4.02.2005

Le pape s'éteint

«Le Christ ouvre ses portes à Jean-Paul II»

Guillaume Bourgault-Côté
Édition du Devoir (Qyébec) du samedi 2 et du dimanche 3 avril 2005

Le pape Jean-Paul II se trouvait toujours entre la vie et la mort au moment de mettre sous presse, hier, vers minuit. Après avoir annoncé jeudi l'aggravation de son état de santé, le Vatican a été forcé de confirmer au cours de la journée d'hier une nouvelle détérioration sérieuse de sa condition physique, indiquant ainsi clairement que le pape vivait ses dernières heures et qu'il s'éteignait peu à peu. Selon le vicaire du pontife, le cardinal Camillo Ruini, qui sera chargé d'annoncer aux Romains le décès de Jean-Paul II, le pape «voit et touche déjà le Seigneur». Le vicaire du pape pour la Cité du Vatican, Mgr Angelo Comastri, a pour sa part mentionné lors d'une homélie prononcée à l'occasion d'une veillée spéciale, place Saint-Pierre, que «ce soir ou cette nuit [hier soir], le Christ ouvrira largement ses portes au pape».

(02.04.2005)

En fin d'avant-midi hier au Québec (vers 18h30 à Rome), le Vatican a fait savoir que l'état général et les conditions cardio-respiratoires du pape de 84 ans s'étaient «encore aggravés» depuis la veille. Le bulletin médical émis à ce moment indiquait qu'une «aggravation progressive de l'hypotension artérielle a été notée» et que «la respiration est devenue superficielle», très faible. Il ajoutait que «le tableau clinique indique une insuffisance rénale et cardio-circulatoire» et que «les paramètres biologiques sont notablement compromis».
De la part du Vatican, ordinairement très rassurant quant à la santé du pape malgré des signes physiques évidents du contraire, le ton de cette annonce ne laisse plus planer aucun doute sur la gravité de la situation et l'imminence du décès du pape, lâché par son coeur, ses poumons, ses reins. Le cardinal mexicain Javier Lozano Barragan, ministre de la Santé du Vatican, a d'ailleurs déclaré sur la chaîne mexicaine Televisa que le pape «est sur le point de mourir. J'ai parlé au docteurs et ils m'ont dit qu'il n'y a plus d'espoir.»
C'étaient là, en fin de soirée hier (et en début de matinée aujourd'hui à Rome) les dernières informations officielles disponibles. Mais des rumeurs colportées par divers médias (et reprises entre autres par CNN) allaient plus loin et évoquaient un état comateux, voire même la mort du pape : néanmoins, rien de tout cela n'avait été confirmé au moment de boucler cette édition.
Reflet de l'énervement qui a agité toute la journée les fils de presse internationaux, un média italien avait annoncé que l'électroencéphalogramme du pape était plat en après-midi, mais l'agence Ansa a plus tard infirmé la nouvelle en mentionnant que l'appartement du pape au Vatican ne disposait pas d'un appareil pour enregistrer les électroencéphalogrammes.
Attendant pour leur part une confirmation officielle du décès de Karol Wojtyla, des dizaines de milliers de fidèles sont restés massés tout au long de la journée et de la soirée d'hier place Saint-Pierre pour tenir une vigile, accompagnés de centaines de caméras de télévision du monde entier qui ont alimenté en images tous les grands réseaux présents en direct et en continu.
Sur la place Saint-Pierre, dans la nuit froide, les fidèles étaient environ 70 000 à prier et à scruter les fenêtres des appartements pontificaux demeurées éclairées. Et la foule continuait toujours d'arriver sur la place, malgré l'heure tardive. Ce fut une veillée silencieuse et émotive, celle d'une communauté disant lentement au revoir à celui qui a été son chef spirituel pendant 26 ans, ce qui constitue le troisième plus long pontificat de l'histoire. «Avant, on venait sur la place pour prier pour la santé du Saint Père. Maintenant, on prie pour qu'il passe de ce monde-là au royaume de Dieu», confiait un prêtre français de Montpellier, Guy Tardivy.
Partout à travers l'Église catholique et son milliard de fidèles, des messes spéciales ont été prononcées pour le pape globe-trotteur. À Montréal, New Delhi, Cologne, Paris, Moscou, Bethléem, Bagdad, New York, Sydney, Nairobi, Abidjan, entre autres, les gens se sont recueillis.
À Wadowice, la ville natale du pape en Pologne, jeunes et moins jeunes ont abandonné écoles et occupations professionnelles pour prier dans l'église principale. L'ancien président polonais et Prix Nobel de la paix Lech Walesa, dont le syndicat Solidarnosc avait été grandement aidé par le pape dans sa lutte contre le régime communiste, a appelé la population «à prier pour que le Bon Dieu garde le Saint Père sur cette terre, à l'époque de la mondialisation et du chaos». Le premier ministre Paul Martin et le président américain George W. Bush ont aussi offert leurs prières au pontife, imité en ce geste par des dizaines d'autres leaders du monde. Même la Chine, qui n'autorise pas ses catholiques à reconnaître l'autorité du Vatican, a exprimé sa préoccupation quant à la santé de Jean Paul II et lui a souhaité de «retrouver la santé».

