5.24.2006

Benoît XVI dans les pas de Jean-Paul II

A la Une - Religion
la Croix du 23-05-2006

Le pape est attendu merredi 24 mai à Varsovie pour une visite de quatre jours en Pologne. Ce premier voyage voulu par Benoît XVI est une sorte d’hommage à son prédécesseur. Après Cracovie et Wadowice, le pape allemand ira se recueillir dimanche 28 mai à Auschwitz-Birkenau


Un prêtre téléphone devant un portrait de Benoît XVI, lundi 22 mai à Varsovie (photo Skrzynski/AFP).

Dans la Pologne d’aujourd’hui, il est rare que tout le monde soit d’accord. Mais la visite de Benoît XVI fait l’unanimité. Le pape allemand, que les Polonais appellent « notre » pape, comme ils désignaient affectueusement Jean-Paul II, sera le bienvenu. À Varsovie comme à Cracovie, on s’active. Il y a quelques jours encore, on mettait la dernière main à la mise en place du podium de la place Pilsudski (anciennement place de la Victoire) de Varsovie et à la réfection de la chaussée devant le palais épiscopal de Cracovie, au 3, rue Franciszkan ska.
Partout des petits drapeaux de Pologne et du Vatican flottent au gré des bourrasques printanières. Sur les places et dans les églises, des affiches d’un Benoît XVI souriant invitent les fidèles à se préparer à accueillir chez eux le nouveau pape, le successeur de leur « compatriote bien aimé ».
« En fait, il y aura deux papes dans ce voyage, Jean-Paul II et Benoît XVI », estime Joanna Pietrzak-Thébaut, professeur de littérature italienne à l’université de Varsovie. Benoît XVI est en effet vu, perçu, reçu à la lumière de Jean-Paul II. Les livres, les posters, les images, les récits rappellent à l’envi leur longue amitié. Des albums poussent le parallélisme jusqu’à l’extrême en publiant face à face des photos des deux papes dans des situations analogues : avec des handicapés, en prière, faisant du sport, saluant la foule… L’effet miroir est troublant.

Il fait partie de la famille

Benoît XVI connaît la Pologne. Il avait l’estime et l’amitié de Jean-Paul II. Pour les Polonais qui l’aiment bien, il fait partie de la famille. D’ailleurs ils sont toujours aussi nombreux à se rendre à Rome et à assister aux audiences. À la fin de la semaine dernière, sur la magnifique place du Vieux-Marché à Cracovie fleurissaient des affiches de bienvenue particulièrement éloquentes : Benoît XVI, la crosse dans la main gauche, avance alerte et souriant. Sur le sol, quatre traces de pied ont été dessinées que Benoît XVI emprunte avec détermination. « De loin, il est comme Jean-Paul II, quand il était en forme », commente Marcin, un jeune étudiant.
Jusqu’à la dernière minute, la préparation est allée bon train. Préparation matérielle inévitable, mais aussi préparation spirituelle à laquelle les évêques ont instamment incité tous les fidèles. Mais beaucoup, curieux de voir et d’entendre de près le nouveau pape, ne cachent pas leur déception. Le programme du voyage ne prévoit en effet que trois grands rendez-vous : à Varsovie vendredi, à Cracovie samedi soir avec les jeunes et dimanche lors de la messe solennelle. Habitués à recevoir Jean-Paul II chez eux au fil de ses nombreuses étapes à travers le pays, ils ont du mal à comprendre que cette fois-ci les lieux et les places soient ainsi limités.
« Vers quelle Pologne Benoît XVI arrive-t-il ? » interrogent les évêques. « Il arrive, répond la lettre (1), vers une Pologne qui depuis plus de 1 000 ans s’est ouverte à Jésus-Christ et qui accueillit alors l’annonce de son salut. » Pour le P. Jozef Kloch, porte-parole de l’épiscopat, « l’Église de Pologne demeure forte ». La population, dont la quasi-totalité est baptisée, reste très attachée à la foi et aux valeurs chrétiennes.

Les pèlerinages drainent toujours autant de monde

La pratique dominicale hebdomadaire est stable (lire les repères). Les séminaires refusent des candidats. Comme par le passé, les pèlerinages et les grands rassemblements drainent toujours autant de monde. « C’est une religion populaire, une religion de masse, mais qui n’est pas superficielle pour autant », précise Tomasz Wiscicki, rédacteur à la revue Wiez. Selon Pawel Bielinski, journaliste à l’agence catholique KAI, deux millions et demi de Polonais participent d’une manière ou d’une autre à des mouvements d’Église, toujours plus nombreux et très dynamiques.
Malgré ces signes évidents de bonne santé, l’Église traverse pourtant une période délicate. Elle se trouve confrontée à des révélations, fondées ou non, accusant un certain nombre de prêtres d’avoir été des agents secrets durant la période communiste. La semaine dernière, la mise en cause du P. Czajkowski, théologien réputé et estimé, a jeté le trouble dans un certain nombre de consciences. Jusqu’où ira-t-on ? La méfiance refait surface.
Par ailleurs, pour la première fois de manière aussi nette, l’épiscopat laisse entrevoir ses différences d’options et d’orientations pastorales. « Notre épiscopat est comme la société », observe le philosophe Cesary Gawrys. « L’Église est bousculée, chahutée, en ébullition, en plein tourbillon, prolonge Piotr Cywinski, le jeune président du club des intellectuels catholiques (KIK). Nous sommes passés d’une Église-bloc à une Église-puzzle. Nous faisons l’expérience du pluralisme, et cela ne va pas sans tensions et sans tiraillements. Durant la période communiste, l’Église parlait d’une seule voix. Aujourd’hui elle est le lieu où s’expriment des sensibilités et des ecclésiologies différentes. Je crois qu’il faut s’en réjouir. »
Radio Maryja, la radio créée par le P. Tadeusz Rydzyk, rédemptoriste de Torun, est au cœur du débat national et ecclésial. Depuis la fin du communisme, la société et l’Église polonaises ont beaucoup changé et très vite. Un certain nombre de personnes n’ont pas pu suivre. Et se sentent marginalisées, laissées pour compte par cette évolution trop rapide. Contraintes à des conditions de vie difficiles, souvent nostalgiques d’un passé rêvé, elles ne sont pas à l’aise dans la modernité. L’État et l’Église les ont ignorées. Le P. Rydzyk a su les entendre, leur donner la parole, les valoriser,des valeurs polonaises et de la vérité catholique.
Fort de sa radio (de 2 à 4 millions d’auditeurs), de sa télévision, de son quotidien et de son école de journalisme, le P. Rydzyk est devenu une puissance à la fois sollicitée et contestée, offrant des tribunes de choix à certains partis politiques de droite et d’extrême droite. Ignorant les rappels à l’ordre du nonce, du Vatican et de l’épiscopat, il poursuit sa route, imperturbable et convaincu de son bon droit.

