Moins "politique" que Jean Paul II, Benoît XVI privilégie la diplomatie spirituelle
Publié le 15 juin 2007
Actualisé le 15 juin 2007 : 08h49
L'analyse d'Hervé Yannou, correspondant du Figaro au Vatican
Il ne faudrait jamais comparer deux papes qui se succèdent. Benoît XVI n'est pas Jean-Paul II. Cela tient à l'âge, à la différence de caractère et à la manière. Comme tous les chefs d'État, le Souverain Pontife doit habiter sa charge et lui donner sa dimension. Au moment de son élection, en avril 2005, Joseph Ratzinger déclarait qu'il n'avait pas de programme sinon celui de servir le Christ. Simple rhétorique ecclésiastique ? Il en va de la diplomatie vaticane comme du pontife dont elle est l'émanation : pape « politique », Jean-Paul II n'hésitait pas à intervenir avec virulence dans les affaires du monde. Devenu un interlocuteur incontournable, il avait donné au Saint-Siège une visibilité internationale de premier ordre. Benoît XVI, pape « religieux » - une expression ironique forgée il y a un siècle pour l'intransigeant Pie X (1903-1914) - se montre moins soucieux de diplomatie au quotidien, au point de pouvoir remettre en cause une partie de l'héritage politique de son prédécesseur.
À l'Académie pontificale, qui forme les futurs diplomates du Saint-Siège, on fait la distinction entre la diplomatie et la diplomatie ecclésiastique, cette dernière étant « l'art d'organiser, de diriger et de suivre en connaissance de cause les relations entre l'Église et la société politique ». Le terme d'art implique une dextérité : la barque de Saint-Pierre, qu'elle soit menée « à la gaffe » - comme le persiflait Mgr Duchesne, directeur de l'École française de Rome, toujours à l'encontre de Pie X - ou plus habilement, suppose un pilote à la fois conscient des réalités comme des originalités de sa fonction. Il fallut plusieurs années à Jean-Paul II pour forger sa diplomatie. C'est avec la nomination du cardinal Casaroli à la secrétairerie d'État qu'il troqua la politique des coups de boutoirs contre celle des petits pas. Karol Wojtyla était un pape itinérant qui affirma son droit d'ingérence dans les affaires du monde à travers un règne ultramédiatisé. Jean-Paul II se rendit à Sarajevo, mais on ne verra pas Benoît XVI au Darfour. La diplomatie au jour le jour est secondaire pour Joseph Ratzinger.
Entre les deux papes, il y a des bases communes : la sauvegarde des racines chrétiennes de l'Europe, la théologie morale de la défense de la famille, de la vie, des droits de l'homme au nom de la liberté religieuse et de la paix. Mais certains choix de Benoît XVI ressemblent à un virage à 180 °: on se serait passé du refus de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne à son encouragement, de la fermeté face à Pékin à la souplesse. Ses rectifications à répétition, après ses discours controversés à Auschwitz, à Ratisbonne sur l'islam, au Brésil sur l'évangélisation des Amérindiens, déconcertent. La multiplication des dysfonctionnements, les défaillances et les lacunes de la communication à tous les niveaux grippent la diplomatie pontificale.
Dans le petit monde du Vatican, l'européocentrisme du Pape est souvent considéré comme un manque d'expérience internationale. On lui reproche surtout d'être mal entouré. Son exubérant secrétaire d'État, le cardinal Tarcisio Bertone ne fait pas partie du sérail diplomatique. Ses nombreuses prises de parole personnelles, sa passion affichée du foot, tranchent avec l'attitude hiératique de ses prédécesseurs et agacent. Signe de fidélité et de confiance, le Pape l'a nommé camerlingue. À la mort de Benoît XVI, il sera chargé de l'interrègne. Les critiques touchent aussi Mgr Dominique Mamberti, « ministre des Affaires étrangères », jugé trop « vieille école ». Fondées ou non, ces reproches nourrissent un malaise. La curie s'interroge : le Pape est-il trop isolé, mal conseillé par un entourage dont aucune personnalité n'émerge ? Benoît XVI estime-t-il, comme Pie XII, n'avoir besoin que d'exécuteurs et non de collaborateurs ?
