XVI, intellectuel devenu pasteur
La Croix 18-04-2006
Austère et dépourvu du charisme de son prédécesseur polonais Jean-Paul II, le pape a cependant réussi à conquérir les foules à Rome
Combien sont-ils ? 35 000, 40 000 ? On s’y est habitué. C’est devenu un « non-événement » : chaque mercredi, les audiences publiques de Benoît XVI font «place comble», devant Saint-Pierre. Tout comme les Angélus du dimanche. Et pendant ce temps – on l’a peut-être trop vite oublié –, un petit volume caracole en tête des ventes de toutes librairies : Deus caritas est, d’un certain Benoît XVI… Populaire, ce pape ? Oui, à sa manière.
« Qui aurait dit cela du cardinal Ratzinger ? », note, amusé, un responsable de la curie désignant la place du Bernin, devant la fenêtre de son bureau. De fait, à Rome, quelques semaines après son élection, il y a un an, les responsables de l’Église ne cachaient pas leur pessimisme. Jamais, pensaient-ils, le pape Ratzinger n’obtiendrait les foules de Jean-Paul II, et, après les sommets de popularité atteints par ce dernier, l’Église catholique allait s’enfoncer progressivement dans l’anonymat…
Sa parole semble toujours tirer son auditoire vers le haut
Certes, l’effet curiosité joue encore. Pourtant, le pape allemand charme les foules. Et parvient à retenir l’attention. Son argument ? Ce que Joaquin Navarro-Valls, porte-parole, appelle la « pastorale de l’intelligence », tant il est vrai que la parole de l’ancien professeur, d’une rare clarté, semble toujours tirer son auditoire vers le haut. Lors des Journées mondiales de la jeunesse, à Cologne, un journal allemand avait surnommé avec humour le pape « l’académicien que l’on comprend ». Le ton reste pourtant recto tono. Pas d’effet de manche. À peine se laisse-t-il parfois interrompre par de rares applaudissements, qui semblent le gêner plus que le flatter. Jamais ses discours ne cherchent à enthousiasmer ou galvaniser.
Pour Benoît XVI, les mots, seuls, doivent suffire. Des mots qu’il tient à maîtriser : il écrit la plupart de ses homélies comme ses messages. Et, s’il a d’emblée prévenu qu’il publierait peu de textes, chaque expression est pesée. Le pape se plaît à emmener par la main l’auditeur dans une pensée qu’il maîtrise parfaitement. Exégèse d’un texte biblique, explication du baptême devant des jeunes couples, de l’Église-communion place Saint-Pierre, analyse du principe pétrinien pour la fête de la Chaire de Pierre ou du principe marial lors de l’Annonciation : si ardus soient les concepts, le pape reste accessible.
Benoît XVI a pris le risque de faire confiance au poids des mots
Ses textes sont parsemés de « pour mieux comprendre cette parole », ou « pour nous résumer », comme des balises qui guident le lecteur-auditeur. Le pape théologien n’aime d’ailleurs rien tant que faire de la « mystagogie », expliquer les « mystères de l’Église », lors de célébrations spécifiques : remise du pallium, des anneaux cardinalices… Et son encyclique, peu épaisse, est, dans sa première partie, un modèle de dissertation : la démarche est progressive, toujours résumée en fin de paragraphe.
Comme si celui qui supervisa la rédaction du Catéchisme de l’Église catholique sentait le besoin des fidèles d’aujourd’hui de mieux comprendre leur propre foi. Il est d’ailleurs un exercice qu’il semble priser par-dessus tout, au point de devenir un nouveau mode de communication pontificale : les improvisations devant un public restreint, sous forme de questions-réponses, à la manière des causeries philosophiques d’autrefois.
Les questions sont sans doute préparées. Les réponses du pape, non. L’expérience a commencé l’été dernier devant les prêtres du Val-d’Aoste. Elle a été reprise avec les enfants romains préparant la première communion, le pape prenant le temps de répondre aux grandes questions sur la vie dont les petits sont coutumiers… Benoît XVI a prolongé l’initiative avec les prêtres du diocèse de Rome, puis, début avril, avec les jeunes devant qui il s’est laissé aller à évoquer sa propre vocation, à l’époque du nazisme…
Là encore, ni musique, ni mise en scène – on est loin des JMJ. Parfois une prière, ou le chapelet, au désespoir des techniciens de la télévision, qui ne savent comment varier les prises de vue sur ce pape immobile. Mais rien n’y fait : dans ce monde surmédiatisé de l’image toute puissante, Benoît XVI a pris le risque de faire confiance au poids des mots.
