9.14.2005

"Aucune guerre n'est sainte", conclut le sommet interreligieux de Sant'Egidio

LE MONDE | 14.09.05 | 13h58 • Mis à jour le 14.09.05 | 13h58
LYON de notre envoyé spécial

Un imam espagnol prend à témoin le public de l'injustice de la presse de son pays. Il tend la manchette d'un journal qui déclare : "Ben Laden n'est pas notre ennemi. Al-Zarkaoui n'est pas notre ennemi. Notre ennemi, c'est le Coran". Comment sortir de la confusion entre islam et islamisme ? De l'islamophobie née de l'instrumentalisation du nom de Dieu par les fanatiques religieux ? Les attentats de Londres, les destructions de synagogues à Gaza ont pesé sur la 19e rencontre de la communauté de Sant'Egidio - le – Davos des religions – qui a attiré 5 000 personnes à Lyon du 11 au 13 septembre.
Acte liturgique de résistance à cet enchaînement de violences, une "procession de paix" a conduit, mardi soir dans les rues de Lyon jusqu'au théâtre gallo-romain de Fourvière -– lieu des premiers martyrs des Gaules –-, des rabbins de Jérusalem, des musulmans marocains, irakiens ou saoudiens, des cardinaux, des pasteurs protestants, des prélats orthodoxes, des vénérables bouddhistes ou taoïstes. Chaque confession avait prié peu avant, dans son rite, dans différents lieux de la ville.
On a fait mémoire d'Hiroshima et d'Auschwitz. Puis le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, et Andrea Riccardi, fondateur de Sant'Egidio, ont lu un appel ratifié par tous les religieux présents : "Le monde est fatigué de vivre dans la peur. Les religions ne veulent pas de la guerre, du terrorisme (...). Celui qui se sert du nom de Dieu pour légitimer la violence avilit la religion. Aucune guerre n'est jamais sainte."
Voeu pieux ? Pas pour un homme comme Mgr Rowan Williams, archevêque de Canterbury, chef de la Communion anglicane, venu témoigner à Lyon que les attentats de Londres n'avaient entamé en rien la coopération en Grande-Bretagne entre les Eglises et la communauté islamique : "L'idéologie destructrice de ceux qui ont provoqué des carnages à Londres ne peut être la fin de l'histoire".
Les autorités musulmanes ont aussi condamné tout terrorisme au nom de l'islam : "Le terrorisme est contraire à la civilisation, à la morale, au droit de l'islam et à son humanité" , s'est écrié Ezzedin Ibrahim, venu des Emirats arabes unis. Un front commun des religieux modérés est donc né à Lyon. Le dialogue entre chrétiens, juifs et musulmans – - les trois monothéismes suspects d'être porteurs, par leurs textes et leur tradition, de violences - – reste la seule "alternative" , la seule attitude "réaliste" face aux extrémismes.

"TERRIBLES SIMPLIFICATIONS"

Des voies ont été explorées : sceller un pacte de non-agression et de défense mutuelle entre les religions ; obliger chaque ministre du culte à signer un document l'obligeant à lutter contre toute dérive ; amputer les textes sacrés (Bible, Coran, etc.) des citations les plus violentes, comme le suggérait une partie du public. Ce qui a fait sursauter Rowan Williams : " Mais on ne peut pas découper la Bible avec des ciseaux !" . "Qui sommes-nous pour toucher à la Bible ?" , renchérit Amos Luzzatto, président de la communauté juive d'Italie, alors qu'un intellectuel iranien observait que l'une des tâches à venir serait de distinguer, dans le Coran, ce qui est "historique" - – donc sujet à évolution - – et ce qui est "permanent" . Tous convergeaient pour dire que les textes étaient moins en cause que la capacité des croyants à les discuter, les approfondir, les transmettre.
Mettre en cause l'islam conduit à l'impasse. Nombre d'orateurs ont déploré les "terribles simplifications" à son égard. " Il n'y a pas d'islam global, ajoutait Andrea Riccardi. Il n'y a pas un islam tout vert, ou tout noir, ou tout rouge" . La seule vraie issue est de "combattre les pauvretés" , terreau des radicalismes religieux, de dégager les voies d'un "nouvel humanisme laïque" et de perpétuer cet "esprit d'Assise" qu'avait su créer Jean Paul II, en réunissant dans la ville de saint François, en Italie, les responsables de toutes les religions du monde pour prier, s'écouter, se connaître et se reconnaître.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 15.09.05
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