9.24.2005

Les secrets de l'élection de Benoît XVI révélés par un cardinal trop bavard

LE MONDE | 24.09.05 | 14h23 • Mis à jour le 24.09.05 | 14h23

Les lendemains de conclave à Rome bruissent toujours de rumeurs et de semi-confidences. Pour la première fois, un cardinal-électeur, sous couvert d'anonymat, a violé le serment qu'il avait fait, à la Chapelle sixtine, de respecter le secret sur le déroulement du conclave des 18-19 avril. Il a livré à Limes, une revue italienne de géopolitique, son carnet de bord, qu'elle devrait publier dans son intégralité. Mais déjà la presse italienne s'est emparée des résultats du vote. Une aubaine pour les vaticanistes.
On savait que l'élection du cardinal Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, avait été aisée puisque obtenue au quatrième tour de scrutin. Mais, jusqu'à ces révélations, on ignorait qu'il avait eu un sérieux challenger. Celui-ci ne fut pas, comme il avait été dit, Carlo-Maria Martini, ancien archevêque de Milan, chef de file des progressistes modérés, assez vite hors course en raison de son âge et de sa maladie de Parkinson, mais un cardinal argentin, Jorge-Mario Bergoglio, 68 ans, archevêque de Buenos Aires et jésuite comme Martini.
Bergoglio n'était pas un inconnu. Il faisait partie des papabili latino-américains, mais personne n'imaginait que cet homme - engagé dans le combat contre la pauvreté mais hostile à la théologie de la libération - avait représenté, sinon une menace, une alternative au choix conservateur du cardinal Ratzinger.
"DIEU, ÉPARGNEZ-MOI CELA !"

Le nombre des cardinaux-électeurs était de 115 et, pour devenir le 264e successeur de Saint-Pierre, le candidat devait atteindre 77 suffrages, soit une majorité des deux tiers. Dès le premier tour de scrutin, lundi 18 avril, Joseph Ratzinger prend le large avec 47 voix. Mais la surprise est que, dans le camp réformateur, Bergoglio (10 voix) dépasse Martini (9).
Au deuxième tour, le mardi matin, les deux premiers se détachent : Ratzinger avec 65 voix et Bergoglio qui bondit à 35. Martini disparaît de la course. Au troisième tour, le cardinal allemand atteint 72 voix, mais la minorité fait bloc sur le nom de Bergoglio, dont les suffrages montent à 40.
Le moment est crucial. Toute l'histoire des conclaves témoigne de renversements de situation au détriment d'un candidat presque élu. "L'inquiétude gagne les cardinaux partisans de Mgr Ratzinger", note alors dans son carnet le cardinal trop bavard.
C'est au quatrième tour, mardi soir, que les jeux se font. Le score de Jorge Mario Bergoglio chute à 26 voix, alors que Joseph Ratzinger est élu avec 84 voix.
Le cardinal qui a brisé le secret du conclave a une interprétation de l'événement plus sujette à caution que ses chiffres. Il écrit : "J'observe [Bergoglio] en train de mettre son bulletin dans l'urne. Son visage est empreint de souffrance, comme s'il suppliait : Dieu, épargnez-moi cela !" Bergoglio se serait montré si effrayé par la perspective de devenir pape que ses soutiens se seraient effondrés.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 25.09.05
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