A Rome, la Curie met fin au débat entrouvert sur la démission de Jean Paul II
LE MONDE | 10.02.05 | 13h54
Le pape pourrait quitter l'hôpital jeudi ou vendredi.
Rome de notre envoyé spécial
La date de sortie de Jean Paul II de l'hôpital Gemelli devait être annoncée, jeudi 10 février, à Rome, dans un communiqué signé, cette fois, par les médecins, ainsi que l'a assuré au Monde Joaquin Navarro-Valls, porte-parole du pape. Le vendredi 11, "jour des malades" pour l'Eglise, "aurait la préférence du pape". Mais les médecins font pression pour que l'hospitalisation dure jusqu'au week-end. Au-delà, ce serait mauvais signe.
Mercredi 9, jour des Cendres (début du Carême), le pape a célébré la messe dans sa chambre. Ses visiteurs sont désormais plus nombreux et multiplient les propos rassurants. En revanche, le trouble provoqué par le cardinal Sodano, secrétaire d'Etat, indiquant, lundi, que la démission du pape regardait sa "conscience", est durable.
Le cardinal Sodano n'a fait que souligner une évidence, dit-on à Rome, mais un aussi proche collaborateur du pape n'aurait jamais dû s'exprimer sur un tel sujet. "Il n'y a que deux questions à propos desquelles un cardinal ne doit jamais répondre aux journalistes : le préservatif et la démission du pape", raille un observateur. Les uns mettent cette franchise sur le compte de la "naïveté" du secrétaire d'Etat, plutôt "bonhomme" et "bavard". Les autres estiment que cette déclaration est le "signal" qu'une réflexion a commencé au sommet.
"Il est difficile de croire qu'un diplomate aussi chevronné ait pu lâcher ce mot", estime Marco Politi, du quotidien italien La Repubblica. Pour lui, la Curie est divisée entre les conservateurs, pour lesquels le pape doit aller au bout de son calvaire ; de l'autre, les pragmatiques, pour lesquels la question de la santé de Jean Paul II ne peut plus rester circonscrite à la Curie.
La zizanie a pris un caractère public. Le cardinal Giovanni Battista Ré, ancien substitut ("ministre de l'intérieur") et "papabile", a estimé que parler de démission du pape était de "mauvais goût". Le cardinal Lustiger a indiqué, mardi, sur France 2, qu'il ne croyait pas non plus à cette hypothèse : "La maladie n'a pas atteint ses fonctions cognitives."
L'éventualité d'une démission avait été évoquée par Jean Paul II lui-même dans la Constitution sur l'élection du pape de février 1996. Jean Paul II y faisait référence à l'article 332 du code de droit canon, selon lequel un pape peut "renoncer à sa charge". Pour être valide, cette "renonciation" doit être faite "librement" et de façon "manifeste". Toutefois, personne ne croit sérieusement à une telle hypothèse à laquelle aucun pape ne s'est résolu depuis Célestin V en 1294.
Pour trois raisons. D'abord, la "renonciation" est contraire au tempérament de Jean Paul II. Celui-ci a puisé dans sa résistance au nazisme et au communisme, rappelle-t-on à Rome, cette détermination qui le fait lutter contre la maladie. Ensuite, lui-même a annoncé qu'il tiendrait le gouvernail "jusqu'à la fin" (août 2002, près de Cracovie).
La troisième raison est la plus subtile, mais la plus décisive. Personne n'imagine qu'un conclave puisse se réunir demain pour élire un pape si Jean Paul II est encore vivant, même amoindri par la maladie.
NOTE SECRÈTE
Cela devrait donc faire cesser les rumeurs, mais pas le vide juridique qui s'ouvrirait si l'aggravation de la maladie devait le conduire dans un état tel qu'il ne puisse plus lui-même dicter ce que veut sa conscience.
A cette objection, le pape malade a probablement répondu depuis longtemps. Il aurait rédigé une note, restée secrète, demandant à son plus proche entourage de prendre les mesures qui s'imposent s'il devait perdre conscience. Et à Rome, l'hypothèse gagne du terrain selon laquelle l'une des premières mesures du prochain pontificat sera de créer une petite commission de cardinaux autorisée à réagir en cas d'incapacité du pape. Soit l'amorce d'une procédure d'"empêchement" qui n'existe pas, jusqu'à présent, dans le droit de l'Eglise.
