8.15.2005

Benoît XVI : un style plus sobre, une doctrine aussi inflexible

Analyse
LE MONDE | 15.08.05 | 13h39 • Mis à jour le 15.08.05 | 18h45

ans l'histoire moderne des papes, on trouve des moines (Grégoire XVI), des curés de campagne (Pie X), des bibliothécaires (Pie XI), et même un travailleur manuel (Jean Paul II). La plupart pourtant sortent du sérail de la diplomatie romaine, comme Benoît XV ou Pie XII. Mais le cas de figure actuel est sans précédent. Benoît XVI, ancien cardinal Ratzinger, est d'abord un professeur de théologie, promu préfet de l'ex-Saint-Office, un homme de chaire et de conférence plus que de foules, un philosophe qui manie la dialectique plus qu'un tribun qui magnétise son public.
Les premières Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) sous Benoît XVI, du 16 au 21 août à Cologne (Allemagne), vont lui servir de grand oral. Elles marqueront le retour du nouveau pape dans son pays natal autant que son premier voyage à l'étranger. Un pays où son élection a été accueillie avec surprise ou consternation. Et un double pari : l'ex-cardinal Ratzinger, romain d'adoption, devra se refaire une virginité aux yeux d'une Allemagne socialo-libérale, fille de Luther et de Kant, qui goûtait peu son discours normatif et sa frilosité œcuménique.
Et le nouveau pape, âgé de 78 ans, devra faire oublier le charismatique JeanPaul II aux yeux d'une jeunesse catholique que le pape défunt, qui était acteur, mime, prédicateur, chanteur, soulevait d'enthousiasme.
Les cent jours de Benoît XVI, depuis son élection du 19 avril, manifestent le désir d'un exercice plus modeste du pouvoir pontifical, qui décevra les nostalgiques d'un Jean Paul II omniprésent et universel, mais réjouira ceux pour qui la charge de Pierre suppose plus de détachement, une parole aussi ferme mais plus mesurée. Dès le 7 mai, lors de sa visite à Saint-Jean de Latran, il avait déclaré que "le pape n'est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté sont la loi" .
"Son pouvoir n'est pas au- dessus, mais au service de la Parole de Dieu." Des mots qui dénotent un changement de style.
Rien n'aurait sonné plus faux que de faire du Jean Paul II sans... Jean Paul II. Benoît XVI prend pourtant goût au contact avec les foules. Ses qualités d'humilité et de douceur brouillent son image de professeur de dogmatique rigide et glacial, de "Père fouettard" de la doctrine catholique. Mais il impose un style plus sobre, plus économe de ses gestes et de ses paroles. Le Vatican a tiré les leçons d'un règne de Jean Paul II aussi long qu'exposé aux caprices des médias.
Les audiences sont devenues plus rares dans les appartements privés du pape. Celui-ci ne préside plus les cérémonies de béatification, et il ralentit le rythme des voyages pour ne retenir que des destinations très ciblées, afin de ne pas diluer le message. L'étape du patriarcat œcuménique orthodoxe de Constantinople, fin novembre, paraît acquise. Celle de la Pologne pour un hommage à Jean Paul II est aussi attendue. Le pape rêve surtout de Moscou et de la Terre sainte.

