La curie romaine version Benoît XVI
La curie romaine a reçu vendredi 15 septembre un nouveau secrétaire d'État, le cardinal Tarcisio Bertone, bras droit de Benoît XVI. Voyage au sein du gouvernement central de l'Eglise catholique
La formule est inhabituelle. Ce vendredi à Castel Gandolfo, devant l’ensemble des responsables de la Secrétairerie d’État, Benoît XVI devait introniser son nouveau secrétaire d’État, c’est-à-dire son bras droit, le cardinal Tarcisio Bertone, successeur du cardinal Angelo Sodano, nommé par Jean-Paul II en 1990. Inhabituelle dans les usages de la curie, car ce changement majeur avait été annoncé dès le mois de juin, avec une prise effective de fonction pour ce 15 septembre.
Mais le fait semble significatif de la volonté de Benoît XVI – qui aura donc attendu plus de 17 mois pour changer son « premier ministre » – de prendre son temps : le cardinal Bertone a révélé, dans un entretien au mensuel italien 30 Giorni, que le pape lui avait signifié son choix dès décembre 2005…
Lentement, mais en profondeur. Car, par touches successives, c’est une véritable réforme de la manière de gouverner l’Église catholique qui s’esquisse. D’abord par les nominations. Elles permettent au pape de redessiner le visage de la curie hérité de Jean-Paul II. Ainsi, le choix du cardinal Bertone est significatif : l’ancien archevêque de Gênes n’est ni un diplomate, ni un politique, mais un fidèle de Benoît XVI qui entend, a-t-il annoncé dans le quotidien Il Giornale, « accentuer la mission spirituelle de l’Église ».
Contrôler de plus près la Secrétairerie d'Etat
Recentrer les instances du Saint-Siège sur la mission de l’Église, telle semble bien être la volonté du pape. Et cela passe par un recadrage du rôle de la secrétairerie d’État. Cet organe administratif, chargé d’aider le pape dans le gouvernement central de l’Église, a vu son importance croître avec Paul VI, lui-même ancien de la Secrétairerie, et avec Jean-Paul II, pour qui le fonctionnement interne de l’appareil n’était pas la priorité.
Au point que cette haute administration finissait parfois par l’emporter sur les pouvoirs des préfets de Congrégations, les cardinaux nommés par le pape. Le pape Ratzinger, en mettant à sa tête un homme qui n’est pas du sérail, montre sa volonté de la contrôler de plus près.
À cette fonction, le cardinal Bertone sera bien placé pour poursuivre – progressivement, là encore – la simplification des structures de la curie, commencée depuis l’élection de Benoît XVI avec le regroupement, l’hiver dernier, du Conseil pontifical pour les migrants avec Justice et Paix, et du dialogue interreligieux avec la culture.
« Des réformes de la curie , il y en a déjà eu deux, une immédiatement après le concile Vatican II, par Paul VI, l’autre effectuée par Jean-Paul II, confiait encore le nouveau secrétaire d’État cet été à Il Giornale. Après près de deux décennies, il est compréhensible que l’on cherche à évaluer l’organisation des dicastères du Saint-Siège, afin de s’employer à rendre les structures existantes toujours plus fonctionnelles par rapport à la mission de l’Église. Et éventuellement d’évaluer si tout ce qui existe doit être maintenu. »
Réduire la pléthore de conseils pour faciliter la concertation
Après le Concile, les papes successifs ont créé des organismes, les Conseils pontificaux, à côté des traditionnelles Congrégations, pour répondre aux nouveaux besoins discernés par Vatican II : laïcs, famille, dialogue interreligieux… Mais l’inflation de ces Conseils – il en existe onze – rend la concertation difficile et provoque des conflits de compétences. Certains n’ont pas trouvé toute leur place, comme la pastorale pour les migrants, que Benoît XVI a donc réunie avec Justice et Paix.
