Tauran : «Cette Constitution va contribuer à l'essor d'une citoyenneté européenne»
Ancien «chef de la diplomatie» de Jean-Paul II durant treize ans, aujourd'hui gardien des archives et de la bibliothèque du Saint-Siège, le cardinal Jean-Louis Tauran pense qu'un non au référendum français ouvrirait «une grande crise de crédibilité pour l'Europe», aux «conséquences dramatiques».
Propos recueillis au Vatican par Hervé Yannou
[Le Figaro, 24 mai 2005]
LE FIGARO. – Comment jugez-vous ce traité, qui ne fait pas référence aux racines chrétiennes de l'Europe ?
Jean-Louis TAURAN. – Cette omission est sans aucun doute regrettable. Si nous ne sommes pas capables de relire notre histoire ou si nous la relisons au prisme d'idéologies réductrices, il est à craindre que les Européens aient des idées floues sur leur identité. Que répondraient-ils à la question : qu'est-ce que l'Europe ? Je considère positif que, grâce aux interventions de Jean-Paul II et de ses collaborateurs, un débat ait eu lieu sur ce sujet et que la formule finalement adoptée «héritage religieux» se réfère implicitement au christianisme. Le texte que nous avons entre les mains présente des lumières et des ombres. D'une part, il constitue en lui-même un progrès. Il faut remarquer que la dignité humaine et d'autres valeurs comme la liberté et l'égalité, qui trouvent d'ailleurs leur fondement dans le christianisme, y sont explicitement reconnus comme le socle sur lequel repose l'Union. D'autre part, certains articles relatifs à la vie, aux droits de la famille, à la discrimination mériteraient sans doute une autre formulation. Quoi qu'il en soit, malgré ces lacunes, le traité devrait contribuer à faire naître un sentiment de citoyenneté européenne. Évidemment, tout ne va pas changer comme par enchantement. Il faudra voir comment ce nouveau traité sera utilisé !
L'absence de référence à l'héritage chrétien est-elle un obstacle à la ratification du traité ?
Plus que d'«absence», je parlerai d'«omission». Même si le préambule ne mentionne pas les racines chrétiennes de l'Europe, on doit se réjouir que pour la première fois l'héritage religieux et les Églises apparaissent dans le droit européen, à travers les dispositions normatives contenues dans le corps du traité. Et là, nous avons des choses importantes concernant la religion : le respect du statut des Églises dans les droits nationaux, la reconnaissance de la contribution spécifique des Églises, l'institutionnalisation du dialogue ouvert, régulier et transparent entre l'Union européenne et les Églises.
Quelles seraient selon vous les conséquences d'un rejet du traité, le 29 mai ?
Une telle éventualité compliquerait énormément le processus de ratification dans la mesure où la France est l'un des pays fondateurs de l'Union européenne. L'Europe politique resterait un projet. Seule l'Europe de l'euro fonctionnerait...
Quel rôle peuvent aujourd'hui jouer les chrétiens, dans l'avancée de la construction européenne ?
Les chrétiens, habitués à vivre leur foi dans des communautés formées de personnes de toutes origines, peuvent aider les Européens à vivre ensemble et à s'accepter différents. Ils peuvent contribuer ainsi à l'émergence d'une Europe dont l'unité ne soit pas synonyme d'uniformité et la diversité synonyme de fragmentation.
Et le Pape Benoît XVI ?
Affirmer que c'est un Européen convaincu est peu dire ! Benoît XVI continuera à rappeler aux Européens leur histoire mais plus encore leurs responsabilités. Dans aucune phase de son histoire, l'Europe n'a vécu sans porter le regard sur le sacré. Grâce à la cohabitation avec Dieu, elle a essayé tant bien que mal d'apprendre aux hommes à vivre ensemble ! Elle doit progresser dans cette voie. Telle me semble être l'encouragement que nous recevons du nouveau Pontife.
L'entrée de la Turquie dans l'Europe est-elle souhaitable pour l'avenir de l'Union ?
Ce qui permet à un pays d'accéder à l'Union européenne, c'est qu'il vit et partage les valeurs fondatrices de cette Union. Parmi ces valeurs figurent le respect effectif des droits humains fondamentaux ainsi que le respect et la protection des minorités. On peut alors comprendre que les papes et leurs collaborateurs aient toujours insisté pour que, comme les autres pays, la Turquie respecte effectivement la liberté religieuse des minorités, non seulement au niveau législatif et administratif, mais aussi au niveau social. Et si ma mémoire ne me trahit pas, la Commission européenne a signalé des carences sérieuses en ce domaine.