RÉFORME DE LA CURIE

Mais le professeur Ratzinger prend le temps de l'étude. On peine à esquisser déjà un bilan, tant les premières mesures prises sont rares et parcellaires. L'encyclique-programme du pontificat est attendue avec une impatience excessive si l'on se souvient que celle de Jean Paul II, Redemptor hominis, n'était parue que cinq mois après son élection.
C'est au choix, présenté comme imminent, de nouveaux collaborateurs que sera jugée l'orientation du pontificat. Presque tous les titulaires de la Curie ­ - les "ministres" de Benoît XVI ­ - ont dépassé, ou vont bientôt atteindre, l'âge de la retraite (75 ans). Depuis l'élection du pape, le seul changement intervenu, et pour cause, fut la nomination d'un nouveau préfet de la congrégation de la doctrine, Mgr Levada, archevêque de San Francisco, un ancien de la maison. Aucune projection sur l'avenir ne sera possible avant un remaniement de la Curie dont Benoît XVI est issu, mais qui est usée, disqualifiée par le procès longtemps fait, et largement immérité, d'avoir voulu gouverner l'Eglise sans Jean Paul II, souvent absent de Rome et affaibli dans ses dernières années.
Alléger les structures du gouvernement de l'Eglise, trouver de nouvelles formes de "collégialité", en donnant plus d'autonomie aux Eglises locales : les vœux pieux pleuvent à chaque début de pontificat. Rome bruit de rumeurs d'une profonde réforme de la Curie et promet que le prochain synode des évêques, prévu en octobre, sera plus délibératif. Mais le poids de l'administration romaine l'emporte toujours sur l'intention décentralisatrice.
En attendant, les chantiers auxquels s'est attaqué Benoît XVI manifestent une volonté de continuité, sans surprise si l'on se souvient de sa complicité avec Jean Paul II et des circonstances de son élection dans le climat d'émotion universelle suscitée par la mort du pape polonais. Ses axes restent ceux de son prédécesseur : la réaffirmation de l'identité chrétienne dans une Europe mal en point ; la défense de la vie, du mariage et de la famille ; la condamnation de l'avortement, de l'euthanasie, des unions homosexuelles, des recherches sur l'embryon à des fins thérapeutiques.
Le costume a changé, mais l'intransigeance doctrinale du cardinal Ratzinger reste la même, comme le combat livré à la "dictature du relativisme" et au "laïcisme" de la société occidentale. Les catholiques sont appelés à jouer un rôle de minorité militante dans une Europe déchristianisée. Le combat qu'ils mènent en Espagne contre un gouvernement accusé d'anticléricalisme pour avoir légalisé le mariage gay, comme celui que l'Eglise en Italie a gagné contre le référendum sur la procréation médicalement assistée sont cités comme autant d'exemples pour tracer les voies d'une résistance.

OUVERTURE À L'EST

La principale inflexion tient au dialogue interreligieux que le nouveau pape a relancé. A Cologne, il va se rendre dans l'une des synagogues les plus anciennes d'Europe. Le fait qu'un pape allemand aille en Allemagne se recueillir dans une synagogue revêt une valeur aussi symbolique que la première visite de Jean Paul II dans la synagogue de Rome, en 1987. Mais elle risque d'être ternie par l'incident qui vient d'opposer le pape à Israël. Lors de son Angelus du dimanche 24 juillet, citant les pays touchés par le terrorisme, le pape a omis de parler d'Israël. Dès le lendemain, le nonce en Terre sainte était convoqué par le ministre des affaires étrangères à Jérusalem.
Benoît XVI a manifesté un égal désir d'aller à la rencontre de l'islam modéré, condamnant après les attentats de Londres, avec les accents d'un Jean Paul II, le terrorisme commis au nom de Dieu. "Il n'y a pas de conflit de civilisation, mais seulement de petits groupes de fanatiques", a-t-il ajouté fin juillet. Des mots qu'il devrait répéter à Cologne en recevant aussi une délégation de la communauté musulmane d'Allemagne.
Un nouvel élan est donné au dialogue avec les chrétiens orthodoxes. Après des années d'immobilisme glacé, catholiques et orthodoxes vont rejoindre la table des négociations en octobre. Le climat est "fraternel, sans être chaleureux", a dit le cardinal Kasper, chargé de ce dossier à la Curie, à son retour de Moscou.
Alexis II, patriarche de Russie, n'exclut plus une visite du pape à Moscou, mais pose toujours les mêmes conditions : le rejet du prosélytisme dont les orthodoxes accusent les catholiques en Europe et le règlement de l'épineuse question de l'Eglise uniate (de rite orthodoxe, mais de juridiction romaine) en Ukraine.
L'espoir est à l'Est donc, et même à l'Extrême-Orient. La diplomatie pontificale déclare qu'il n'y a plus d'"obstacle majeur" à un rapprochement du Vatican avec la Chine communiste. Deux évêques auxiliaires de l'Eglise officielle de Chine viennent d'être nommés pour la première fois en concertation entre Pékin et le Saint-Siège. Si la liberté religieuse y est toujours aussi mesurée, le moment semble propice à la reprise de relations avec la Chine interrompues depuis la Révolution maoïste. De même, les discussions progressent-elles avec le Vietnam.
Convertir l'Occident que Dieu semble avoir déserté ; se rapprocher de l'Orient orthodoxe et de l'Extrême-Orient où la foi chrétienne, minoritaire, est malmenée : ce sont les deux priorités d'un pape qui semble préférer la réflexion à l'action, mais devra bien un jour sortir de l'ombre de Jean Paul II.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 16.08.05
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