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.02.05
Le pape pourrait quitter l'hôpital jeudi ou vendredi.
Rome de notre envoyé spécial
La date de sortie de Jean Paul II de l'hôpital Gemelli devait être annoncée, jeudi 10 février, à Rome, dans un communiqué signé, cette fois, par les médecins, ainsi que l'a assuré au Monde Joaquin Navarro-Valls, porte-parole du pape. Le vendredi 11, "jour des malades" pour l'Eglise, "aurait la préférence du pape". Mais les médecins font pression pour que l'hospitalisation dure jusqu'au week-end. Au-delà, ce serait mauvais signe.
Mercredi 9, jour des Cendres (début du Carême), le pape a célébré la messe dans sa chambre. Ses visiteurs sont désormais plus nombreux et multiplient les propos rassurants. En revanche, le trouble provoqué par le cardinal Sodano, secrétaire d'Etat, indiquant, lundi, que la démission du pape regardait sa "conscience", est durable.
Le cardinal Sodano n'a fait que souligner une évidence, dit-on à Rome, mais un aussi proche collaborateur du pape n'aurait jamais dû s'exprimer sur un tel sujet. "Il n'y a que deux questions à propos desquelles un cardinal ne doit jamais répondre aux journalistes : le préservatif et la démission du pape", raille un observateur. Les uns mettent cette franchise sur le compte de la "naïveté" du secrétaire d'Etat, plutôt "bonhomme" et "bavard". Les autres estiment que cette déclaration est le "signal" qu'une réflexion a commencé au sommet.
"Il est difficile de croire qu'un diplomate aussi chevronné ait pu lâcher ce mot", estime Marco Politi, du quotidien italien La Repubblica. Pour lui, la Curie est divisée entre les conservateurs, pour lesquels le pape doit aller au bout de son calvaire ; de l'autre, les pragmatiques, pour lesquels la question de la santé de Jean Paul II ne peut plus rester circonscrite à la Curie.
La zizanie a pris un caractère public. Le cardinal Giovanni Battista Ré, ancien substitut ("ministre de l'intérieur") et "papabile", a estimé que parler de démission du pape était de "mauvais goût". Le cardinal Lustiger a indiqué, mardi, sur France 2, qu'il ne croyait pas non plus à cette hypothèse : "La maladie n'a pas atteint ses fonctions cognitives."
L'éventualité d'une démission avait été évoquée par Jean Paul II lui-même dans la Constitution sur l'élection du pape de février 1996. Jean Paul II y faisait référence à l'article 332 du code de droit canon, selon lequel un pape peut "renoncer à sa charge". Pour être valide, cette "renonciation" doit être faite "librement" et de façon "manifeste". Toutefois, personne ne croit sérieusement à une telle hypothèse à laquelle aucun pape ne s'est résolu depuis Célestin V en 1294.
Pour trois raisons. D'abord, la "renonciation" est contraire au tempérament de Jean Paul II. Celui-ci a puisé dans sa résistance au nazisme et au communisme, rappelle-t-on à Rome, cette détermination qui le fait lutter contre la maladie. Ensuite, lui-même a annoncé qu'il tiendrait le gouvernail "jusqu'à la fin" (août 2002, près de Cracovie).
La troisième raison est la plus subtile, mais la plus décisive. Personne n'imagine qu'un conclave puisse se réunir demain pour élire un pape si Jean Paul II est encore vivant, même amoindri par la maladie.
NOTE SECRÈTE
Cela devrait donc faire cesser les rumeurs, mais pas le vide juridique qui s'ouvrirait si l'aggravation de la maladie devait le conduire dans un état tel qu'il ne puisse plus lui-même dicter ce que veut sa conscience.
A cette objection, le pape malade a probablement répondu depuis longtemps. Il aurait rédigé une note, restée secrète, demandant à son plus proche entourage de prendre les mesures qui s'imposent s'il devait perdre conscience. Et à Rome, l'hypothèse gagne du terrain selon laquelle l'une des premières mesures du prochain pontificat sera de créer une petite commission de cardinaux autorisée à réagir en cas d'incapacité du pape. Soit l'amorce d'une procédure d'"empêchement" qui n'existe pas, jusqu'à présent, dans le droit de l'Eglise.
Henri Tincq
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.02.05
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