La brève apparition du pape à l'hôpital Gemelli n'a pas levé les inquiétudes sur sa santé
LE MONDE | 07.02.05 | 13h58
De sa chambre d'hôpital, Jean Paul II, épuisé, a fait dire qu'il "continue de servir l'Eglise".
Rome de notre envoyé spécial
"Alleluia", s'exclame de joie une dame avant de poser un genou sur le pavé de la place Saint-Pierre. Jean Paul II est "vivant". "Regardez ce saint qui porte toutes les souffrances du monde", ajoute-t-elle. Face à la foule des pèlerins, trois écrans géants retransmettent, dimanche 6 février à midi, les premières images du pape, hospitalisé depuis mardi 1er février à l'hôpital Gemelli.
La prière dominicale de l'Angelus est le rite le plus sacré de la vie romaine. Mais allait-on voir le pape ? Allait-on l'entendre ? Le suspense a été entretenu jusqu'à ce que s'ouvrent les rideaux de la chambre du malade au dixième étage de Gemelli, que s'ouvre sa fenêtre, faisant crépiter les applaudissements, qu'apparaisse enfin l'image du pape, pâle, les traits tirés, les épaules plus que jamais voûtées. Seules les mains qui bougent donnent un semblant de vie à la scène.
La voix de Mgr Leonardo Sandri, substitut de la secrétairerie d'Etat, retentit. "Même ici, à l'hôpital, parmi les autres malades auxquels j'adresse ma pensée pleine d'affection, je continue à servir l'Eglise et l'humanité entière", dit-il au nom du pape, avant de se répandre en remerciements pour le personnel médical et les nombreux témoignages arrivés du monde entier.
Personne ne s'attendait à ce que le pape lise lui-même ce message, mais les fidèles espéraient au moins sa bénédiction. En fait de bénédiction, ce ne fut qu'un souffle rauque, incompréhensible, des sons à peine articulés, d'une voix plus lasse et voilée que jamais.
Des sons interrompus quelques secondes qui ont pu faire croire à une manipulation. On voit à l'écran un proche, Angelo Gugel, se retourner, sans doute vers des techniciens de Radio-Vatican. Puis une feuille est tendue devant le pape. Comme s'il pouvait avoir oublié une formule de bénédiction qu'il a récitée des centaines de milliers de fois !
RISQUE D'APHASIE
Reprise par de nombreux confrères, l'Agence France Presse assure que la suite diffusée était un enregistrement. Le Père Lombardi, directeur technique de Radio-Vatican, se refusait dimanche à tout commentaire, laissant planer le doute, jusqu'à ce que Joaquin Navarro-Valls, porte-parole, ne démente fermement. "Cela n'a aucun sens de parler d'un enregistrement préalable de ces paroles", assure-t-il.
Cette apparition de neuf minutes du pape a été accueillie à Rome avec un immense soulagement, mais elle n'a pas rassuré tout le monde. Les fidèles assurent qu'ils ne l'ont jamais vu "si faible". "Le pauvre homme !", soupire une Irlandaise. "Il est très malade", commente son voisin perplexe. "On sent une communication extraordinaire entre le pape et la foule, ajoute un jeune policier français venu par hasard avec son épouse, mais que le spectacle fut triste."
Autant dire que les pronostics sur l'évolution de la maladie de Jean Paul II et la date de sortie de l'hôpital Gemelli restaient très incertains lundi matin. Certains pensaient que le 9 février, mercredi des Cendres, date d'entrée dans le Carême pour la tradition chrétienne, serait symbolique. Mais le Vatican a exclu qu'un retour soit si rapide. L'ambiance est telle à Rome, l'information si filtrée, l'accès à l'hôpital si verrouillé, que personne n'est sûr de rien.
Seul le message selon lequel le pape continue de "servir l'Eglise" est clair. Il indique qu'il n'est pas plus habité qu'hier par la tentation de la démission. La plupart des témoignages recueillis à la Curie vont dans le même sens. Le pape va mieux, répètent des responsables. Il s'alimente normalement. Sa guérison n'est qu'une question de jours. Pour le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'Etat du Vatican, Jean Paul II "reprendra le gouvernail de la barque de Saint-Pierre. Grâce à la prière de tous, il pourra retourner bientôt au Vatican".
Mais les plus réalistes, officiels ou médecins, font valoir les risques de rechute infectieuse, de retour des spasmes laryngés, fréquents chez une personne souffrant de la maladie de Parkinson. Ils se repassent le récit des quelques heures qui, mardi soir, ont précédé son hospitalisation.
"Il a été pris d'étouffements après le dîner, raconte l'un d'eux. Ça s'est joué à un quart d'heure près. L'avoir emmené à Gemelli l'a sauvé." Le risque d'aphasie du pape est de nouveau évoqué, relançant les spéculations sur sa capacité à conduire les affaires demain. Ce qui fait dire au cardinal allemand Walter Kasper que "les conditions restent préoccupantes. Plus que jamais, le pape a besoin de se reposer. Je pense que le mieux est qu'il ne rentre pas trop vite au Vatican."
