4.04.2005

Dans la presse du monde entier

La presse disait adieu, dimanche 3 et lundi 4 avril, à Jean Paul II et saluait un pape historique, rappelant aussi la contradiction entre son ouverture politique et son conservatisme en matière de morale.

En Italie, la presse était avant tout affectueuse pour le pape polonais, que Rome avait adopté comme sien. "Ciao papa Karol", titrait La Sicilia. "Adieu Wojtyla", lui répondait La Repubblica, tandis que le Corriere della sera saluait "le pape qui a changé le monde". Même les deux principaux quotidiens sportifs, fait rarissime, ont fait leur "une" sur cet événement non sportif. Le Corriere della sera détaille ce que sera cet "hommage tendre" des catholiques à leur pape sur une double page figurant un grand dessin de la basilique et des informations pratiques à l'usage des pèlerins. Durant ces trois jours, la basilique restera ouverte jour et nuit afin de permettre au plus grand nombre de saluer le pape défunt, précise le quotidien milanais de centre droit. La Stampa anticipe pour sa part en "une" de son édition de lundi des "millions des fidèles à Rome pour l'adieu", et explique que les funérailles pourraient se tenir vendredi 9 avril, même si la date exacte n'a pas encore été arrêtée. La presse italienne fourmille parallèlement de témoignages de personnalités. Ainsi, La Repubblica publie en première page un commentaire du dalaï-lama.

En France, où seuls deux journaux paraissent le dimanche, Le Parisien estimait que, même si parfois Jean Paul II est apparu comme "le défenseur de combats datés [et] d'une chasteté hors du temps", avec lui, l'Eglise "est devenue une force de frappe morale, qui compte et dont on tient compte", tandis que Le Journal du dimanche estimait que l'agonie "publique" du pape disait à tous : "N'ayez pas peur. Du monde, de la souffrance et de la mort qui fait partie de la vie".
La presse française s'accorde, lundi 4 avril, à voir dans Jean Paul II, décédé samedi, un "pape d'exception", mais est divisée sur son héritage, certains journaux y trouvant "un parfum d'obscurantisme" quand d'autres soulignent son "exigence". "Pape de fer et 'pope star' tout à la fois, Karol Wojtyla a alterné changement et conservatisme, engagement dans le monde réel et défense réactionnaire du dogme", affirme dans un éditorial Libération, pour qui Jean Paul II "restera comme l'incarnation d'un père sévère" en matière de mœurs. "Son refus farouche de la contraception et du préservatif, même dans la lutte contre le sida, ses condamnations répétées de l'homosexualité figurent parmi les gros points noirs" de son pontificat, ajoute le quotidien.
La Croix, qui publie un cahier spécial intitulé "Jean Paul II, une vie donnée", réfute les accusations portées contre un pontife "conservateur" ou "réactionnaire" et fait valoir que le rôle d'un pape est de "signaler l'idéal". Après un cahier spécial ce week-end, Le Figaro consacre vingt pages à "l'adieu", publie en "une" - comme Le Parisien et France-Soir - une photo de la dépouille mortelle de Jean Paul II dans la salle Clémentine, au sein du palais apostolique situé sur la place Saint-Pierre du Vatican. "Et maintenant?", demande de son côté France-Soir, qui s'interroge sur "l'Eglise après" Jean Paul II. Après la mort du souverain pontife, "l'Eglise se trouve à un carrefour important", et les cardinaux qui désigneront le nouveau pape vont devoir "réfléchir et décider s'ils veulent s'engager dans une nouvelle ère ou rester ancrés dans le passé", souligne le quotidien.

A Londres, la presse britannique rendait un hommage appuyé à celui qui avait une "capacité extraordinaire à communiquer la dimension humaine du message du Christ", selon l'Observer, mais estimait aussi que "son obstruction obstinée face au changement a été payée d'un prix élevé par l'Eglise", selon l'Independent on Sunday. La presse britannique a rendu, lundi 4 avril, hommage au pape Jean Paul II, qu'elle classe parmi les plus grands souverains pontifes de l'histoire de l'Eglise catholique, tout en soulignant ses erreurs. Jean Paul II était un personnage "complexe et paradoxal", affirme le Guardian dans son éditorial, dont l'"influence va dépasser sa [propre] vie, et tracer la direction de la future Eglise catholique". Pour le quotidien londonien, Jean Paul II a été celui qui "a utilisé les déplacements et la communication de masse pour donner une nouvelle signification au titre de saint-père".

En Pologne, le pays natal de Jean Paul II, les journaux, qui normalement ne paraissent pas le dimanche, ont publié des éditions spéciales pour se joindre au deuil national décrété samedi. "Il est retourné chez Dieu", titrait le journal à grand tirage Fakt, qui se faisait le porte-parole de nombreux Polonais en souhaitant que le cœur du pape repose en Pologne : "Ce serait pour nous la plus belle relique et le plus précieux trésor."

En Espagne, les journaux saluaient "le pape qui a changé l'histoire du XXe siècle" et "piloté la barque de saint Pierre d'une main ferme" (El Mundo), "un pontife charismatique qui a [aussi] demandé pardon pour les erreurs historiques du Vatican, comme l'esclavage, l'Inquisition, l'Holocauste, les croisades et les erreurs scientifiques", selon le quotidien catholique ABC.

