4.02.2005

Le monde entier rend hommage au pape

LE MONDE | 02.04.05 | 14h08 • Mis à jour le 02.04.05 | 14h08
Rome, de notre correspondant

u petit matin, samedi 2 avril, ils étaient encore plusieurs centaines sur la place Saint-Pierre, des jeunes pour l'essentiel, installés dans des sacs de couchage ou des couvertures, les regards tournés vers les fenêtres des appartements de Jean Paul II, restées éclairées toute la nuit. Ils ont encore la force de chanter et de taper dans leurs mains, ces "papa boys", un groupe d'irréductibles qui se refusent à abandonner le pape à sa lente agonie. Ces jeunes de la "génération Jean-Paul II" sont des habitués du lieu, qu'ils ont tant de fois animé par l'exubérance de leur foi, à chacune des apparitions de "leur" pape, à sa fenêtre.

Cette deuxième nuit de veille devant la basilique illuminée était bien différente de la précédente. Jeudi soir, les fidèles étaient accourus dans l'urgence, l'angoisse au coeur, redoutant le pire et le refusant encore. Le lendemain, c'est une foule habitée par le chagrin, mais résignée, comme apaisée par l'inéluctable, qui s'est rassemblée jusqu'à remplir la vaste esplanade. 70 000 personnes, ont compté les forces de police, au plus fort de la soirée. Sans doute bien plus, car les familles qui rentraient se coucher, avec des enfants déjà endormis dans les bras, croisait un flot ininterrompu de nouveaux arrivants.

On ne venait plus prier pour la santé du chef de l'Eglise catholique, mais simplement on allait à la rencontre d'un vieil ami, un parent cher, pour l'accompagner avec douceur. " Quand le père souffre, ses enfants se serrent à ses côtés, quand le père meurt, ils s'agenouillent et lui offrent affection, admiration et gratitude", a dit Mgr Angelo Comastri, le vicaire du pape pour la Cité du Vatican, en conviant la foule à se rapprocher des marches de Saint-Pierre, pour la récitation du rosaire. Plus tard, après le Salve Regina et la litanie des saints qui concluent cette prière à la Vierge, le prélat a invité chacun à rentrer chez soi.

L'ÉCHO D'UN CHANT

Vaine demande, le peuple de Saint-Pierre est resté longtemps, campé dans un silence émouvant, traversé de temps à autre par le murmure d'une prière, reprise de loin en loin, ou l'écho d'un chant. Pierluigi, la trentaine, blouson de motard jaune et noir, un casque entre les pieds, triture un gros chapelet. Il est venu de Frosinone, à une centaine de kilomètres au sud de Rome : "Je ne me voyais pas vivre ce moment devant ma télé." Rosa et Giancarlo, un couple de Romains, "pas spécialement croyants" sont venus respirer l'atmosphère d'un "événement historique et universel". Jeunes mariés, ils avaient assisté à l'intronisation, ici même, de Karol Wojtyla.

Certains marchent lentement, les bras croisés, le regard au sol. D'autres, des femmes surtout, restent figés une bougie à la main : "Jean Paul II a éclairé notre chemin, c'était un pape d'amour et de paix", confie une étudiante américaine.

Pedro, fonctionnaire des Nations unies en poste à Rome, en costume et cravate, son attaché case à la main, est venu en sortant du bureau. A 1 heure du matin, il n'arrive toujours pas à quitter des yeux les fenêtres qui brillent au 3e étage du palais apostolique : " Personne n'a fait autant que lui pour la paix entre les peuples et le rapprochement entre les religions, en particulier avec les juifs." Sur la place, on croise des séminaristes et des religieuses de tous les pays. Mais l'ambiance est moins cosmopolite que l'après-midi. Plus recueillie aussi, car dans la tiédeur d'une journée sans nuage, la basilique avait été prise d'assaut par les habituelles files de touristes. La moyenne d'âge est jeune. Assis en tailleur à même le pavé, formant de petits cercles, que se disent-ils ces adolescents qui parlent à mi-voix ?

Des badauds s'agglutinent dans la lumière des projecteurs des télévisions, entourent le journaliste qui prépare son "direct", cherchent à happer des bribes d'informations. A quoi bon ? les nouvelles sont mauvaises, forcément. "Ce soir ou cette nuit, le Christ ouvrira largement les portes au pape et, à la porte, il y aura certainement Marie à laquelle le souverain pontife s'est dévoué entièrement", avait prévenu Mgr Comastri, au moment de conduire le rosaire.