De nouveaux statuts ont été élaborés

Radio Maryja gêne et perturbe les évêques. Certains la soutiennent sans hésitation. D’autres, inquiets, s’efforcent de dénoncer ses dérives et le rôle malsain et ambigu qu’elle joue sur la scène politique. Début mai, les évêques en ont discuté avec les responsables rédemptoristes. De nouveaux statuts ont été élaborés, un comité de programmes, composé de quatre prêtres diocésains et de quatre religieux rédemptoristes, a été mis sur pied. La situation est redevenue normale, espère le P. Kloch.
En fait, Radio Maryja révèle un clivage ecclésiologique entre plusieurs courants de l’Église polonaise. Pour les uns, s’appuyant sur le concile Vatican II, « les chrétiens doivent être les témoins du Christ, dans le monde tel qu’il est ». Pour d’autres, dont Radio Maryja, « tout ce qui est arrivé après le communisme constitue un danger. Le monde actuel est dominé par des forces ennemies qu’il faut combattre. » Un mensuel de Varsovie n’hésite pas à parler de « schisme ». Avec, il est vrai, un point d’interrogation, et beaucoup d’exagération.
Benoît XVI se contentera-t-il de marcher sur les pas de Jean-Paul II, et de rendre hommage à « son inoubliable prédécesseur » ? Il serait étonnant que, tout en empruntant le même chemin, il ne fasse pas entendre sa note personnelle. « La commémoration, c’est bien ! Mais Benoît XVI vient pour nous parler, à nous Polonais d’aujourd’hui, assure Joanna Pietrzak-Thébaut. Comment allons-nous l’accueillir, comment allons-nous recevoir son message, interpréter ses gestes ? Là aussi est l’enjeu de cette visite. »

Bernard JOUANNO

(1) « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Lettre des évêques polonais avant le voyage apostolique du pape Benoît XVI en Pologne. La Documentation catholique, n° 2358, du 21 mai 2006.

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La visite pastorale de Benoît XVI

Dates : du jeudi 25 mai (le jeudi de l’Ascension n’est pas férié en Pologne) au dimanche 28 mai.

Principales étapes : Varsovie (jeudi et vendredi), Czestochowa (vendredi soir), Cracovie (samedi et dimanche matin), Auschwitz-Birkenau (dimanche après-midi). Le voyage initialement prévu en juin a été avancé en raison de la Coupe du monde de football qui se déroule en juin en Allemagne.

Thème : « Demeurez fermes dans la foi » (1 Cor 16, 13).

Présence d’évêques français : les cardinaux Jean-Pierre Ricard et Jean-Marie Lustiger, Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, et Mgr Jean-Yves Riocreux, évêque de Pontoise, rejoindront Benoît XVI les 27 et 28 mai à Cracovie.

Le cardinal Ratzinger et la Pologne

Il a souvent visité la Pologne comme archevêque de Munich, et comme membre de l’épiscopat allemand. Il est docteur honoris causa de plusieurs universités catholiques polonaises, dont celle de Lublin. En 2003, il fut le légat de Jean-Paul II pour les cérémonies du 750e anniversaire de la canonisation de Stanislaw, évêque et martyr, à Cracovie et Szczepanow.

L’Église en Pologne

La Pologne est un pays majoritairement catholique : plus de 95 % des 38 millions d’habitants sont baptisés, environ 45 % vont à la messe chaque dimanche. Le pays compte 133 évêques (dont le primat est le cardinal Glemp, archevêque de Varsovie jusqu’en juin 2006), 28 500 prêtres (diocésains et religieux), 6 400 grands séminaristes et 24 000 religieuses. Les autres communautés chrétiennes sont très minoritaires. La communauté juive est estimée à un peu plus de 6 000 fidèles.

Les voyages de Jean-Paul II

Durant les 27 années de son pontificat, le pape Jean-Paul II est allé neuf fois en visite dans son pays natal, soit une moyenne d’un voyage tous les trois ans : 1979 (2-10 juin) ; 1983 (16-23 juin), durant l’état de guerre ; 1987 (8-14 juin), étape à Gdansk et soutien à Solidarnosc ; 1991 (1-8 juin) ; 1991 (13-15 août) à Czestochowa pour les Journées mondiales de la jeunesse ; 1995 (20-22 mai) ; 1997 (31 mai-10 juin) ; 1999 (5-17 juin) ; 2002 (16-19 août).
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