Joseph Ratzinger n'est pas un politique ou un diplomate traditionnel. Théologien, professeur, il perçoit autrement les relations internationales. L'Église n'est pas politique, n'arrête-t-il pas de répéter. Pourtant, il pourrait reprendre à son compte la formule de Charles Péguy : « La politique se moque de la mystique, mais c'est encore la mystique qui nourrit la politique. » Ses catéchèses et son enseignement spirituel lui servent de programme. « Sa référence, c'est La Cité de Dieu de saint Augustin », explique un diplomate américain. Il a une vision messianique de l'Église parfois difficile à ajuster aux réalités quotidiennes. S'il sait ce qu'il dit, le Pape ne prend pas toujours la mesure des conséquences collatérales de ses propos. « C'est un théologien moral. Il commence par affirmer ce qui doit être avant ce qui peut-être », commente Philippe Levillain, membre du Comité pontifical des sciences historiques.
Malgré ses 80 ans, Benoît XVI s'est fixé pour horizon le long terme d'une diplomatie spirituelle et morale. Il a pour objectif de réaffirmer les valeurs et l'identité de la culture catholique, aussi bien à l'intérieur, qu'à l'extérieur de l'Église. Il développe ainsi sa vision pessimiste d'un monde sécularisé et relativiste. Il respecte la laïcité de l'État dans ses choix économiques et sociaux, mais en ce qui concerne la vie et la mort, l'avortement et l'euthanasie, le sexe, le couple, la paternité et la maternité, c'est fondamentalement la loi de Dieu qui doit être suivie. Les épiscopaux locaux, à qui il laisse une grande marge de manoeuvre, brandissent à nouveau les menaces d'excommunication contre les législateurs mexicains ou écossais qui votent des lois sur l'avortement. L'Église doit faire respecter ses principes sans jamais transiger. C'est sa raison d'être et la diplomatie morale de Joseph Ratzinger.
Actualisé le 15 juin 2007 : 08h49
L'analyse d'Hervé Yannou, correspondant du Figaro au Vatican
Il ne faudrait jamais comparer deux papes qui se succèdent. Benoît XVI n'est pas Jean-Paul II. Cela tient à l'âge, à la différence de caractère et à la manière. Comme tous les chefs d'État, le Souverain Pontife doit habiter sa charge et lui donner sa dimension. Au moment de son élection, en avril 2005, Joseph Ratzinger déclarait qu'il n'avait pas de programme sinon celui de servir le Christ. Simple rhétorique ecclésiastique ? Il en va de la diplomatie vaticane comme du pontife dont elle est l'émanation : pape « politique », Jean-Paul II n'hésitait pas à intervenir avec virulence dans les affaires du monde. Devenu un interlocuteur incontournable, il avait donné au Saint-Siège une visibilité internationale de premier ordre. Benoît XVI, pape « religieux » - une expression ironique forgée il y a un siècle pour l'intransigeant Pie X (1903-1914) - se montre moins soucieux de diplomatie au quotidien, au point de pouvoir remettre en cause une partie de l'héritage politique de son prédécesseur.
À l'Académie pontificale, qui forme les futurs diplomates du Saint-Siège, on fait la distinction entre la diplomatie et la diplomatie ecclésiastique, cette dernière étant « l'art d'organiser, de diriger et de suivre en connaissance de cause les relations entre l'Église et la société politique ». Le terme d'art implique une dextérité : la barque de Saint-Pierre, qu'elle soit menée « à la gaffe » - comme le persiflait Mgr Duchesne, directeur de l'École française de Rome, toujours à l'encontre de Pie X - ou plus habilement, suppose un pilote à la fois conscient des réalités comme des originalités de sa fonction. Il fallut plusieurs années à Jean-Paul II pour forger sa diplomatie. C'est avec la nomination du cardinal Casaroli à la secrétairerie d'État qu'il troqua la politique des coups de boutoirs contre celle des petits pas. Karol Wojtyla était un pape itinérant qui affirma son droit d'ingérence dans les affaires du monde à travers un règne ultramédiatisé. Jean-Paul II se rendit à Sarajevo, mais on ne verra pas Benoît XVI au Darfour. La diplomatie au jour le jour est secondaire pour Joseph Ratzinger.
