5.15.2006

Bras de fer entre le Pape et la Chine

L'éditorial de Pierre Rousselin
Le Figaro, 15 mai 2006, (Rubrique Opinions)

La Chine populaire a beau être devenue un pays capitaliste, le Parti communiste y détient l'autorité suprême. C'est un impératif absolu sans lequel le régime perdrait vite toute légitimité. Il vaut dans tous les domaines de la vie matérielle mais aussi dans la sphère spirituelle. Le Vatican est en train d'en faire l'expérience dans sa confrontation avec les dirigeants chinois à propos de l'ordination des évêques.

Depuis l'avènement de Benoît XVI, il y a un peu plus d'an, un vent d'optimisme s'était mis à souffler sur les relations entre Pékin et le Vatican. Le successeur de Jean-Paul II n'avait pas à son actif le démantèlement du bloc soviétique. Avec lui, la Chine communiste allait pouvoir s'entendre et obtenir une reconnaissance diplomatique qui porterait un coup sévère au crédit international de Taïwan, l'île rebelle où se trouve aujourd'hui la nonciature. L'Église, elle, a fait ses calculs depuis longtemps. Les 300 000 catholiques taïwanais pèsent peu au regard des douze millions de pratiquants en Chine continentale et au «coup diplomatique» qu'il y aurait à s'implanter officiellement au coeur du géant communiste. L'intérêt bien compris de l'Église et des héritiers de Mao est donc de trouver un accord.

Lorsque, l'an dernier, le Vatican et Pékin s'accordent sur le nom du nouvel évêque auxiliaire de Shanghaï, tout le monde se dit qu'un concordat de fait est en train de se mettre en place, discrètement, dans l'attente d'une normalisation. C'est le modèle que le régime communiste du Vietnam a, lui, accepté de suivre. Et puis, depuis quelques semaines, l'accord tacite avec Pékin est rompu. L'Église officielle chinoise, sous la coupe des autorités, s'est remise à nommer des évêques sans demander l'aval du Pape.

En février, la décision de Benoît XVI d'élever au rang de cardinal l'évêque de Hongkong avait jeté un froid. Mgr Zen Ze-King est un partisan d'une ligne dure à l'égard de Pékin. Très actif dans le mouvement démocratique de Hongkong, il s'est rendu populaire parmi les catholiques du continent. Sa promotion a dû être vécue à Pékin comme une provocation.

Quarante-quatre sièges d'évêque sont à pourvoir dans le pays. Le Parti communiste veut avoir le dernier mot sur leur nomination et contrôler ainsi les homélies pendant une génération. Excommunier les impétrants, comme le Vatican en a exprimé passagèrement l'intention, n'est pas une solution. Cela ouvrirait un véritable schisme entre l'Église «patriotique», contrôlée par le pouvoir, et l'Église clandestine.

Entre le Pape et le géant communiste, le bras de fer n'est pas près de finir. Pour l'un comme l'autre, c'est une question de dogme. Le Vatican doit désigner lui-même les représentants du Souverain Pontife. Confronté à une instabilité sociale croissante, le Parti communiste chinois ne peut, lui, se résoudre à voir les masses populaires répondre à une autre autorité que la sienne, fût-elle divine.
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