4.28.2005

Notre agent au Vatican…

Il est de notoriété internationale que le Vatican est un nid d’espions. Tous les Etats ont cherché à savoir ce qu’il se passait dans les Loggias de Raphaël, au point de se faire parfois avoir comme des amateurs par des affabulateurs. Après la libération de Rome, le 6 juin 1944, les services américains se firent ainsi escroquer par Virgilio Scattolini qui, profitant des faibles connaissances dont disposait l’Office of Strategic Services (OSS) sur le Vatican, fabriquait allègrement toute sorte d’information. Un peu comme dans « Le tailleur de Panama », de John Le Carré, pour l’après-guerre froide, la situation à Rome après l’écroulement du fascisme laissait penser que tout était possible. Le seul pouvoir qui restait un tant soit peu debout était le Saint-Siège et la fascination pour ce monde secret restait intacte. Les analystes de l’OSS n’étaient nourri d’aucune expérience ; ils manquaient tout simplement des bases nécessaires pour en évaluer l’intérêt ou l’authenticité. Aussi se montraient-il crédules, au point de croire jusqu’à la prochaine construction d’un… terrain d'aviation dans les jardins du Vatican ! Cela dit, l’imaginatif escroc était un artiste que les Américains s’empressèrent de retourner une fois démasqué : désormais, il vendrait ses rapports fantaisistes sur le Vatican au… Parti communiste italien.
Dans le climat de Guerre froide qui s’établissait, les Soviétiques manquaient cruellement d’informations. La question de Staline : « Le Vatican, combien de divisions ? » ne se voulait pas seulement une affirmation, mais elle contenait surtout une grande part d’incertitude sur la puissance pontificale. Depuis l’établissement à Rome du Russicum en 1929, chargé de préparer des prêtres à un futur travail missionnaire en Union soviétique, les services soviétiques cherchaient à percer les mystères du Saint-Siège. Dans les années 1930, ils avaient tenté de recruter des agents autour de la Place Saint-Pierre, rencontrant bien des difficultés tant les sympathisants potentiels du communisme étaient peu nombreux dans les sphères ecclésiastiques. Ils parvinrent cependant à convaincre de rares personnes de leur livrer des documents.
Le pontificat de Pie XII étant résolument déclaré contre toutes les formes d’athéisme, le communisme inclus, Moscou se livra aussi bien au recrutement d’agents, facilités par la conquête de nations catholiques, comme la Pologne et l’Allemagne — même si les parties les plus catholiques ne se situaient évidemment pas à l’Est —, qu’à des opérations d’information et homo. Les archives n’ont encore pas livré leurs secrets, mais la polémique sur les silences de Pie XII et l’implication des Bulgares dans la tentative d’assassinat de Jean-Paul II trouvent bien leurs origines dans les bureaux de la place Djerzinski.
Le 23 octobre 1998, Markus Wolf, le dernier chef historique de la police secrète est-allemande, la Stasi, qui vivait en liberté des droits d’auteur que lui rapportaient ses livres, de souvenirs et de cuisine, déclarait qu’il entretenait depuis des années un agent dans l’entourage du Cardinal secrétaire d’Etat de Jean-Paul II, Agostino Casaroli, qui venait de mourir quatre mois plus tôt. Il travaillait comme « scientifique » au Vatican. Ces propos télévisés à l’occasion du vingtième anniversaire du pontificat de Jean-Paul II furent bien entendu commenté dans la communauté allemande de Rome. Il lui avait facile de reconnaître derrière les propos du maître espion le bénédictin Eugen Brammertz, employé à l’édition allemande de « l’Osservatore Romano » de 1981 à son décès six ans plus tard, à l’âge de soixante et onze ans. L’information avait percé après la réunification allemande, le 4 novembre 1989.
En mars 2000, l’historien Bernd Schäfer, qui avait fait sa thèse sur « Staat und katholische Kirche in der DDR » (Böhlau: 2. Auflage Köln/Weimar, 1999), publiait un article sur la question. Dans « Pater “Lichtblick” OSB und “Antonius” Waschbüsch : Endgültig enttarnt — Spione im Katholischen Kirchendienst », il rendait public les pièces relatives au recrutement du frère Brammertz dès 1960 et à sa carrière romaine dès 1975. Il aurait été en contact avec un certain “Antonius”, que l’historien identifie comme étant un journaliste de la Katholische Nachrichten-Agentur, à Rome avant de rejoindre Wiesbaden et de devenir une personnalité de la CDU, Alfons Waschbüsch. Le recrutement de ce dernier à lieu en 1968, mais il n’est activé qu’en mai 1976. Les dernières fiches du Ministeriums für Staatssicherheit interviennent en 1987, avec la mort de “Lichtblick”. Un site italien, qui fait ses affaires avec la crédulité de chacun dans un « almanacco dei misteri d’Italia », inclut le frère Brammertz dans l’enlèvement de la jeune Emanuela Orlandi, le 22 juin 1983 vers dix-neuf heures. Le bénédictin et le correspondant de la chaîne ARD, Hans Jakob Stehle, se rencontraient à la rédaction étrangère de « l’Osservatore Romano », qui faisait face à la petite cour qu’empruntait la jeune fille. Le site précise que, dans leurs contacts téléphoniques avec la secrétairerie d’Etat, les ravisseurs étaient au fait de qui entrait et sortait de la cité du Vatican. Alois Estermann, entré à la Garde suisse en 1981, avant d’en devenir son chef dix-sept ans plus tard, aurait disposé d’un dossier à ce sujet. Bien sûr, il aurait été dérobé après son assassinat, le 4 mai 1998.