Crise cardiaque

C'est dans la nuit de jeudi à hier (heure du Québec) que la santé du pape s'est le plus gravement détériorée. Après que le Vatican eut confirmé que Jean-Paul II -- souffrant du Parkinson et convalescent d'une trachéotomie subie le 24 février -- faisait une forte fièvre due à une infection urinaire, son état de santé a empiré. Au matin, le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro-Valls, a dû émettre un autre bulletin de santé (le deuxième en moins de 24 heures) qui venait contredire quelques informations faisant état d'une amélioration de la condition du pape et d'une bonne réaction au traitement reçu.
M. Navarro-Valls a alors parlé de conditions de santé «critiques» : «Après qu'il eut souffert hier soir d'une infection urinaire, une septicémie [infection générale, d'autant plus dangereuse lorsque le patient souffre du Parkinson] s'est déclarée et il a eu un arrêt cardiaque. Le Saint Père a été immédiatement secouru par l'équipe de médecins de garde dans son appartement privé.»
Selon M. Navarro-Valls, le pape était au matin «lucide, serein et conscient». La matinée du pape, telle que l'a rapportée à la mi-journée le porte-parole du Vatican, a été celle d'un croyant et d'un chef spirituel qui désire mettre ses affaires en ordre avant de rendre l'âme. À 6h, le pape a concélébré la messe. À 7h15, «se souvenant que l'on était vendredi», il a demandé qu'on lui lise les 14 stations du chemin de croix, le récit de la Passion et de la mort du Christ, «faisant le signe de croix à chaque station». Puis, Jean-Paul II «a reçu plusieurs collaborateurs».
Le cardinal Marcio Francesco Pompedda, qui était du nombre, a affirmé que le souverain pontife avait ouvert les yeux et souri. «J'ai compris qu'il me reconnaissait. C'était un merveilleux sourire, je m'en souviendrai pour toujours, a-t-il dit à la télévision italienne. Ce qui m'a impressionné le plus était son expression de sérénité.»
Le porte-parole du Vatican a aussi confirmé hier que le sacrement des malades avait bel et bien été administré à Karol Wojtyla jeudi à 19h17 (heure locale). Généralement impassible, M. Navarro-Valls semblait cette fois très ému au moment de livrer ce bulletin de santé, sa voix se cassant.
epuis le début de ce qui sera l'ultime combat de Jean-Paul II, un transport à la polyclinique Gemelli, surnommée «Vatican III» parce que le pape y a séjourné souvent depuis l'attentat dont il a été victime en 1981, a toujours été exclu par le pontife lui-même, qui aurait selon diverses sources exigé «de mourir dignement en souverain pontife dans sa chambre au Vatican, devant la place Saint-Pierre», où il pourra s'éteindre tranquillement, veillé par des milliers de fidèles venus le supporter dans cette agonie.

D'après l'Agence France-Presse, Associated Press, Reuters et Le Monde
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