Le pape en personne s'en est pris aux réformes de société du gouvernement
L'Eglise et l'Etat espagnols en plein divorce
Par François MUSSEAU
mercredi 26 janvier 2005
Madrid de notre correspondant
Après quelques semaines d'accalmie, le conflit a repris de plus belle entre le gouvernement espagnol du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero et la hiérarchie catholique. L'Espagne promeut «mépris ou ignorance envers le fait religieux, reléguant la foi dans la sphère privée et s'opposant à son expression publique», a attaqué, lundi soir à Rome, le pape Jean Paul II devant une brochette de cardinaux et d'évêques espagnols. Réponse cinglante du gouvernement, hier, par la voix de José Bono, ministre de la Défense mais surtout seul catholique pratiquant déclaré au sein de l'exécutif : «On ne peut pas en permanence nous reprocher de défendre la laïcité. Le gouvernement espagnol n'est pas le prédicateur de la chrétienté.»
Sensibles. Depuis son élection, le 14 mars, le président du gouvernement socialiste entend bien mettre en chantier ce qu'il appelle sa «bataille pour les droits civiques», honnie par les évêques : la procédure du divorce a été simplifiée ; le mariage gay doit être approuvé par le Parlement d'ici au printemps ; quant aux cours de religion dans le primaire et le secondaire, ils ont perdu leur caractère obligatoire pour l'examen de passage à l'université. Afin d'éviter une «guerre de religion», et pour calmer les esprits cléricaux, Zapatero a toutefois pris soin de reporter toute modification concernant deux sujets ultrasensibles : l'avortement (les socialistes veulent assouplir les fortes restrictions en vigueur) et l'euthanasie. Cela n'a pas suffi pour atténuer la colère de la hiérarchie catholique, très appuyée par le Vatican, où des Espagnols occupent des postes clés, à l'image du porte-parole du Saint-Siège, Joaquin Navarro Valls, membre de l'Opus Dei.
Hier, José Bono a, sans toutefois le nommer, remis le Pape à sa place : «Je ne suis pas disposé à accepter cette doctrine selon laquelle (...) le royaume des cieux n'est pas fait pour les homosexuels qu'ils [l'Eglise, ndlr] ont traînés devant l'Inquisition, brûlés et couverts de honte.»
De fait, le torchon brûle depuis fin juin quand Zapatero, en visite à Rome se voit durement sermonné par Jean Paul II pour ses «attaques contre la foi chrétienne». A l'automne, l'épiscopat espagnol a durci ses positions et multiplié les parties de bras de fer : appel solennel aux députés de foi catholique à voter contre l'union homosexuelle, qualifiée d'«atteinte gravissime au sacrement du mariage» ; campagne de mobilisation contre un éventuel projet de loi sur l'euthanasie ; collecte de signatures, au sortir des églises, contre la réforme de l'enseignement de la religion... La hiérarchie catholique, dirigée par le cardinal Rouco Varela, est restée sourde aux nombreuses voix critiques au sein même de l'Eglise qui dénoncent l'«attitude réactionnaire» des évêques.
Préservatif. L'influence du Vatican reste énorme dans le pays. Il y a une semaine, à la surprise générale, le porte-parole des évêques espagnols, Martinez Camino, avait admis que le «préservatif avait sa place dans le contexte de la lutte intégrale contre le sida». Ces paroles avaient aussitôt été interprétées comme un signe d'apaisement, alors même que les socialistes viennent de lancer une campagne de promotion du préservatif. Mais l'espoir a été de courte durée : rappelant le caractère «immoral» de l'utilisation du préservatif, le Saint-Siège avait obligé les instances catholiques à se rétracter sur le champ.
Près de trois décennies après la mort de Franco et de sa dictature «nationale-catholique», l'Eglise espagnole accepte mal sa perte d'influence. En vingt ans, le nombre de pratiquants (réguliers et occasionnels) a chuté de 55 % à 33 %. Depuis 2001, le pourcentage de jeunes qui fréquentent les églises est passé de 28 % à 14 %. Pire encore, une enquête d'octobre 2004 du Centre de recherches sociologiques indique que, de toutes les institutions, l'Eglise est la plus mal vue des Espagnols, loin devant l'armée, la police ou le pouvoir exécutif.
Aides généreuses. Certes, en vertu des accords de 1979 passés avec le Vatican, la Conférence épiscopale espagnole bénéficie de privilèges importants : exemptions fiscales sur son patrimoine, nomination de 30 000 professeurs de religion, aides économiques généreuses de l'Etat (3,5 milliards d'euros annuels, de façon directe ou indirecte). Or, certains de ces avantages sont aujourd'hui remis en cause par le pouvoir socialiste. S'appuyant sur l'article 16 de la Constitution de 1978 qui proclame la «non-confessionalité» de l'Etat espagnol (mais reconnaît, au détour d'un alinéa, le poids historique de l'Eglise catholique), le gouvernement Zapatero compte notamment, d'ici le mois d'avril, renégocier les modalités de financement de l'Eglise. D'où les craintes croissantes de l'épiscopat. Fin octobre, un groupe de trente théologiens dissidents, réunis dans la capitale espagnole, avaient exigé dans une lettre à la hiérarchie catholique «de renoncer à ses privilèges et de s'autofinancer (...) afin de montrer sa pleine liberté par rapport au pouvoir politique».