Peu après sa mort tragique, Aloïs Estermann fut l’objet de révélations dans la presse, notamment le très sérieux journal allemand Berliner Kurier du 8 mai 1998. Lui aussi aurait été recruté par la Stasi en 1979, à l'initiative de son chef, sous le pseudonyme de “Werder”. Bien que cette allégation ait été démentie par Markus Wolf lui-même, l’amiral Fulvio Martini, responsable du contre-espionnage italien de 1984 à 1990, confirme cette information, laissant entendre qu’Estermann était bien un agent de l’étranger, sans doute des ex-services est-allemands (L'Express du 27 juin 2002). Le rideau de fumée laisse apparaître que le garde du corps du Saint-Père le 13 mai 1981 ne faisait pas l'unanimité. Soupçonné d'avoir trempé dans des affaires peu claires, la Conférence des évêques suisses, dont l'avis est nécessaire pour la nomination du chef de la garde suisse, s’était montrée rétive lors de la promotion d’Estermann.
Apparaît aujourd’hui de l’Institut polonais de la mémoire nationale, trois semaines après le décès de Jean-Paul II et l’apaisement de la ferveur populaire suite à l’élection de Benoît XVI, un nouvel agent communiste au Vatican en la personne d’un dominicain de soixante-neuf ans, le père Konrad Stanislaw Hejmo, directeur de la Maison du pèlerin polonais à Rome, Corda Cordi. Ce familier du cardinal Karol Wojtyla avait été envoyé dans la Cité éternelle en 1979 par le primat de Pologne, Mgr Stefan Wyszynski, afin d’organiser l’aide aux immigrés polonais. Selon Leon Kieres, président de l’Institut de la mémoire nationale, les dossiers du père Hejmo comprennent sept cents pages de transcriptions d’enregistrements audio et portent sur sa collaboration avec la Sluzba Bezpieczenstwa dans les années 1980 « et avant ». Il utilisait les pseudonymes “Hejnal” et “Dominik”, Cette annonce fait suite à celle de la semaine dernière selon laquelle l’Institut de la mémoire nationale disposait de nouvelles traces de mouchards des services de sécurité communistes dans le proche entourage ecclésiastique de Karol Wojtyla. Contacté hier au téléphone par la télévision publique polonaise TVP, le père Hejmo a rejeté ces accusations. « C'est complètement absurde », a-t-il déclaré. Il a confirmé avoir été « sollicité » par la Sluzba Bezpieczenstwa à l'époque communiste, comme « tous les prêtres » en Pologne. « Tout prêtre avait forcément son tuteur », a-t-il ajouté. Il a indiqué qu’il transmettait bien des informations de Rome, mais « pour le primat de Pologne ». Il n’exclut pas qu’elles aient pu être enregistrées à son insu. Il aurait pris l’avion de Varsovie.
L’accusation touche une nouvelle fois un personnage connu des journalistes au Vatican. Avec sa haute silhouette et son habit blanc de dominicain, ce responsable de la Maison du pèlerin polonais de la via Pfeiffer traversait la toute proche place Saint-Pierre avec des groupes de pèlerins plusieurs fois par jour. S'il lui arrivait souvent d’être vu près du pape, au point d’avoir démenti le 1er avril dernier sa mort et déclaré qu’il se préparait en paix, il n’était pas employé du Vatican et n’avait pas accès à des dossiers secrets. Néanmoins, « il avait accès aux plus proches collaborateurs de Jean Paul II », a déclaré sur TV24 Jacek Palasinski, correspondant de cette chaîne de télévision polonaise à Rome. Interrogé par l'AFP, Mgr Tadeusz Pieronek, membre de l'épiscopat polonais, a qualifié l'information donnée par M. Kieres de « grande surprise ». « Il ne faut pas oublier que ce système (communiste) était sans pitié. Il est facile de condamner, mais ce système avait tout le monde dans ses tenailles », a souligné Mgr Pieronek. Selon lui, ce n'est toutefois « pas le moment pour ce genre d'informations, après tout ce que nous avons vécu avec la mort du pape ».
Qu’il ne s’agisse que d’un rideau de fumée ou d’une réalité, ces accusations distillées par la presse pose un problème. L’ouverture totale des archives des polices politiques des anciens pays du Bloc soviétique forme un serpent de mer de la vie politique de ces pays depuis l’effondrement des régimes soviétiques. Le débat fait périodiquement rage, à la veille d’échéances électorales le plus souvent. Il s’agit à chaque fois de vérifier le passé de quelques-uns, responsables politiques ou figures médiatiques. C’est particulièrement vrai pour Estermann et Hejmo. En Pologne, la polémique touche tout le monde depuis la parution, début février sur Internet, d’une liste de 162 000 noms de personnes liées à l’ancienne police politique. Le problème est que cette liste mélange dans le même opprobre les collaborateurs et leurs victimes sans pouvoir les discerner. Et derrière les questions historiques légitimes se cachent des arrière-pensées politiques moins reluisantes.
-->