5.25.2005

Benoît XVI, pape du dialogue ?

«Renoncer à la vérité livre l’homme au calcul du profit»
Joseph Ratzinger

jean-noël cuénod
La Tribune de Genève

Après l'élection du cardinal Joseph Ratzinger et passée la vague «papolâtre», les médias ont considéré le nouveau pape sous un angle sceptique: devenu Benoît XVI, le «panzercardinal» n'allait certes pas désarmer! Et chacun de rappeler la déclaration «Dominus Jesus» que Joseph Ratzinger avait diffusée l'été 2000.
A le relire, ce texte demeure irrecevable pour les protestants et pour tous ceux qui ont une vision large de ce que doit être un dialogue entre confessions professant le même message fondamental. Dénier aux institutions de la Réforme le statut d'Eglises relève plus de l'arrogance que d'un sain raisonnement.
Toutefois, il serait faux d'enfermer Benoît XVI dans «Dominus Jesus». Car la pensée de Joseph Ratzinger vaut beaucoup mieux que cela. La lecture d'un de ses ouvrages L'unique alliance de Dieu et le pluralisme des religions - paru en 1999 aux Editions Parole et Silence - le démontre.
Le cardinal, futur pape, y développe une pensée claire, pénétrante, savamment étayée, qui place le dialogue interreligieux sur des rails solides. Certes, Joseph Ratzinger n'est pas tolérant, au sens où on l'entend habituellement. C'est-à-dire qu'il ne relativise pas ses convictions, ni celles des autres, et ne reçoit pas toute pensée avec la même mansuétude teintée d'indifférence.
En revanche - et c'est cela qui importe - on le découvre beaucoup plus respectueux des idées d'autrui qu'on ne le supposerait en se remémorant «Dominus Jesus». Et si Benoît XVI devenait le pape du dialogue interreligieux?
Dans son livre, il décrit les impasses qui peuvent apparaître dans les rapports entre religions. Une voie paraît tentante, celle du mysticisme qui prône l'intimité toute intérieure des rapports entre l'individu et le principe divin. A aucun moment l'auteur ne nie l'importance de la dimension mystique dans le christianisme. Mais il conteste son utilisation exclusive dans le dialogue interreligieux.
Or il est vrai que cette voie mystique semble apte à surmonter les écueils posés par les dogmes, les doctrines et la rigidité des institutions ecclésiastiques. Tout l'arsenal théologique est, au fond, de trop pour le mystique. C'est un poids qui l'empêche de s'élever. Dès lors, tous ceux qui privilégient cette approche peuvent aisément s'entendre quelle que soit leur appartenance religieuse.
Certes, mais de quoi parleraient-ils? Du sexe des anges? Car dans cette vision, Dieu n'est que présence intérieure. Il ne dit rien au monde. Et le monde n'a rien à lui dire. Or les religions ont leur mot à dire au monde qui est en quête de guidance et de morale.
Refuser d'imposer sa vision de la vérité, c'est une chose. Et une chose positive. Mais abandonner toute vision de la vérité, c'en est une autre. Et qui conduit tout dialogue dans une sorte de mur mollement capitonné. Aussi, Joseph Ratzinger souligne-t-il:
«Renoncer à la vérité et à ses convictions n'élève pas l'homme mais le livre au calcul du profit, le prive de sa grandeur. Ce qu'il faut exiger, c'est le respect de la foi de l'autre et la disponibilité à rechercher dans les éléments étrangers que je rencontre, une vérité qui me concerne et qui peut me corriger, me mener plus loin.»
En perdant son identité, on ne trouve pas l'autre mais seulement du vide. Tout l'art du dialogue consiste donc à rester fidèle à ses convictions tout en acceptant qu'elles puissent évoluer à l'issue de leur confrontation avec d'autres visions de la vérité. Equilibre subtil que la société médiatique - pour laquelle «nuance» et «mesure» sont de très vilains mots - ne parvient pas à expliquer.
Certes, pour Joseph Ratzinger il n'est pas question que l'Eglise catholique renonce à ses activités missionnaires et à la diffusion «urbi et orbi» de sa doctrine. Mais la mission est vécue comme un échange au cours duquel celui qui transmet et celui qui reçoit sont alternativement l'un et l'autre des interlocuteurs.
Cependant, adepte du «parler vrai», le futur pape ne se forme aucune illusion: «Qui mise sur l'unification des religions comme résultat du dialogue interreligieux ne peut qu'être déçu. Ceci n'est guère possible en ce temps de notre histoire, et peut-être ne serait-ce même pas souhaitable.»
Un dialogue interreligieux doit s'établir sans faux-semblant. Apprenons d'abord à respecter. L'autre. Et soi-même.
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