4.16.2005

Le conclave s'ouvre, lundi 18 avril, dans un climat d'incertitude

LE MONDE | 16.04.05 | 13h14 • Mis à jour le 16.04.05 | 13h14
Rome de notre envoyé spécial

ls seront 115 à partir du lundi 18 avril, seuls face à leur conscience, face à Dieu, face au monde. Le neuvième conclave depuis un siècle s'ouvre à Rome, dans un climat de grande incertitude.
Un conclave sans grand favori, comme l'étaient Eugenio Pacelli, futur Pie XII, en mars 1939, et Giovanni-Battista Montini, futur Paul VI, en juin 1963. Sans personnalité au-dessus du lot, s'imposant à une assemblée de 115 cardinaux, dont 113 sont novices dans ce genre d'exercice. Un conclave plus fermé que jamais, tant la consigne de secret a été tenue d'une main de fer. Un conclave dont on ne connaît vraiment ni les lignes de clivage ni les préférences nationales. La seule probabilité est que le nouveau pape sera élu pour maintenir l'héritage de Jean Paul II et que le conclave se conclura vite, pour éviter le spectre de la division. Trois scénarios, au moins, sont possibles.
Premier scénario : une victoire éclair du cardinal Josef Ratzinger, 78 ans. Personne ne sait si le doyen du Sacré Collège est candidat, mais beaucoup le donnent déjà élu. Il partirait avec un capital d'une cinquantaine de voix, à la suite d'une campagne menée par les milieux les plus conservateurs de la Curie. La fidélité au pape disparu, sa capacité à diriger, sanctionner, recevoir des coups, la garantie d'une orthodoxie sans faille : autant d'atouts qui sont de nature à rassurer un collège électoral éclaté (55 pays), n'ignorant rien des risques qui pèsent sur une Eglise orpheline de Jean Paul II et menacée par la montée de la sécularisation (Europe), des sectes et courants évangéliques durs (Amérique du Nord et du Sud), de l'islam (Afrique, Asie).

L'âge et l'image détestable du cardinal Ratzinger dans les milieux progressistes ou oecuméniques ne changeront rien à l'affaire. Il est le candidat de la continuité et de la sécurité pour un collège électoral qui n'ignore pas le besoin de réformes, mais préfère les différer dans le temps. Aux risques de l'aventure, dans un contexte de vulnérabilité pour l'Eglise, les électeurs font le choix d'une papauté de transition et d'honnête gestion.
Deuxième scénario : la réaction de ceux qui ne se résignent pas à cette première option conservatrice. On en a senti les prémices lors des débats préparatoires. Autant qu'on puisse le savoir, les contre-feux ont été allumés par le cardinal Carlo-Maria Martini, homme libre et assez courageux pour poser publiquement les questions issues du débat critique interne à l'Eglise : une "collégialité" renouvelée pour rompre avec une Curie autoritaire et crispée ; une relance du dialogue avec les "frères" chrétiens séparés (protestants, anglicans, orthodoxes) ; un discours plus adapté sur le sexe, plus souple à l'égard des femmes, des communautés sans prêtres, des divorcés-remariés privés de sacrement, etc.

DÉPASSER LE CONFLIT

Trop malade, Carlo-Maria Martini, 78 ans (comme Ratzinger), ne pourra pas être élu. Il a longtemps représenté ­ sans être son adversaire ­ une ligne alternative à celle de Jean Paul II. Son camp, celui des réformateurs modérés, est très minoritaire dans le conclave. Mais la clé du scrutin sera dans la capacité d'un autre candidat, soutenu par lui, de faire le plein des voix réformatrices et d'attirer un nombre suffisant de voix traditionalistes du camp Ratzinger.
Le cardinal Dionigi Tettamanzi, 71 ans, archevêque de Milan, semble le mieux placé pour jouer cette carte. Il ne s'est guère dévoilé pendant le préconclave. Mais il fut l'un des plus fidèles relais de Jean Paul II dans l'Eglise italienne. Il a pris position sur des questions ­ bioéthique, sexualité, mondialisation, immigration ­ où se joue le rapport du catholicisme avec la modernité. Mais sa faible expérience internationale, sa méconnaissance des langues étrangères, la division du camp italien (où les cardinaux Ruini, Sodano, Ré attendent en embuscade) ne plaident pas en sa faveur.
Reste un troisième scénario, récurrent dans l'histoire des conclaves : si la situation est bloquée entre les deux "lignes" du cardinal Ratzinger (qui a des candidats de recours, comme Angelo Scola, 63 ans, de Venise, et Christoph Schönborn, 60 ans, de Vienne) et du cardinal Martini, le conclave se tournera vers une personnalité moins marquée, au profil spirituel accentué. C'est ce qu'on appelle à Rome la "lucianisation" du vote, en souvenir de l'élection, le 26 août 1978, d'Albino Luciani, patriarche de Venise, indépendant et sans ambition, élu pour sa capacité à dépasser le conflit entre conservateurs et réformateurs italiens qui allait éclater au conclave d'octobre et déboucher sur l'élection d'un pape... polonais.
Dans ce troisième scénario, des noms sont cités, comme Ennio Antonelli, 68 ans (Florence), ou José da Cruz Policarpo, 69 ans (Lisbonne), homme-pont avec l'Amérique latine. Ces trois scénarios semblent exclure des candidatures plus lointaines et aventureuses : celles de cardinaux latino-américains ­ Claudio Hummes (Sao Paulo), José-Maria Bergoglio (Buenos Aires), Oscar Andres Rodriguez Mardagiaga (Honduras) ­ si divisés entre eux que le pronostic ne penche pas en faveur d'un sous-continent qui représente pourtant près de la moitié des catholiques. Mais, comme d'autres, dans ce conclave indécis, ils auront le temps de méditer le vieil adage selon lequel qui entre pape au conclave en sort... cardinal.

Henri Tincq
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