La béatification du P. Dehon bloquée
La Croix, 09-06-2005
Ce prêtre français devait être béatifié le 24 avril dernier par Jean-Paul II. Benoît XVI vient de nommer une commission pour réexaminer le dossier
Sans précédent dans l’histoire de l’Église : la remise en cause, in extremis, d’une béatification. Le P. Léon Dehon, prêtre français, né en 1843 et décédé en 1925, grande figure du catholicisme social et fondateur de la congrégation des prêtres du Sacré-Cœur – les «dehoniens», 2.226 religieux présents dans 38 pays – devait être béatifié par Jean-Paul II le 24 avril dernier.
La mort de ce pape a suspendu ce projet mais cette cérémonie pourrait ne jamais avoir lieu. Benoît XVI vient de confier à une commission informelle, au sein de la Secrétairerie d’État, le soin de réexaminer la totalité du dossier. Des écrits antisémites du P. Dehon sont en effet passés à travers les mailles du procès de la Congrégation des causes des saints.
Alerté, fin février 2005 par l’historien Jean-Dominique Durand, l’épiscopat français, représenté par les cardinaux Jean-Marie Lustiger et Philippe Barbarin et par Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la conférence des évêques, avait aussitôt signalé cette anomalie à Rome. Le cardinal Ratzinger, alors saisi du dossier comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait fait savoir, selon une source autorisée, que «l’Église devait reconnaître ses erreurs et tirer les conséquences qui s’imposent».
«La passion des richesses, c’est chez eux un instinct de race»
Mais il était trop tard pour arrêter le processus puisque le décret reconnaissant le miracle nécessaire à toute béatification et l’héroïcité des vertus de l’intéressé avait été promulgué le 19 avril 2004 et que la date de la cérémonie était fixée. Seule la mort du pape, alors très malade, pouvait changer le cours des choses. Ce qui arriva.
Le gouvernement français avait fait savoir qu’il n’aurait pas été représenté à cette béatification et le confirme aujourd’hui si celle-ci intervenait. Quant à l’épiscopat français, il était même allé jusqu’à envisager de réprouver publiquement cet acte. L’affaire lui paraissait trop grave.
Quelle affaire au juste ? Des écrits du P. Dehon, sept textes précisément, très accessibles, dont voici quelques extraits : «La passion des richesses, c’est chez eux un instinct de race.» Ils ont «soif de l’or» ; les juifs sont «unis dans la haine du Christ», ils sont les ennemis par excellence de l’Église et des chrétiens.
Le Talmud ? «C’est le manuel du parfait israélite, le manuel du détrousseur, du corrupteur, du destructeur social» ; «La réaction antisémite est un signe d’espérance» ; il recommande même l’isolement : «Le juif signalé par un vêtement spécial, exclu de l’enseignement, de la magistrature et de la propriété territoriale, et consigné dans ses ghettos avec la faculté restreinte d’exercer seulement certains commerces.» Il propose aussi de prendre comme modèle le courant antisémite autrichien lancé en 1893 par Karl Lueger, homme politique dont Hitler, louera plus tard les mérites dans Mein Kampf.
Un vice de procédure - ou une énigme interne - reste à élucider
Même si Léon XIII, le pape de l’époque s’était, avec d’autres catholiques, opposé à l’antisémitisme, les défenseurs de la béatification du P. Dehon expliquent que ces propos sont à situer dans cette période. Ainsi le P. Joseph, supérieur de la communauté des prêtres du Sacré-Cœur de Paris : «Il y a anachronisme. Il faut placer ces quelques textes dans leur contexte sinon la perspective est faussée. Le P. Dehon était un homme plein d’amour.»
Ce ne sont pas «les vertus incontestables du P. Dehon qui sont en cause, répond Jean-Dominique Durand, mais le fait qu’une telle béatification laisserait penser que l’antisémitisme est un péché véniel, pas si grave». Haïm Musicant, directeur général du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) se félicite, lui, de cette suspension : «Une telle béatification aurait été une blessure pour le dialogue fort et en bonne santé avec l’Église catholique et mieux vaut éviter les blessures inutiles.»
La commission romaine va donc mettre au travail et commencer par élucider un vice de procédure ou énigme interne : pourquoi ce dossier de béatification – récusé pour ce motif par la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1952 – ne lui a-t-il pas été soumis, cette fois ?
