Dans les archives secrètes du Vatican
De notre correspondant au Vatican HERVÉ YANNOU.
Publié dans Le Figaro le 19 octobre 2006
Un jour de 1839, en se promenant au Vatican, un jeune prélat de l'entourage du pape Grégoire XV se retrouva devant la porte des archives. Il entra. L'archiviste le laissa aller, regarder, ouvrir les armoires. Le lendemain, il avait une audience avec le Souverain Pontife : « Saint-Père, c'est bien curieux les armoires des archives... » « Vous êtes entré ! vitupéra le Saint-Père. Vous êtes entré aux archives, et vous avez regardé les papiers ? Vous avez osé ! Mais vous ne savez pas que vous êtes excommunié ! »
L'anecdote, rapportée par les frères Goncourt, n'est plus d'actualité. Les archives, dites secrètes, du Vatican sont ouvertes à tous, ou presque. Mais le mythe demeure. L'adjectif « secret » agace plus d'un archiviste, car il continue à nourrir les fantasmes sur la montagne de papiers dont ils ont la garde. Les archives secrètes du Vatican ne doivent leur nom qu'à leur caractère privé. Officiellement, ce sont les documents personnels du Souverain Pontife. En théorie, ce dernier les dirige seul et décide, ou non, de la communication publique des fonds. Ainsi, le 18 septembre, les 30 000 volumes du pontificat de Pie XI (1922-1939) ont été entièrement ouverts aux chercheurs. Un événement voulu par Benoît XVI, qui devrait susciter l'intérêt des historiens curieux d'interpréter, à travers la correspondance du pape, de ses diplomates et de sa bureaucratie, des faits majeurs du siècle dernier : guerre d'Espagne, arrivée au pouvoir du fascisme en Italie et du nazisme en Allemagne.
Les archives secrètes du Vatican ont été créées par Paul V (1605-1621). En 1810, Napoléon ordonna leur transfert en France. À la chute de l'Empire, la majeure partie des documents fut renvoyée à Rome, non sans pertes ni oublis. C'est Léon XIII qui décida enfin, en 1881, l'ouverture de ces « trésors » aux chercheurs. Depuis, leur volume a été multiplié par quinze. De cinq kilomètres de rayonnages, le fonds est passé à plus de quatre-vingts. Le potentiel de stockage est de cinquante-quatre kilomètres, dans un « bunker » aménagé à vingt mètres de profondeur, sous la cour Della Pigna où sont exposées les grandes sculptures contemporaines des musées du Vatican. Ces six dernières années, dix millions de documents y sont entrés. On peut donc évaluer à plus de deux millions le nombre de boîtes conservant chacune plusieurs centaines de lettres, de notes et de rapports administratifs. La documentation provient des différentes congrégations romaines, d'organismes divers et d'individus ayant confié leurs archives à l'administration pontificale. Le tout est inventorié, numéroté, tamponné, relié pour éviter les vols.
Un travail de titan pour une petite structure. « C'est un problème de préparer ce matériel pour la consultation publique, explique Mgr Sergio Pagano, préfet des archives. Cela demande des années de travail et une importante mobilisation humaine. » Ainsi, des textes des XVe et XVIe siècles ne sont toujours pas accessibles, faute d'inventaire. Il existe actuellement 1 174 index. L'apprentissage de leur maniement est un sésame pour les diplômés de troisième cycle, seuls autorisés à travailler aux archives. Ce sont donc des habitués qui hantent cet endroit, quarante à cinquante chaque jour, en particulier sur les documents des périodes médiévales et modernes. En 1999, année record, 1 444 personnes sont venues consulter ces archives de moins en moins secrètes.
Jean-Paul II a « joué » l'ouverture. Il avait ordonné l'accès des archives de quatre pontificats, ceux de Léon XIII (1878-1903), de Pie X (1903-1914), de Benoît XV (1914-1922) et de Pie XI (1922-1939). Dans de nombreux pays, la législation fixe l'ouverture des archives à un minimum de cinquante ans après les faits et à un maximum de cent ans pour les documents les plus réservés. Pour respecter cette norme internationale, Jean-Paul II a réformé le fonctionnement du fonds du Vatican juste avant sa mort. Comme tous les autres États de la planète, il a créé une commission centrale afin que certains textes à « caractère réservé » soient exclus de la consultation. Les documents liés aux conclaves, les papiers privés des papes et des cardinaux, les procès épiscopaux, les dossiers du personnel et les causes en annulation de mariage sont notamment classés « secret défense ».
Cette disposition a aussi voulu répondre aux pressions exercées sur le Vatican pour l'ouverture totale des archives de Pie XII et de la Seconde Guerre mondiale. En juillet 2001, un groupe d'experts catholiques et juifs de la dernière guerre avait suspendu ses travaux. Il réclamait un accès plus aisé aux archives vaticanes. Soutenu par le cardinal Walter Kasper, président de la Commission pour les rapports religieux avec les juifs, Jean-Paul II avait alors facilité l'accès des fonds concernant l'Allemagne d'avant-guerre. La prochaine ouverture devrait concerner l'ensemble du pontificat de Pie XII (1939-1958). Aucune date n'a encore été fixée. Mais le Vatican rappelle haut et fort qu'il ne craint pas les bouleversements historiographiques car il ne cache aucun... secret. Du moins dans ses archives.