De même, on peut s’interroger sur la pertinence d’un Conseil pontifical spécifique pour la santé, ou un pour la famille, distinct de celui pour les laïcs ! Plus problématique encore, la situation du Conseil pontifical pour les moyens de communications sociales, qui, chargé de la communication, n’a de compétences ni sur la Salle de presse, ni sur Radio-Vatican, ni sur la télévision vaticane…
On rappelle aujourd’hui à Rome la différence de nature entre Congrégations et Conseils : les premières ont une compétence juridique sur un domaine particulier (clergé, évêques, consacrés, Églises orientales, etc.), et leur préfet dispose d’une délégation de signature du pape. Les Conseils en revanche sont des… conseils, sans autre pouvoir que de donner un avis ou faire des propositions.
Relancer la collégialité
La curie selon Benoît XVI pourrait devenir un organisme plus ramassé, avec des Congrégations puissantes, autour desquelles graviteraient, dans une sorte de «second cercle», des Conseils en nombre plus restreint et aux pouvoirs limités.
Dernière caractéristique de la méthode du pape allemand pour le gouvernement central de l’Église catholique : la collégialité, autrement dit la concertation. Par caractère et par principe, Benoît XVI aime écouter divers avis, même si, in fine, il décide seul.
Il entend ainsi donner une plus grande impulsion aux instruments favorisant une telle collégialité : les réunions entre chefs de dicastères, tombées en désuétude au cours du pontificat de Jean-Paul II, et qu’il a réintroduites, le Synode des évêques, auquel il a insufflé davantage de débats, ainsi que les consistoires, ces assemblées de tous les cardinaux du monde, un outil qu’il entend utiliser plus fréquemment, voir annuellement, pour consulter les « princes de l’Église » sur les grandes questions de l’heure. Et (re)mettre ainsi le Saint-Siège à l’écoute et au service de l’ensemble de l’Église universelle.
Isabelle DE GAULMYN, à Rome
***
Pour ne pas confondre
Curie romaine. C’est l’ensemble des services – Secrétairerie d’État, congrégations, conseils pontificaux, tribunaux, bureaux… – qui aident l’évêque de Rome dans l’exercice de sa charge pastorale envers l’Église universelle (voir l’organigramme). Ce dispositif de gouvernement sert aussi de relais d’information entre le pape et les Églises locales. Chacun des « dicastères » qui le composent est dirigé par un cardinal (à défaut, un archevêque), assisté d’un secrétaire (généralement évêque) et d’experts.
Vatican. Ce mot désigne d’abord un territoire : celui, étendu sur 44 hectares autour de la basilique Saint-Pierre, qui constitue depuis les accords du Latran (1929) l’État gouverné par le pape. Il renvoie aussi à un ensemble d’instances réparties dans Rome qui abritent – la plupart avec un statut d’extraterritorialité – des services de la curie et d’autres institutions pontificales, notamment universitaires.
Saint-Siège. Au sens strict, ce terme englobe le pape et l’ensemble de la curie en tant qu’autorités du gouvernement central de l’Église catholique au titre du « Siège apostolique » (Chaire de saint Pierre, l’apôtre dont le pape est élu successeur). Il désigne également le sujet de droit international représentant l’ensemble de l’Église catholique – un milliard de fidèles – auprès de 174 États et d’organisations internationales (ONU, UE, etc.).
Palais apostolique. La résidence ordinaire du pape. Ce bâtiment, situé dans l’enceinte du Vatican (près des musées et de la chapelle Sixtine), abrite les appartements, la chapelle privée et les salles de réception pontificales, mais aussi les services de la Secrétairerie d’État.
« Rome ». Le nom de la Ville éternelle sert souvent à désigner le centre géographique de la catholicité. Or, la capitale italienne n’abrite pas seulement les instances de la curie « romaine ». Elle constitue d’abord, au plan pastoral, le diocèse du pape : c’est en qualité d’évêque de Rome que celui-ci est Souverain Pontife. En outre, son caractère central attire dans cette ville nombre d’institutions catholiques : les congrégations religieuses y établissent leurs maisons généralices, divers mouvements et communautés y disposent de représentations.
À lire :
Le Vatican, de Paul Poupard, Éd. Parole et Silence 2004 (152 p., 16 €) : la reprise d’un « Que sais-je ? » de référence du cardinal français.
Le Pape et le gouvernement de l’Église, de Joël-Benoît d’Onorio, Éd. Fleurus-Tardy 1992 (616 p.) : l’ouvrage – préfacé par le cardinal Ratzinger ! – reste précieux, même si une mise à jour s’impose.
