9.16.2006

Des musulmans réclament les excuses du Vatican

Patrick de Saint-Exupéry (avec AFP, Reuters) .
Publié le 16 septembre 2006

Six mois après l'affaire des caricatures de Mahomet, les propos du Pape ont déclenché un nouveau tollé dans le monde musulman.

LES DEMANDES «d'excuses» et «d'éclaircissements» en provenance du monde musulman se sont multipliées cinq jours après les déclarations de Benoît XVI. L'évocation par le Pape de la «septième controverse» ayant opposé, en 1391, l'empereur chrétien de Constantinople, Manuel II Paléologue, à un érudit persan a comme attisé les braises d'un feu qui aurait couvé depuis sept siècles. Les mots prononcés à l'université de Ratisbonne (Allemagne) à l'occasion d'un discours aux représentants de la science sur les relations entre foi et raison ont déclenché ce brutal retour de bâton. Semblant faire siens les arguments alors avancés par l'empereur byzantin, Benoît XVI a affirmé : «En revanche, pour la doctrine musulmane, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, pas même celle de la raison.»

«De la haine dans son coeur»

Intervenant six mois après l'affaire des caricatures de Mahomet et quelques jours après les commémorations du 11 Septembre, ces propos ont déclenché un tollé dans le monde musulman. Du Caire à Islamabad en passant par Paris ou Londres, de nombreux responsables religieux, et parfois même des politiques, se sont élevés avec vigueur contre la vision de l'islam qu'aurait développée le Pape. À savoir : une religion qui, faute de raison, serait empreinte d'une tentation permanente de violence.

Dans leurs réactions les plus modérées, des représentants du monde musulman ont fait savoir qu'ils souhaitaient des «éclaircissements sur des propos attribués à Sa Sainteté», comme l'affirme un message remis à l'ambassade du Vatican à Damas du mufti de Syrie, cheikh Ahmad Badreddine Hassoun. S'affirmant outrés, d'autres dignitaires ont réagi avec virulence. L'une des réactions les plus rudes est venue de Turquie où le Pape devrait se rendre prochainement. «Ses paroles reflètent la haine dans son coeur, a déclaré Ali Bardakoglu, le directeur du département des affaires religieuses auprès du gouvernement turc. Ses déclarations sont haineuses».

Devant l'ampleur des réactions venues du monde musulman, le Vatican a tenté d'atténuer la polémique. Le porte-parole du Saint-Siège est intervenu pour clarifier les propos du Souverain Pontife : Benoît XVI respecte l'islam, a affirmé le père Federico Lombardi, mais a «à coeur» de «rejeter les motivations religieuses de la violence». Benoît XVI «n'avait pas l'intention, poursuit le Vatican dans un communiqué, de se livrer à une étude approfondie sur le djihad et sur la pensée musulmane dans ce domaine, et encore moins d'offenser la sensibilité des croyants musulmans».

Ces propos n'ont pas suffi à désamorcer la vague d'indignation. Dans une résolution adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale pakistanaise, les parlementaires du pays des Purs ont fustigé «les remarques péjoratives du Pape sur la philosophie du djihad (guerre sainte) et le prophète Mahomet». Selon eux, ces remarques «ont blessé les sentiments du monde musulman et présentent le danger de répandre l'acrimonie parmi les religions». En conséquence, «cette Assemblée demande au Pape de retirer ses propos dans l'intérêt de l'harmonie des religions».

Le ministère des Affaires étrangères du Pakistan, deuxième pays musulman au monde, a qualifié les propos du Pape de «regrettables» : «Cela montre une ignorance de l'histoire. Ce ne sont certainement pas les musulmans qui ont persécuté les fidèles d'autres religions», a affirmé le porte-parole du ministère.

«Conflit des civilisations»

Un député arabe israélien a repris le même argument. «Le Pape doit se souvenir que la Première et la Seconde Guerre mondiale, durant lesquelles des dizaines de millions d'innocents ont été tués, ont eu lieu dans le monde chrétien. Cela a été également le cas pour la Shoah et l'utilisation de la bombe atomique», a déclaré Taleb al-Sana, qui a regretté que «ce pape ne suive pas les pas de son prédécesseur, Jean-Paul II».

Dans plusieurs capitales, le thème du «conflit des civilisations» a été soulevé. Le ministre égyptien des Affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit a dit «craindre que les déclarations du Pape ne renforcent les appels à une guerre des civilisations». La commission nationale pour les minorités en Inde a vu dans les propos du Pape un appel «aux croisades du Moyen Âge». À Kaboul, un haut responsable du ministère afghan des Affaires étrangères a recommandé la «prudence» : pour Davood Moradian, «il ne faut pas se faire prendre en otage par les extrémistes des deux bords qui recherchent un choc de civilisations».

La vague de protestations n'a pas épargné l'Europe. En Grande-Bretagne, le secrétaire général de la plus importante organisation musulmane, le MCB, a souhaité que «le Pape clarifie ses propos sans délais». En Allemagne, le théologien contestataire Hans Küng, ancien collègue d'université de Joseph Ratzinger, a déclaré avoir une «compréhension certaine» pour les musulmans s'estimant offensés. En France, le président du conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes, Azzedine Gaci (UOIF), craint des «répercussions sur les rencontres organisées dans les quartiers entre catholiques, musulmans et juifs».
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