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.02.05
De sa chambre d'hôpital, Jean Paul II, épuisé, a fait dire qu'il "continue de servir l'Eglise".
Rome de notre envoyé spécial
"Alleluia", s'exclame de joie une dame avant de poser un genou sur le pavé de la place Saint-Pierre. Jean Paul II est "vivant". "Regardez ce saint qui porte toutes les souffrances du monde", ajoute-t-elle. Face à la foule des pèlerins, trois écrans géants retransmettent, dimanche 6 février à midi, les premières images du pape, hospitalisé depuis mardi 1er février à l'hôpital Gemelli.
La prière dominicale de l'Angelus est le rite le plus sacré de la vie romaine. Mais allait-on voir le pape ? Allait-on l'entendre ? Le suspense a été entretenu jusqu'à ce que s'ouvrent les rideaux de la chambre du malade au dixième étage de Gemelli, que s'ouvre sa fenêtre, faisant crépiter les applaudissements, qu'apparaisse enfin l'image du pape, pâle, les traits tirés, les épaules plus que jamais voûtées. Seules les mains qui bougent donnent un semblant de vie à la scène.
La voix de Mgr Leonardo Sandri, substitut de la secrétairerie d'Etat, retentit. "Même ici, à l'hôpital, parmi les autres malades auxquels j'adresse ma pensée pleine d'affection, je continue à servir l'Eglise et l'humanité entière", dit-il au nom du pape, avant de se répandre en remerciements pour le personnel médical et les nombreux témoignages arrivés du monde entier.
Personne ne s'attendait à ce que le pape lise lui-même ce message, mais les fidèles espéraient au moins sa bénédiction. En fait de bénédiction, ce ne fut qu'un souffle rauque, incompréhensible, des sons à peine articulés, d'une voix plus lasse et voilée que jamais.
Des sons interrompus quelques secondes qui ont pu faire croire à une manipulation. On voit à l'écran un proche, Angelo Gugel, se retourner, sans doute vers des techniciens de Radio-Vatican. Puis une feuille est tendue devant le pape. Comme s'il pouvait avoir oublié une formule de bénédiction qu'il a récitée des centaines de milliers de fois !
RISQUE D'APHASIE
Reprise par de nombreux confrères, l'Agence France Presse assure que la suite diffusée était un enregistrement. Le Père Lombardi, directeur technique de Radio-Vatican, se refusait dimanche à tout commentaire, laissant planer le doute, jusqu'à ce que Joaquin Navarro-Valls, porte-parole, ne démente fermement. "Cela n'a aucun sens de parler d'un enregistrement préalable de ces paroles", assure-t-il.
Cette apparition de neuf minutes du pape a été accueillie à Rome avec un immense soulagement, mais elle n'a pas rassuré tout le monde. Les fidèles assurent qu'ils ne l'ont jamais vu "si faible". "Le pauvre homme !", soupire une Irlandaise. "Il est très malade", commente son voisin perplexe. "On sent une communication extraordinaire entre le pape et la foule, ajoute un jeune policier français venu par hasard avec son épouse, mais que le spectacle fut triste."
Autant dire que les pronostics sur l'évolution de la maladie de Jean Paul II et la date de sortie de l'hôpital Gemelli restaient très incertains lundi matin. Certains pensaient que le 9 février, mercredi des Cendres, date d'entrée dans le Carême pour la tradition chrétienne, serait symbolique. Mais le Vatican a exclu qu'un retour soit si rapide. L'ambiance est telle à Rome, l'information si filtrée, l'accès à l'hôpital si verrouillé, que personne n'est sûr de rien.
Seul le message selon lequel le pape continue de "servir l'Eglise" est clair. Il indique qu'il n'est pas plus habité qu'hier par la tentation de la démission. La plupart des témoignages recueillis à la Curie vont dans le même sens. Le pape va mieux, répètent des responsables. Il s'alimente normalement. Sa guérison n'est qu'une question de jours. Pour le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'Etat du Vatican, Jean Paul II "reprendra le gouvernail de la barque de Saint-Pierre. Grâce à la prière de tous, il pourra retourner bientôt au Vatican".
Mais les plus réalistes, officiels ou médecins, font valoir les risques de rechute infectieuse, de retour des spasmes laryngés, fréquents chez une personne souffrant de la maladie de Parkinson. Ils se repassent le récit des quelques heures qui, mardi soir, ont précédé son hospitalisation.
"Il a été pris d'étouffements après le dîner, raconte l'un d'eux. Ça s'est joué à un quart d'heure près. L'avoir emmené à Gemelli l'a sauvé." Le risque d'aphasie du pape est de nouveau évoqué, relançant les spéculations sur sa capacité à conduire les affaires demain. Ce qui fait dire au cardinal allemand Walter Kasper que "les conditions restent préoccupantes. Plus que jamais, le pape a besoin de se reposer. Je pense que le mieux est qu'il ne rentre pas trop vite au Vatican."
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.02.05
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