Au Portugal, le Diario de noticias rappelait que si le pape n'était "pas un homme moderne, il a maîtrisé avec une immense efficacité le pouvoir de la télévision" et parlait de "la contradiction, qui a marqué tout le pontificat, entre un homme d'une extraordinaire vision et en même temps d'un conservatisme inflexible".

En Allemagne, le quotidien berlinois Tagesspiegel (centre) note qu'avec cette mort "se termine l'un des pontificats les plus longs, riches en résultats et combatifs des deux mille ans du christianisme".

En Autriche, on salue aussi "un révolutionnaire qui a changé la face du monde", selon l'influent Kronen Zeitung, et qui "a osé s'attaquer ouvertement au capitalisme brutal et mondialiste".

En Croatie, la presse faisait ses adieux à un pape qu'elle considère comme un amoureux de ce pays très catholique des Balkans, qu'il a visité à trois reprises depuis son indépendance en 1991. "Les Croates adoraient le pape et le pape a changé la Croatie", écrit le quotidien Jutarnji List dans son édition spéciale.

En Serbie, pays majoritairement orthodoxe, la presse rappelle le rôle de Jean Paul II dans la chute du communisme, et aussi son opposition à la guerre contre la Serbie en 1999 et contre l'Irak en 2003. "Son seul échec - et selon ses proches, un de ses grands regrets - aura été de n'avoir pu se rapprocher du monde orthodoxe", écrit le Vecernje Novosti.

Au Kenya, la presse kényane a rendu, dimanche, un hommage appuyé à ce "pape qui aimait l'Afrique", selon The Standard, et qui était venu trois fois dans ce pays qui ne compte pourtant qu'un quart de catholiques. "Il ressentait un lien fort avec les Kényans, et les Kényans ressentaient la même chose à son égard", écrit The Nation, le plus gros tirage du pays. 

Au Proche-Orient, de nombreux journaux annonçaient sa mort en première page, mais sans commentaire, rappelant toutefois ses positions en faveur du peuple palestinien. Fait exceptionnel, les deux principales télévisions arabes, Al-Jazira et Al-Arabiya, ont assuré une couverture quasiment en continu de l'agonie et de la mort du pape, tandis que la télévision publique égyptienne diffusait, dimanche, une édition spéciale sur le pape, rappelant, entre autres, son "action en faveur de la paix, notamment au Proche-Orient, lorsqu'il s'est rendu en terre sainte, en Egypte et en Syrie".

Les grands journaux américains brossaient hier un bilan contrasté de l'action de Jean-Paul II. D'un côté, ils soulignaient sa popularité et sa force de conviction, mais, d'un autre, ils pointaient la baisse de fréquentation des églises et la rigidité doctrinale qui ont marqué son pontificat. Le Los Angeles Times, le Washington Post et le New York Times rendent ainsi hommage au Souverain Pontife pour son combat contre l'antisémitisme et pour les droits de l'homme, son dialogue avec les autres religions et son infatigable oeuvre d'évangélisation.
Le Washington Post souligne que le Saint-Père avait des positions conservatrices en matière de doctrine catholique. Mais il «pouvait également être qualifié d'homme libéral – et même radical – dans des domaines tels que les droits des travailleurs, le désarmement, la liberté et le message d'espoir qu'il a littéralement délivré partout dans le monde». «Il était incontestablement un visionnaire en portant l'église partout dans le monde – par les voyages, l'évangélisation et en défendant l'unité de l'humanité dans des endroits qu'aucun pape auparavant n'avait espéré atteindre», ajoute le quotidien.
Les non-catholiques ont vu «le globe-trotter au service de Dieu arpentant le monde encore et encore, parlant de la dignité de la vie dans tellement de langues étrangères», écrit le New York Times. Mais, pour les catholiques, «il était une figure plus compliquée, qui a résisté à toutes les tentatives visant à faire évoluer les enseignements de l'Eglise en matière de contraception, d'avortement, d'homosexualité, du mariage des prêtres, du divorce et de l'ordination des prêtres», poursuit le quotidien new-yorkais. «Jean-Paul II laisse une Eglise marquée par une baisse du nombre de prêtres et de religieuses et un recul de la part des (catholiques) dans la population mondiale, l'islam étant devenu la première religion dans le monde», ajoute le journal.
Le Los Angeles Times fait le même constat, relevant que des «sondages montrent que les catholiques éprouvent une grande fidélité envers le Pape et leur foi, même si, dans la plupart des régions du monde, ils ont pris leur distance avec nombre de ses prises de position et ont boudé les messes». «La participation aux messes a chuté brusquement et la proportion de catholiques dans le monde est la même depuis plus de dix ans, tandis que les autres Eglises ont progressé en nombre, même en Amérique latine», souligne le grand quotidien de la côte Ouest. «Dans la plupart des régions du monde, le nombre de prêtres baisse d'une manière inquiétante. Même la Pologne décevrait le Pape, elle qui ne s'est débarrassée du communisme que pour adopter le consumérisme et tolérer l'avortement», ajoute-t-il. «L'Afrique est l'exception, où le catholicisme fait régulièrement des adeptes. Là, les préceptes du Pape contre la contraception et les préservatifs sont observés, alors qu'environ 2 millions de personnes sur ce continent meurent chaque année du sida et que les familles luttent contre la famine», ajoute le Los Angeles Times.
Enfin, les journaux suggèrent que le manque de transparence et d'ouverture, ainsi que le poids de la hiérarchie de l'Eglise sous le pape Jean-Paul II contribuent à expliquer le scandale des prêtres pédophiles qui mine l'Eglise catholique américaine.
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