Isabelle de GAULMYN à Rome
Austère et dépourvu du charisme de son prédécesseur polonais Jean-Paul II, le pape a cependant réussi à conquérir les foules à Rome
Combien sont-ils ? 35 000, 40 000 ? On s’y est habitué. C’est devenu un « non-événement » : chaque mercredi, les audiences publiques de Benoît XVI font «place comble», devant Saint-Pierre. Tout comme les Angélus du dimanche. Et pendant ce temps – on l’a peut-être trop vite oublié –, un petit volume caracole en tête des ventes de toutes librairies : Deus caritas est, d’un certain Benoît XVI… Populaire, ce pape ? Oui, à sa manière.
« Qui aurait dit cela du cardinal Ratzinger ? », note, amusé, un responsable de la curie désignant la place du Bernin, devant la fenêtre de son bureau. De fait, à Rome, quelques semaines après son élection, il y a un an, les responsables de l’Église ne cachaient pas leur pessimisme. Jamais, pensaient-ils, le pape Ratzinger n’obtiendrait les foules de Jean-Paul II, et, après les sommets de popularité atteints par ce dernier, l’Église catholique allait s’enfoncer progressivement dans l’anonymat…
Sa parole semble toujours tirer son auditoire vers le haut
Certes, l’effet curiosité joue encore. Pourtant, le pape allemand charme les foules. Et parvient à retenir l’attention. Son argument ? Ce que Joaquin Navarro-Valls, porte-parole, appelle la « pastorale de l’intelligence », tant il est vrai que la parole de l’ancien professeur, d’une rare clarté, semble toujours tirer son auditoire vers le haut. Lors des Journées mondiales de la jeunesse, à Cologne, un journal allemand avait surnommé avec humour le pape « l’académicien que l’on comprend ». Le ton reste pourtant recto tono. Pas d’effet de manche. À peine se laisse-t-il parfois interrompre par de rares applaudissements, qui semblent le gêner plus que le flatter. Jamais ses discours ne cherchent à enthousiasmer ou galvaniser.
Pour Benoît XVI, les mots, seuls, doivent suffire. Des mots qu’il tient à maîtriser : il écrit la plupart de ses homélies comme ses messages. Et, s’il a d’emblée prévenu qu’il publierait peu de textes, chaque expression est pesée. Le pape se plaît à emmener par la main l’auditeur dans une pensée qu’il maîtrise parfaitement. Exégèse d’un texte biblique, explication du baptême devant des jeunes couples, de l’Église-communion place Saint-Pierre, analyse du principe pétrinien pour la fête de la Chaire de Pierre ou du principe marial lors de l’Annonciation : si ardus soient les concepts, le pape reste accessible.
Benoît XVI a pris le risque de faire confiance au poids des mots
Ses textes sont parsemés de « pour mieux comprendre cette parole », ou « pour nous résumer », comme des balises qui guident le lecteur-auditeur. Le pape théologien n’aime d’ailleurs rien tant que faire de la « mystagogie », expliquer les « mystères de l’Église », lors de célébrations spécifiques : remise du pallium, des anneaux cardinalices… Et son encyclique, peu épaisse, est, dans sa première partie, un modèle de dissertation : la démarche est progressive, toujours résumée en fin de paragraphe.
Comme si celui qui supervisa la rédaction du Catéchisme de l’Église catholique sentait le besoin des fidèles d’aujourd’hui de mieux comprendre leur propre foi. Il est d’ailleurs un exercice qu’il semble priser par-dessus tout, au point de devenir un nouveau mode de communication pontificale : les improvisations devant un public restreint, sous forme de questions-réponses, à la manière des causeries philosophiques d’autrefois.
Les questions sont sans doute préparées. Les réponses du pape, non. L’expérience a commencé l’été dernier devant les prêtres du Val-d’Aoste. Elle a été reprise avec les enfants romains préparant la première communion, le pape prenant le temps de répondre aux grandes questions sur la vie dont les petits sont coutumiers… Benoît XVI a prolongé l’initiative avec les prêtres du diocèse de Rome, puis, début avril, avec les jeunes devant qui il s’est laissé aller à évoquer sa propre vocation, à l’époque du nazisme…
Là encore, ni musique, ni mise en scène – on est loin des JMJ. Parfois une prière, ou le chapelet, au désespoir des techniciens de la télévision, qui ne savent comment varier les prises de vue sur ce pape immobile. Mais rien n’y fait : dans ce monde surmédiatisé de l’image toute puissante, Benoît XVI a pris le risque de faire confiance au poids des mots.
Isabelle de GAULMYN à Rome
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