Jean-Marie GUENOIS
Ce prêtre français devait être béatifié le 24 avril dernier par Jean-Paul II. Benoît XVI vient de nommer une commission pour réexaminer le dossier
Sans précédent dans l’histoire de l’Église : la remise en cause, in extremis, d’une béatification. Le P. Léon Dehon, prêtre français, né en 1843 et décédé en 1925, grande figure du catholicisme social et fondateur de la congrégation des prêtres du Sacré-Cœur – les «dehoniens», 2.226 religieux présents dans 38 pays – devait être béatifié par Jean-Paul II le 24 avril dernier.
La mort de ce pape a suspendu ce projet mais cette cérémonie pourrait ne jamais avoir lieu. Benoît XVI vient de confier à une commission informelle, au sein de la Secrétairerie d’État, le soin de réexaminer la totalité du dossier. Des écrits antisémites du P. Dehon sont en effet passés à travers les mailles du procès de la Congrégation des causes des saints.
Alerté, fin février 2005 par l’historien Jean-Dominique Durand, l’épiscopat français, représenté par les cardinaux Jean-Marie Lustiger et Philippe Barbarin et par Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la conférence des évêques, avait aussitôt signalé cette anomalie à Rome. Le cardinal Ratzinger, alors saisi du dossier comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait fait savoir, selon une source autorisée, que «l’Église devait reconnaître ses erreurs et tirer les conséquences qui s’imposent».
«La passion des richesses, c’est chez eux un instinct de race»
Mais il était trop tard pour arrêter le processus puisque le décret reconnaissant le miracle nécessaire à toute béatification et l’héroïcité des vertus de l’intéressé avait été promulgué le 19 avril 2004 et que la date de la cérémonie était fixée. Seule la mort du pape, alors très malade, pouvait changer le cours des choses. Ce qui arriva.
Le gouvernement français avait fait savoir qu’il n’aurait pas été représenté à cette béatification et le confirme aujourd’hui si celle-ci intervenait. Quant à l’épiscopat français, il était même allé jusqu’à envisager de réprouver publiquement cet acte. L’affaire lui paraissait trop grave.
Quelle affaire au juste ? Des écrits du P. Dehon, sept textes précisément, très accessibles, dont voici quelques extraits : «La passion des richesses, c’est chez eux un instinct de race.» Ils ont «soif de l’or» ; les juifs sont «unis dans la haine du Christ», ils sont les ennemis par excellence de l’Église et des chrétiens.
Le Talmud ? «C’est le manuel du parfait israélite, le manuel du détrousseur, du corrupteur, du destructeur social» ; «La réaction antisémite est un signe d’espérance» ; il recommande même l’isolement : «Le juif signalé par un vêtement spécial, exclu de l’enseignement, de la magistrature et de la propriété territoriale, et consigné dans ses ghettos avec la faculté restreinte d’exercer seulement certains commerces.» Il propose aussi de prendre comme modèle le courant antisémite autrichien lancé en 1893 par Karl Lueger, homme politique dont Hitler, louera plus tard les mérites dans Mein Kampf.
Un vice de procédure - ou une énigme interne - reste à élucider
Même si Léon XIII, le pape de l’époque s’était, avec d’autres catholiques, opposé à l’antisémitisme, les défenseurs de la béatification du P. Dehon expliquent que ces propos sont à situer dans cette période. Ainsi le P. Joseph, supérieur de la communauté des prêtres du Sacré-Cœur de Paris : «Il y a anachronisme. Il faut placer ces quelques textes dans leur contexte sinon la perspective est faussée. Le P. Dehon était un homme plein d’amour.»
Ce ne sont pas «les vertus incontestables du P. Dehon qui sont en cause, répond Jean-Dominique Durand, mais le fait qu’une telle béatification laisserait penser que l’antisémitisme est un péché véniel, pas si grave». Haïm Musicant, directeur général du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) se félicite, lui, de cette suspension : «Une telle béatification aurait été une blessure pour le dialogue fort et en bonne santé avec l’Église catholique et mieux vaut éviter les blessures inutiles.»
La commission romaine va donc mettre au travail et commencer par élucider un vice de procédure ou énigme interne : pourquoi ce dossier de béatification – récusé pour ce motif par la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1952 – ne lui a-t-il pas été soumis, cette fois ?
Jean-Marie GUENOIS
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