Entre les deux papes, il y a des bases communes : la sauvegarde des racines chrétiennes de l'Europe, la théologie morale de la défense de la famille, de la vie, des droits de l'homme au nom de la liberté religieuse et de la paix. Mais certains choix de Benoît XVI ressemblent à un virage à 180 °: on se serait passé du refus de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne à son encouragement, de la fermeté face à Pékin à la souplesse. Ses rectifications à répétition, après ses discours controversés à Auschwitz, à Ratisbonne sur l'islam, au Brésil sur l'évangélisation des Amérindiens, déconcertent. La multiplication des dysfonctionnements, les défaillances et les lacunes de la communication à tous les niveaux grippent la diplomatie pontificale.
Dans le petit monde du Vatican, l'européocentrisme du Pape est souvent considéré comme un manque d'expérience internationale. On lui reproche surtout d'être mal entouré. Son exubérant secrétaire d'État, le cardinal Tarcisio Bertone ne fait pas partie du sérail diplomatique. Ses nombreuses prises de parole personnelles, sa passion affichée du foot, tranchent avec l'attitude hiératique de ses prédécesseurs et agacent. Signe de fidélité et de confiance, le Pape l'a nommé camerlingue. À la mort de Benoît XVI, il sera chargé de l'interrègne. Les critiques touchent aussi Mgr Dominique Mamberti, « ministre des Affaires étrangères », jugé trop « vieille école ». Fondées ou non, ces reproches nourrissent un malaise. La curie s'interroge : le Pape est-il trop isolé, mal conseillé par un entourage dont aucune personnalité n'émerge ? Benoît XVI estime-t-il, comme Pie XII, n'avoir besoin que d'exécuteurs et non de collaborateurs ?
Joseph Ratzinger n'est pas un politique ou un diplomate traditionnel. Théologien, professeur, il perçoit autrement les relations internationales. L'Église n'est pas politique, n'arrête-t-il pas de répéter. Pourtant, il pourrait reprendre à son compte la formule de Charles Péguy : « La politique se moque de la mystique, mais c'est encore la mystique qui nourrit la politique. » Ses catéchèses et son enseignement spirituel lui servent de programme. « Sa référence, c'est La Cité de Dieu de saint Augustin », explique un diplomate américain. Il a une vision messianique de l'Église parfois difficile à ajuster aux réalités quotidiennes. S'il sait ce qu'il dit, le Pape ne prend pas toujours la mesure des conséquences collatérales de ses propos. « C'est un théologien moral. Il commence par affirmer ce qui doit être avant ce qui peut-être », commente Philippe Levillain, membre du Comité pontifical des sciences historiques.
Malgré ses 80 ans, Benoît XVI s'est fixé pour horizon le long terme d'une diplomatie spirituelle et morale. Il a pour objectif de réaffirmer les valeurs et l'identité de la culture catholique, aussi bien à l'intérieur, qu'à l'extérieur de l'Église. Il développe ainsi sa vision pessimiste d'un monde sécularisé et relativiste. Il respecte la laïcité de l'État dans ses choix économiques et sociaux, mais en ce qui concerne la vie et la mort, l'avortement et l'euthanasie, le sexe, le couple, la paternité et la maternité, c'est fondamentalement la loi de Dieu qui doit être suivie. Les épiscopaux locaux, à qui il laisse une grande marge de manoeuvre, brandissent à nouveau les menaces d'excommunication contre les législateurs mexicains ou écossais qui votent des lois sur l'avortement. L'Église doit faire respecter ses principes sans jamais transiger. C'est sa raison d'être et la diplomatie morale de Joseph Ratzinger.
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