http://www.liberation.fr/page.php?Article=270695
Par François MUSSEAU
mercredi 26 janvier 2005
Madrid de notre correspondant
Après quelques semaines d'accalmie, le conflit a repris de plus belle entre le gouvernement espagnol du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero et la hiérarchie catholique. L'Espagne promeut «mépris ou ignorance envers le fait religieux, reléguant la foi dans la sphère privée et s'opposant à son expression publique», a attaqué, lundi soir à Rome, le pape Jean Paul II devant une brochette de cardinaux et d'évêques espagnols. Réponse cinglante du gouvernement, hier, par la voix de José Bono, ministre de la Défense mais surtout seul catholique pratiquant déclaré au sein de l'exécutif : «On ne peut pas en permanence nous reprocher de défendre la laïcité. Le gouvernement espagnol n'est pas le prédicateur de la chrétienté.»
Sensibles. Depuis son élection, le 14 mars, le président du gouvernement socialiste entend bien mettre en chantier ce qu'il appelle sa «bataille pour les droits civiques», honnie par les évêques : la procédure du divorce a été simplifiée ; le mariage gay doit être approuvé par le Parlement d'ici au printemps ; quant aux cours de religion dans le primaire et le secondaire, ils ont perdu leur caractère obligatoire pour l'examen de passage à l'université. Afin d'éviter une «guerre de religion», et pour calmer les esprits cléricaux, Zapatero a toutefois pris soin de reporter toute modification concernant deux sujets ultrasensibles : l'avortement (les socialistes veulent assouplir les fortes restrictions en vigueur) et l'euthanasie. Cela n'a pas suffi pour atténuer la colère de la hiérarchie catholique, très appuyée par le Vatican, où des Espagnols occupent des postes clés, à l'image du porte-parole du Saint-Siège, Joaquin Navarro Valls, membre de l'Opus Dei.
Hier, José Bono a, sans toutefois le nommer, remis le Pape à sa place : «Je ne suis pas disposé à accepter cette doctrine selon laquelle (...) le royaume des cieux n'est pas fait pour les homosexuels qu'ils [l'Eglise, ndlr] ont traînés devant l'Inquisition, brûlés et couverts de honte.»
De fait, le torchon brûle depuis fin juin quand Zapatero, en visite à Rome se voit durement sermonné par Jean Paul II pour ses «attaques contre la foi chrétienne». A l'automne, l'épiscopat espagnol a durci ses positions et multiplié les parties de bras de fer : appel solennel aux députés de foi catholique à voter contre l'union homosexuelle, qualifiée d'«atteinte gravissime au sacrement du mariage» ; campagne de mobilisation contre un éventuel projet de loi sur l'euthanasie ; collecte de signatures, au sortir des églises, contre la réforme de l'enseignement de la religion... La hiérarchie catholique, dirigée par le cardinal Rouco Varela, est restée sourde aux nombreuses voix critiques au sein même de l'Eglise qui dénoncent l'«attitude réactionnaire» des évêques.
Préservatif. L'influence du Vatican reste énorme dans le pays. Il y a une semaine, à la surprise générale, le porte-parole des évêques espagnols, Martinez Camino, avait admis que le «préservatif avait sa place dans le contexte de la lutte intégrale contre le sida». Ces paroles avaient aussitôt été interprétées comme un signe d'apaisement, alors même que les socialistes viennent de lancer une campagne de promotion du préservatif. Mais l'espoir a été de courte durée : rappelant le caractère «immoral» de l'utilisation du préservatif, le Saint-Siège avait obligé les instances catholiques à se rétracter sur le champ.
Près de trois décennies après la mort de Franco et de sa dictature «nationale-catholique», l'Eglise espagnole accepte mal sa perte d'influence. En vingt ans, le nombre de pratiquants (réguliers et occasionnels) a chuté de 55 % à 33 %. Depuis 2001, le pourcentage de jeunes qui fréquentent les églises est passé de 28 % à 14 %. Pire encore, une enquête d'octobre 2004 du Centre de recherches sociologiques indique que, de toutes les institutions, l'Eglise est la plus mal vue des Espagnols, loin devant l'armée, la police ou le pouvoir exécutif.
Aides généreuses. Certes, en vertu des accords de 1979 passés avec le Vatican, la Conférence épiscopale espagnole bénéficie de privilèges importants : exemptions fiscales sur son patrimoine, nomination de 30 000 professeurs de religion, aides économiques généreuses de l'Etat (3,5 milliards d'euros annuels, de façon directe ou indirecte). Or, certains de ces avantages sont aujourd'hui remis en cause par le pouvoir socialiste. S'appuyant sur l'article 16 de la Constitution de 1978 qui proclame la «non-confessionalité» de l'Etat espagnol (mais reconnaît, au détour d'un alinéa, le poids historique de l'Eglise catholique), le gouvernement Zapatero compte notamment, d'ici le mois d'avril, renégocier les modalités de financement de l'Eglise. D'où les craintes croissantes de l'épiscopat. Fin octobre, un groupe de trente théologiens dissidents, réunis dans la capitale espagnole, avaient exigé dans une lettre à la hiérarchie catholique «de renoncer à ses privilèges et de s'autofinancer (...) afin de montrer sa pleine liberté par rapport au pouvoir politique».
http://www.liberation.fr/page.php?Article=270695
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