5.15.2006

Le Vatican s'interroge sur sa stratégie de contre-offensive au Da Vinci Code

L'analyse d'Hervé Yannou (Correspondant du Figaro au Vatican)
Le Figaro, 15 mai 2006, (Rubrique Opinions)

Pourquoi la hiérarchie catholique crie-t-elle au loup après le Da Vinci Code ? Cette institution vieille de deux mille ans ne se serait pas tant souciée d'un roman de gare au succès international puis de la sortie, mercredi, d'un film à qui l'on promet la première place au box-office, sans le contexte culturel et religieux dans lequel baigne la polémique. L'Eglise catholique veut sortir son épingle du jeu. Le thriller de Dan Brown a tout d'abord conduit l'Eglise à un triste constat d'échec. L'engouement exceptionnel qu'il a suscité a pris au débotté les autorités catholiques. Un énième livre historico-ésotérique devait venir remplir le rayon des bibliothèques d'amateurs. Oui mais voilà, les thèses soutenues par Dan Brown ont réussi à ébranler la foi de certains fidèles. Un lecteur catholique ne serait-il plus capable de faire la part entre fiction et réalité ? Si la mise à l'Index n'existe plus depuis belle lurette, la question taraude l'ancienne Inquisition. Le cardinal Tarcisio Bertone, archevêque de Gênes et ancien bras droit du futur Benoît XVI à la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait été le premier à tirer la sonnette d'alarme. Ce prince de l'Eglise avait dû monter au créneau pour rappeler les vérités de la foi et de l'Ecriture face à un roman affirmant que l'Eglise catholique cache la «véritable» histoire du Christ, que Jésus n'a pas été crucifié, n'est donc pas ressuscité, mais s'est marié à Marie-Madeleine. Monsieur et madame Jésus de Nazareth auraient ainsi eu une descendance à l'origine de la lignée royale des Mérovingiens ; pour préserver sa perfide hégémonie sur l'Occident, l'Eglise – et son bras armé, l'Opus Dei – lutte donc depuis des siècles contre le Prieuré de Sion, une confrérie détentrice de ce secret, dont Léonard de Vinci aurait fait partie... Dans l'affaire du Da Vinci Code, le Vatican a pu mesurer l'«extrême pauvreté culturelle» d'une bonne partie de ses ouailles plus ou moins pratiquantes qui, souvent, «ne savent pas donner les raisons de leur propre espérance».

Un gouffre culturel sépare l'Eglise d'un grand public sécularisé, plus habitué à compulser des romans policiers et Harry Potter que le Nouveau Testament et le catéchisme. Un grand public qui se défie aussi des institutions, faisant de la religion un produit de consommation. Le Vatican constatait d'ailleurs en 2003 une «certaine nostalgie» et un «regain» de curiosité pour les rites d'autrefois, ceci expliquant pour partie l'intérêt croissant porté à l'ésotérisme et au gnosticisme. Il y a dans le Da Vinci Code un peu d'occultisme, un grain de Kabbale et un zeste d'alchimie médiévale qui nourrissent le goût d'aventure et d'évasion d'une société en quête de spiritualité. L'Eglise catholique n'a pas encore trouvé de réponse à cette «spiritualité non conventionnelle».

Bien sûr, Dan Brown et le réalisateur Ron Howard ne sont pas des théoriciens, encore moins des théologiens. Leur entreprise est donc plus mercantile qu'hérétique. Mais les «mensonges» du scénario ne sont pas seulement anticléricaux. Il s'agit d'un nouvel épisode dans le retour en force du blasphème. Cet hiver, l'affaire des caricatures de Mahomet a enflammé le monde musulman. Si Mahomet est intouchable, peut-on impunément déformer le message de l'Eglise catholique et bafouer l'image de son créateur Jésus-Christ ? Non, répond le Saint-Siège, qui appelle à la «réciprocité». Dans le devoir de respect des croyances et de la liberté religieuse, il ne peut y avoir deux poids deux mesures. Il n'y a pas une exigence sans limites vis-à-vis de la sensibilité musulmane et une autre, très restrictive, vis-à-vis des catholiques. Mahomet aurait-il décomplexé les catholiques ? Ils sont en tout cas appelés à ne plus céder aux sirènes des catacombes, à être une «minorité agissante», comme le voulait le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI. Ainsi l'interdit d'une Eglise autrefois dominante ne suffit plus. Les catholiques sont appelés à être citoyens, à boycotter un film ou à saisir les tribunaux pour défendre leur droit et leur foi contre les discriminations. Si un roman médiocre, son film et l'emballement de la machine médiatique ont réussi à saper le moral de la hiérarchie de l'Eglise, aujourd'hui les catholiques ne veulent plus seulement se défendre, mais convaincre. Les voies de l'évangélisation sont impénétrables.
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