9.18.2006

Le Pape face à la manipulation des masses

Le Figaro, éditorial d'Yves Thréard .
Publié le 18 septembre 2006
Actualisé le 18 septembre 2006 : 07h13

Il est rare d'entendre un grand de ce monde exprimer publiquement ses regrets. C'est pourtant ce que vient de faire le Pape, par ailleurs chef de l'État du Vatican. Même si la comparaison peut paraître étrange, on attendrait en vain ceux du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, pour les injures qu'il a proférées contre l'Occident et Israël. Mais lui a-t-on jamais demandé ?

En affirmant que la foi ne doit pas s'imposer par la force, Benoît XVI a souligné une évidence que l'écrasante majorité des chrétiens, juifs et musulmans partagent. Il est dans son rôle quand il rappelle où sont les sources de la pensée et de la dévotion religieuse. Le discours qu'il a prononcé à l'université de Ratisbonne est d'une haute tenue intellectuelle, loin, très loin des anathèmes que beaucoup veulent lui prêter. Et le théologien est tout à fait autorisé, dans une réflexion sur la foi, la raison et la violence, à s'inquiéter du dévoiement de l'islam par certains de ses prétendus gardiens. L'actualité regorge, malheureusement, d'actes meurtriers inspirés par le fanatisme.

Faute de goût, faute diplomatique en cette période tendue entre les cultures et les religions ? Ceux qui le pensent doivent relire l'intervention de Benoît XVI qui n'est autre, précisément, qu'un appel à la sagesse destiné à toutes les confessions. Rien de semblable à l'affaire, alors ridicule et condamnable, des caricatures de Mahomet. Il est même rassurant que le Pape n'envisage pas la foi sans la raison. Ce ne sont pas ses propos qui sont regrettables, c'est leur détournement.

Le responsable du déchaînement de haine des foules arabo-musulmanes n'est pas le Saint-Père. Mais bien tous ceux qui fabriquent n'importe quel prétexte pour manipuler leurs crédules fidèles et entretenir leur ignorance, au nom de causes bassement politiques. Ces chefs d'État ou représentants religieux qui, de Téhéran à Naplouse, de Mogadiscio à Bagdad, ont intérêt, pour conforter leur pouvoir temporel ou spirituel, à souffler sur les braises du choc des civilisations. Ou encore ceux qui, souvent accusés de pactiser avec les «États Satan» occidentaux, se croient obligés de suivre le mouvement pour restaurer leur autorité.

On peut déplorer que l'entreprise grossière menée par quelques dictateurs et guides idolâtrés ne soit pas plus fermement condamnée dans notre partie du monde. Par lâcheté, préférons-nous observer un silence gêné, quitte à nous faire les complices de manoeuvres qui, subrepticement, menacent nos propres valeurs ? Laisserons-nous le Pape pointer seul les dangers du fanatisme, et de l'islamisme en particulier, comme son prédécesseur avait combattu avec courage les ravages du communisme ?

Puisque la religion occupe une place de plus en plus importante dans le débat aujourd'hui, il est urgent de défendre sans faiblir l'un des fondements de nos sociétés modernes : la liberté de penser, comme celle de croire.
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