Dictionnaire historique de la papauté, sous la direction de Philippe Levillain, Éd. Fayard 1994 (1 759 p.).
La formule est inhabituelle. Ce vendredi à Castel Gandolfo, devant l’ensemble des responsables de la Secrétairerie d’État, Benoît XVI devait introniser son nouveau secrétaire d’État, c’est-à-dire son bras droit, le cardinal Tarcisio Bertone, successeur du cardinal Angelo Sodano, nommé par Jean-Paul II en 1990. Inhabituelle dans les usages de la curie, car ce changement majeur avait été annoncé dès le mois de juin, avec une prise effective de fonction pour ce 15 septembre.
Mais le fait semble significatif de la volonté de Benoît XVI – qui aura donc attendu plus de 17 mois pour changer son « premier ministre » – de prendre son temps : le cardinal Bertone a révélé, dans un entretien au mensuel italien 30 Giorni, que le pape lui avait signifié son choix dès décembre 2005…
Lentement, mais en profondeur. Car, par touches successives, c’est une véritable réforme de la manière de gouverner l’Église catholique qui s’esquisse. D’abord par les nominations. Elles permettent au pape de redessiner le visage de la curie hérité de Jean-Paul II. Ainsi, le choix du cardinal Bertone est significatif : l’ancien archevêque de Gênes n’est ni un diplomate, ni un politique, mais un fidèle de Benoît XVI qui entend, a-t-il annoncé dans le quotidien Il Giornale, « accentuer la mission spirituelle de l’Église ».
Contrôler de plus près la Secrétairerie d'Etat
Recentrer les instances du Saint-Siège sur la mission de l’Église, telle semble bien être la volonté du pape. Et cela passe par un recadrage du rôle de la secrétairerie d’État. Cet organe administratif, chargé d’aider le pape dans le gouvernement central de l’Église, a vu son importance croître avec Paul VI, lui-même ancien de la Secrétairerie, et avec Jean-Paul II, pour qui le fonctionnement interne de l’appareil n’était pas la priorité.
Au point que cette haute administration finissait parfois par l’emporter sur les pouvoirs des préfets de Congrégations, les cardinaux nommés par le pape. Le pape Ratzinger, en mettant à sa tête un homme qui n’est pas du sérail, montre sa volonté de la contrôler de plus près.
À cette fonction, le cardinal Bertone sera bien placé pour poursuivre – progressivement, là encore – la simplification des structures de la curie, commencée depuis l’élection de Benoît XVI avec le regroupement, l’hiver dernier, du Conseil pontifical pour les migrants avec Justice et Paix, et du dialogue interreligieux avec la culture.
« Des réformes de la curie , il y en a déjà eu deux, une immédiatement après le concile Vatican II, par Paul VI, l’autre effectuée par Jean-Paul II, confiait encore le nouveau secrétaire d’État cet été à Il Giornale. Après près de deux décennies, il est compréhensible que l’on cherche à évaluer l’organisation des dicastères du Saint-Siège, afin de s’employer à rendre les structures existantes toujours plus fonctionnelles par rapport à la mission de l’Église. Et éventuellement d’évaluer si tout ce qui existe doit être maintenu. »
Réduire la pléthore de conseils pour faciliter la concertation
Après le Concile, les papes successifs ont créé des organismes, les Conseils pontificaux, à côté des traditionnelles Congrégations, pour répondre aux nouveaux besoins discernés par Vatican II : laïcs, famille, dialogue interreligieux… Mais l’inflation de ces Conseils – il en existe onze – rend la concertation difficile et provoque des conflits de compétences. Certains n’ont pas trouvé toute leur place, comme la pastorale pour les migrants, que Benoît XVI a donc réunie avec Justice et Paix.
De même, on peut s’interroger sur la pertinence d’un Conseil pontifical spécifique pour la santé, ou un pour la famille, distinct de celui pour les laïcs ! Plus problématique encore, la situation du Conseil pontifical pour les moyens de communications sociales, qui, chargé de la communication, n’a de compétences ni sur la Salle de presse, ni sur Radio-Vatican, ni sur la télévision vaticane…
On rappelle aujourd’hui à Rome la différence de nature entre Congrégations et Conseils : les premières ont une compétence juridique sur un domaine particulier (clergé, évêques, consacrés, Églises orientales, etc.), et leur préfet dispose d’une délégation de signature du pape. Les Conseils en revanche sont des… conseils, sans autre pouvoir que de donner un avis ou faire des propositions.
