Le pape, une fin de vie ordinaire
Rebonds
Le manque de transparence sur la santé de Jean-Paul II pose des questions essentielles.
Par Eric FAVEREAU
jeudi 24 mars 2005
Eric Favereau journaliste à Libération
On ne sait plus quoi dire, ni quoi penser des images que l'on nous donne à voir de Jean- Paul II. Et de sa fin de vie. Des images, comme venues d'un autre temps, d'un vieillard incapable de parler, que nul ne comprend, trimbalé de papamobile en chambre d'hôpital, à qui on fait en urgence une trachéotomie, puis que l'on voit bénir la foule derrière un micro. On ouvre une fenêtre, il prend froid. On le réhospitalise. Il tremble, peine à parler.
Quelle que soit la mise en scène voulue par le Vatican, une évidence s'impose : le pape est comme tout le monde et c'est l'exemple même d'une fin de vie d'aujourd'hui à laquelle on assiste. Une fin de vie hasardeuse, hésitante, incertaine. La mort médicalisée de la personne âgée est devenue ainsi. On ne sait plus trop. On ignore quand tout bascule. A quoi renvoient ces fins de vie ? Longtemps soigné, toujours vivant grâce à la médecine, le pape est un vieil homme de son temps. Avec un tableau clinique complexe. Ses médecins s'y perdent. «S'il attrapait un rhume, une grippe ou une infection pulmonaire, les besoins (en terme de soins) seraient accrus en raison des sécrétions plus importantes dans la poitrine et la canule», expliquait le Dr Khalid Ghuffoor, du Royal London Hospital, ajoutant : «La canule pourrait, à la longue, devenir source d'irritations et d'infections». D'autant que le pape pourrait devoir la garder à vie en raison de la maladie de Parkinson dont il est atteint. «La dégénérescence neurologique qu'elle engendre se traduit au niveau musculaire et ajoute aux difficultés respiratoires.»
Propos confus sur une situation où bien des questions restent en suspens : faut-il insister avec les techniques actuelles de respiration ? Lui donne-t-on des produits qui soulagent de la douleur, médicaments qui portent en eux le risque de hâter la fin ? Ou l'inverse ? Au risque de le laisser mourir, peu à peu, étouffé. Les communiqués des médecins sont grotesques, au moins autant que ceux pondus par les médecins de Mitterrand. On ment, on biaise, on rassure.
Lui demande-t-on son avis ? A-t-il donné des consignes ? En a-t-il les moyens ? C'est quoi, en la circonstance, ce que l'on a l'habitude d'appeler le consentement éclairé ? Problématique importante que l'Eglise refuse d'aborder, en répétant que Jean-Paul II décide de tout. Ainsi nous a-t-on dit qu'il a «imposé à son entourage un retour au Vatican, mais ses médecins lui auraient demandé de réduire ses activités, de ne pas parler et d'éviter tout risque d'infection respiratoire».
On le devine, il n'y a aucune vérité dans ces propos. Tout est évacué pour cause de sacrilège. Puisque, chef d'un Etat, il est censé gouverner jusqu'à son dernier souffle. Devant cette fin de vie lourdement moderne, on aurait pu espérer un peu de transparence. Le Vatican en a décidé autrement. Laissant croire que les conditions de la mort n'avaient pas changé.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=284648
Le manque de transparence sur la santé de Jean-Paul II pose des questions essentielles.
Par Eric FAVEREAU
jeudi 24 mars 2005
Eric Favereau journaliste à Libération
On ne sait plus quoi dire, ni quoi penser des images que l'on nous donne à voir de Jean- Paul II. Et de sa fin de vie. Des images, comme venues d'un autre temps, d'un vieillard incapable de parler, que nul ne comprend, trimbalé de papamobile en chambre d'hôpital, à qui on fait en urgence une trachéotomie, puis que l'on voit bénir la foule derrière un micro. On ouvre une fenêtre, il prend froid. On le réhospitalise. Il tremble, peine à parler.
Quelle que soit la mise en scène voulue par le Vatican, une évidence s'impose : le pape est comme tout le monde et c'est l'exemple même d'une fin de vie d'aujourd'hui à laquelle on assiste. Une fin de vie hasardeuse, hésitante, incertaine. La mort médicalisée de la personne âgée est devenue ainsi. On ne sait plus trop. On ignore quand tout bascule. A quoi renvoient ces fins de vie ? Longtemps soigné, toujours vivant grâce à la médecine, le pape est un vieil homme de son temps. Avec un tableau clinique complexe. Ses médecins s'y perdent. «S'il attrapait un rhume, une grippe ou une infection pulmonaire, les besoins (en terme de soins) seraient accrus en raison des sécrétions plus importantes dans la poitrine et la canule», expliquait le Dr Khalid Ghuffoor, du Royal London Hospital, ajoutant : «La canule pourrait, à la longue, devenir source d'irritations et d'infections». D'autant que le pape pourrait devoir la garder à vie en raison de la maladie de Parkinson dont il est atteint. «La dégénérescence neurologique qu'elle engendre se traduit au niveau musculaire et ajoute aux difficultés respiratoires.»
Propos confus sur une situation où bien des questions restent en suspens : faut-il insister avec les techniques actuelles de respiration ? Lui donne-t-on des produits qui soulagent de la douleur, médicaments qui portent en eux le risque de hâter la fin ? Ou l'inverse ? Au risque de le laisser mourir, peu à peu, étouffé. Les communiqués des médecins sont grotesques, au moins autant que ceux pondus par les médecins de Mitterrand. On ment, on biaise, on rassure.
Lui demande-t-on son avis ? A-t-il donné des consignes ? En a-t-il les moyens ? C'est quoi, en la circonstance, ce que l'on a l'habitude d'appeler le consentement éclairé ? Problématique importante que l'Eglise refuse d'aborder, en répétant que Jean-Paul II décide de tout. Ainsi nous a-t-on dit qu'il a «imposé à son entourage un retour au Vatican, mais ses médecins lui auraient demandé de réduire ses activités, de ne pas parler et d'éviter tout risque d'infection respiratoire».
On le devine, il n'y a aucune vérité dans ces propos. Tout est évacué pour cause de sacrilège. Puisque, chef d'un Etat, il est censé gouverner jusqu'à son dernier souffle. Devant cette fin de vie lourdement moderne, on aurait pu espérer un peu de transparence. Le Vatican en a décidé autrement. Laissant croire que les conditions de la mort n'avaient pas changé.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=284648
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