Quelques heures plus tôt, au cours d'une messe solennelle à Saint-Jean de Latran, devant le président de la République, Carlo Azeglio Ciampi, et le président du Conseil, Silvio Berlusconi, le cardinal Camillo Ruini, vicaire du diocèse de Rome, avait affirmé dans son homélie que Jean Paul II "voit déjà et touche déjà le Seigneur".

Le déroulement de la journée avait préparé les coeurs à une issue fatale. Les trois bulletins officiels publiés par le Vatican aux heures des repas proposaient une ration d'espoir de plus en plus congrue.

"Très grave" à 6 h 30, l'état de santé du pape était confirmé d'un " évidente gravité" à 12 h 30, puis " encore aggravé" à 18 h 30. Joaquin Navarro-Valls, le porte-parole, décrivait "un tableau clinique d'insuffisance cardio-vasculaire et rénale" et "des paramètres biologiques sérieusement compromis". Entre-temps, la Ville éternelle avait été parcourue de rumeurs, toujours démenties, sur "le coma", "l'encéphalogramme plat", voire "la mort" de Jean-Paul II. Dans les kiosques à journaux, près de l'entrée du Vatican, l'édition de l'après-midi de l'Osservatore Romano titrait sur la seule information vraiment confirmée : "Le monde prie pour le pape".

Ailleurs dans la ville, au Palais du Viminal, siège du ministère de l'intérieur, ou à la mairie de Rome, les réunions succédaient aux réunions pour faire face à l'événement. Finalement, les élections régionales, prévues dimanche 3 et lundi 4 avril, ont été maintenues, mais tous les partis sont rapidement convenus de suspendre la campagne électorale. Les compétitions sportives du week-end pourraient être annulées en cas de décès de Jean-Paul II, avait déclaré le président du Comité olympique national italien. Y compris les matches de la 30e journée de championnat de football, le Calcio, cette seconde religion du pays.

Jean-Jacques Bozonnet
"Tout était blanc, son regard souriait"

Jean Paul II est installé dans un grand lit tout recouvert de blanc, placé au milieu de sa chambre, a raconté, samedi matin 2 avril, le cardinal italien Mario Francesco Pomppedda au quotidien La Repubblica. Le prélat a précisé avoir été admis à voir Jean Paul II, vendredi vers midi."Le pape reposait adossé à de grands coussins, un peu tourné sur le flanc droit. Son secrétaire, Mgr Dziwisz, et une religieuse étaient assis sur des fauteuils face à lui, a-t-il ajouté. Il a tourné les yeux vers moi. Ses yeux étaient un peu fermés, mais il n'était pas endormi et lorsque mon nom a été prononcé, il les a ouverts... J'ai été saisi par la beauté de ce regard souriant. Il voulait clairement que je comprenne qu'il me reconnaissait. (...) J'ai vu qu'il voulait me saluer et dire quelque chose, mais il n'a pas réussi à le faire. Il ne montrait aucun signe de souffrance, même si sa respiration était difficile. Il ne râlait pas, je n'ai pas eu le sentiment de voir un agonisant." ­ (AFP.)


Les participants au conclave

117 ou 118 électeurs ? Les cardinaux étrangers arrivent déjà nombreux à Rome. La liste des cardinaux de moins de 80 ans qui devront élire le successeur ­ dans un délai pouvant aller jusqu'à vingt jours après la mort du pape ­ compte 117 noms, mais le conclave pourrait en rassembler 118, si le nom du cardinal gardé secret par le pape,depuis son dernier consistoire de création de cardinaux en octobre 2003, était révélé avant sa mort.Le cardinal "in pectore" (dans son coeur) est celui dont l'identité n'est connue que du pape. Or, selon le droit canon, une fois son nom publié, il jouit des mêmes droits que les autres, notamment celui de participer au conclave s'il a moins de 80 ans.Selon les experts, ce cardinal "in pectore" pourrait être un Chinois, mais pas, comme on l'a dit, son secrétaire particulier, le Polonais Mgr Stanislaw Dziwisz.

Article paru dans l'édition du 03.04.05
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