Propos recueillis au Vatican par Hervé Yannou
[Le Figaro, 24 mai 2005]
LE FIGARO. – Comment jugez-vous ce traité, qui ne fait pas référence aux racines chrétiennes de l'Europe ?
Jean-Louis TAURAN. – Cette omission est sans aucun doute regrettable. Si nous ne sommes pas capables de relire notre histoire ou si nous la relisons au prisme d'idéologies réductrices, il est à craindre que les Européens aient des idées floues sur leur identité. Que répondraient-ils à la question : qu'est-ce que l'Europe ? Je considère positif que, grâce aux interventions de Jean-Paul II et de ses collaborateurs, un débat ait eu lieu sur ce sujet et que la formule finalement adoptée «héritage religieux» se réfère implicitement au christianisme. Le texte que nous avons entre les mains présente des lumières et des ombres. D'une part, il constitue en lui-même un progrès. Il faut remarquer que la dignité humaine et d'autres valeurs comme la liberté et l'égalité, qui trouvent d'ailleurs leur fondement dans le christianisme, y sont explicitement reconnus comme le socle sur lequel repose l'Union. D'autre part, certains articles relatifs à la vie, aux droits de la famille, à la discrimination mériteraient sans doute une autre formulation. Quoi qu'il en soit, malgré ces lacunes, le traité devrait contribuer à faire naître un sentiment de citoyenneté européenne. Évidemment, tout ne va pas changer comme par enchantement. Il faudra voir comment ce nouveau traité sera utilisé !
L'absence de référence à l'héritage chrétien est-elle un obstacle à la ratification du traité ?
Plus que d'«absence», je parlerai d'«omission». Même si le préambule ne mentionne pas les racines chrétiennes de l'Europe, on doit se réjouir que pour la première fois l'héritage religieux et les Églises apparaissent dans le droit européen, à travers les dispositions normatives contenues dans le corps du traité. Et là, nous avons des choses importantes concernant la religion : le respect du statut des Églises dans les droits nationaux, la reconnaissance de la contribution spécifique des Églises, l'institutionnalisation du dialogue ouvert, régulier et transparent entre l'Union européenne et les Églises.
Quelles seraient selon vous les conséquences d'un rejet du traité, le 29 mai ?
Une telle éventualité compliquerait énormément le processus de ratification dans la mesure où la France est l'un des pays fondateurs de l'Union européenne. L'Europe politique resterait un projet. Seule l'Europe de l'euro fonctionnerait...
Quel rôle peuvent aujourd'hui jouer les chrétiens, dans l'avancée de la construction européenne ?
Les chrétiens, habitués à vivre leur foi dans des communautés formées de personnes de toutes origines, peuvent aider les Européens à vivre ensemble et à s'accepter différents. Ils peuvent contribuer ainsi à l'émergence d'une Europe dont l'unité ne soit pas synonyme d'uniformité et la diversité synonyme de fragmentation.
Et le Pape Benoît XVI ?
Affirmer que c'est un Européen convaincu est peu dire ! Benoît XVI continuera à rappeler aux Européens leur histoire mais plus encore leurs responsabilités. Dans aucune phase de son histoire, l'Europe n'a vécu sans porter le regard sur le sacré. Grâce à la cohabitation avec Dieu, elle a essayé tant bien que mal d'apprendre aux hommes à vivre ensemble ! Elle doit progresser dans cette voie. Telle me semble être l'encouragement que nous recevons du nouveau Pontife.
L'entrée de la Turquie dans l'Europe est-elle souhaitable pour l'avenir de l'Union ?
Ce qui permet à un pays d'accéder à l'Union européenne, c'est qu'il vit et partage les valeurs fondatrices de cette Union. Parmi ces valeurs figurent le respect effectif des droits humains fondamentaux ainsi que le respect et la protection des minorités. On peut alors comprendre que les papes et leurs collaborateurs aient toujours insisté pour que, comme les autres pays, la Turquie respecte effectivement la liberté religieuse des minorités, non seulement au niveau législatif et administratif, mais aussi au niveau social. Et si ma mémoire ne me trahit pas, la Commission européenne a signalé des carences sérieuses en ce domaine.
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