Publié dans Le Figaro le 19 octobre 2006
Un jour de 1839, en se promenant au Vatican, un jeune prélat de l'entourage du pape Grégoire XV se retrouva devant la porte des archives. Il entra. L'archiviste le laissa aller, regarder, ouvrir les armoires. Le lendemain, il avait une audience avec le Souverain Pontife : « Saint-Père, c'est bien curieux les armoires des archives... » « Vous êtes entré ! vitupéra le Saint-Père. Vous êtes entré aux archives, et vous avez regardé les papiers ? Vous avez osé ! Mais vous ne savez pas que vous êtes excommunié ! »
L'anecdote, rapportée par les frères Goncourt, n'est plus d'actualité. Les archives, dites secrètes, du Vatican sont ouvertes à tous, ou presque. Mais le mythe demeure. L'adjectif « secret » agace plus d'un archiviste, car il continue à nourrir les fantasmes sur la montagne de papiers dont ils ont la garde. Les archives secrètes du Vatican ne doivent leur nom qu'à leur caractère privé. Officiellement, ce sont les documents personnels du Souverain Pontife. En théorie, ce dernier les dirige seul et décide, ou non, de la communication publique des fonds. Ainsi, le 18 septembre, les 30 000 volumes du pontificat de Pie XI (1922-1939) ont été entièrement ouverts aux chercheurs. Un événement voulu par Benoît XVI, qui devrait susciter l'intérêt des historiens curieux d'interpréter, à travers la correspondance du pape, de ses diplomates et de sa bureaucratie, des faits majeurs du siècle dernier : guerre d'Espagne, arrivée au pouvoir du fascisme en Italie et du nazisme en Allemagne.
Les archives secrètes du Vatican ont été créées par Paul V (1605-1621). En 1810, Napoléon ordonna leur transfert en France. À la chute de l'Empire, la majeure partie des documents fut renvoyée à Rome, non sans pertes ni oublis. C'est Léon XIII qui décida enfin, en 1881, l'ouverture de ces « trésors » aux chercheurs. Depuis, leur volume a été multiplié par quinze. De cinq kilomètres de rayonnages, le fonds est passé à plus de quatre-vingts. Le potentiel de stockage est de cinquante-quatre kilomètres, dans un « bunker » aménagé à vingt mètres de profondeur, sous la cour Della Pigna où sont exposées les grandes sculptures contemporaines des musées du Vatican. Ces six dernières années, dix millions de documents y sont entrés. On peut donc évaluer à plus de deux millions le nombre de boîtes conservant chacune plusieurs centaines de lettres, de notes et de rapports administratifs. La documentation provient des différentes congrégations romaines, d'organismes divers et d'individus ayant confié leurs archives à l'administration pontificale. Le tout est inventorié, numéroté, tamponné, relié pour éviter les vols.
Un travail de titan pour une petite structure. « C'est un problème de préparer ce matériel pour la consultation publique, explique Mgr Sergio Pagano, préfet des archives. Cela demande des années de travail et une importante mobilisation humaine. » Ainsi, des textes des XVe et XVIe siècles ne sont toujours pas accessibles, faute d'inventaire. Il existe actuellement 1 174 index. L'apprentissage de leur maniement est un sésame pour les diplômés de troisième cycle, seuls autorisés à travailler aux archives. Ce sont donc des habitués qui hantent cet endroit, quarante à cinquante chaque jour, en particulier sur les documents des périodes médiévales et modernes. En 1999, année record, 1 444 personnes sont venues consulter ces archives de moins en moins secrètes.
Jean-Paul II a « joué » l'ouverture. Il avait ordonné l'accès des archives de quatre pontificats, ceux de Léon XIII (1878-1903), de Pie X (1903-1914), de Benoît XV (1914-1922) et de Pie XI (1922-1939). Dans de nombreux pays, la législation fixe l'ouverture des archives à un minimum de cinquante ans après les faits et à un maximum de cent ans pour les documents les plus réservés. Pour respecter cette norme internationale, Jean-Paul II a réformé le fonctionnement du fonds du Vatican juste avant sa mort. Comme tous les autres États de la planète, il a créé une commission centrale afin que certains textes à « caractère réservé » soient exclus de la consultation. Les documents liés aux conclaves, les papiers privés des papes et des cardinaux, les procès épiscopaux, les dossiers du personnel et les causes en annulation de mariage sont notamment classés « secret défense ».
Cette disposition a aussi voulu répondre aux pressions exercées sur le Vatican pour l'ouverture totale des archives de Pie XII et de la Seconde Guerre mondiale. En juillet 2001, un groupe d'experts catholiques et juifs de la dernière guerre avait suspendu ses travaux. Il réclamait un accès plus aisé aux archives vaticanes. Soutenu par le cardinal Walter Kasper, président de la Commission pour les rapports religieux avec les juifs, Jean-Paul II avait alors facilité l'accès des fonds concernant l'Allemagne d'avant-guerre. La prochaine ouverture devrait concerner l'ensemble du pontificat de Pie XII (1939-1958). Aucune date n'a encore été fixée. Mais le Vatican rappelle haut et fort qu'il ne craint pas les bouleversements historiographiques car il ne cache aucun... secret. Du moins dans ses archives.
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