Relancer la collégialité
La curie selon Benoît XVI pourrait devenir un organisme plus ramassé, avec des Congrégations puissantes, autour desquelles graviteraient, dans une sorte de «second cercle», des Conseils en nombre plus restreint et aux pouvoirs limités.
Dernière caractéristique de la méthode du pape allemand pour le gouvernement central de l’Église catholique : la collégialité, autrement dit la concertation. Par caractère et par principe, Benoît XVI aime écouter divers avis, même si, in fine, il décide seul.
Il entend ainsi donner une plus grande impulsion aux instruments favorisant une telle collégialité : les réunions entre chefs de dicastères, tombées en désuétude au cours du pontificat de Jean-Paul II, et qu’il a réintroduites, le Synode des évêques, auquel il a insufflé davantage de débats, ainsi que les consistoires, ces assemblées de tous les cardinaux du monde, un outil qu’il entend utiliser plus fréquemment, voir annuellement, pour consulter les « princes de l’Église » sur les grandes questions de l’heure. Et (re)mettre ainsi le Saint-Siège à l’écoute et au service de l’ensemble de l’Église universelle.
Isabelle DE GAULMYN, à Rome
***
Pour ne pas confondre
Curie romaine. C’est l’ensemble des services – Secrétairerie d’État, congrégations, conseils pontificaux, tribunaux, bureaux… – qui aident l’évêque de Rome dans l’exercice de sa charge pastorale envers l’Église universelle (voir l’organigramme). Ce dispositif de gouvernement sert aussi de relais d’information entre le pape et les Églises locales. Chacun des « dicastères » qui le composent est dirigé par un cardinal (à défaut, un archevêque), assisté d’un secrétaire (généralement évêque) et d’experts.
Vatican. Ce mot désigne d’abord un territoire : celui, étendu sur 44 hectares autour de la basilique Saint-Pierre, qui constitue depuis les accords du Latran (1929) l’État gouverné par le pape. Il renvoie aussi à un ensemble d’instances réparties dans Rome qui abritent – la plupart avec un statut d’extraterritorialité – des services de la curie et d’autres institutions pontificales, notamment universitaires.
Saint-Siège. Au sens strict, ce terme englobe le pape et l’ensemble de la curie en tant qu’autorités du gouvernement central de l’Église catholique au titre du « Siège apostolique » (Chaire de saint Pierre, l’apôtre dont le pape est élu successeur). Il désigne également le sujet de droit international représentant l’ensemble de l’Église catholique – un milliard de fidèles – auprès de 174 États et d’organisations internationales (ONU, UE, etc.).
Palais apostolique. La résidence ordinaire du pape. Ce bâtiment, situé dans l’enceinte du Vatican (près des musées et de la chapelle Sixtine), abrite les appartements, la chapelle privée et les salles de réception pontificales, mais aussi les services de la Secrétairerie d’État.
« Rome ». Le nom de la Ville éternelle sert souvent à désigner le centre géographique de la catholicité. Or, la capitale italienne n’abrite pas seulement les instances de la curie « romaine ». Elle constitue d’abord, au plan pastoral, le diocèse du pape : c’est en qualité d’évêque de Rome que celui-ci est Souverain Pontife. En outre, son caractère central attire dans cette ville nombre d’institutions catholiques : les congrégations religieuses y établissent leurs maisons généralices, divers mouvements et communautés y disposent de représentations.
À lire :
Le Vatican, de Paul Poupard, Éd. Parole et Silence 2004 (152 p., 16 €) : la reprise d’un « Que sais-je ? » de référence du cardinal français.
Le Pape et le gouvernement de l’Église, de Joël-Benoît d’Onorio, Éd. Fleurus-Tardy 1992 (616 p.) : l’ouvrage – préfacé par le cardinal Ratzinger ! – reste précieux, même si une mise à jour s’impose.
Dictionnaire historique de la papauté, sous la direction de Philippe Levillain, Éd. Fayard 1994 (1 759 p.).
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