Le Vatican après Jean-Paul II - Un nécessaire «droit d’inventaire»
Challenge, avril 2005 - N° 245 - Le Mot de la fin
L’idée - Jean-Paul II laisse un héritage politique et diplomatique considérable. A charge pour son successeur de distinguer dans ce legs ce qu’il faut développer et ce qu’il faut changer, notamment dans la mission sociale de l’Eglise et dans son fonctionnement monarchique.
L ’image d’une planète endeuillée, le rassemblement inédit de nombre de chefs d’Etat et de gouvernement autour du cercueil de Jean-Paul II – juste retour des choses pour un pape qui visita au long de son quart de siècle de pontificat plus d’une centaine de pays – ont remis l’accent sur le rôle historique et politique de la papauté. En même temps que sur les défis qui attendent le successeur de Jean-Paul II.
Plus que d’autres papes, Jean-Paul II restera d’abord dans l’histoire politique comme le plus cinglant démenti infligé à la doctrine de Staline. Le dictateur soviétique avait eu en effet ce mot célèbre : « Le pape, combien de divisions? » Eh bien, la réponse est venue, dans le soutien décisif apporté à la révolution polonaise par la seule parole d’un pape polonais, et au-delà par le soutien moral décisif apporté par ce dernier aux forces – dont Mikhaïl Gorbatchev lui-même – qui contribuèrent à la fin de la guerre froide. Le KGB ne s’y était pas trompé qui échoua de si peu dans sa tentative d’assassiner Jean-Paul II, via les services bulgares et Ali Agça.
Sur d’autres fronts de l’histoire en marche, Jean-Paul II s’est aussi placé au premier rang, imprimant à l’Eglise un mouvement qui n’est pas sans influence sur les opinions publiques. Au premier rang figure le combat pour les droits de l’homme. Tant décrié aujourd’hui dans certains cercles, celui-ci est, pour le pape, inséparable du refus vigoureux, opiniâtre, de la guerre (qu’elle soit du Golfe ou d’Irak). Autre to
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urnant majeur que celui du pacifisme. Mais la guerre, les guerres, comme celles aussi du Liban ou de Bosnie, étaient pour Jean-Paul II autant de signes avant-coureurs du suicide de la civilisation. Enfin la « repentance » de l’Eglise catholique vis-à-vis des juifs, la dénonciation des racines chrétiennes de l’antisémitisme, la reconnaissance de l’Etat d’Israël resteront un legs décisif au regard de l’histoire de l’Europe, qu’il faudra prendre garde de préserver.
Cet héritage foisonnant et puissant sur le plan de l’opinion et de l’action diplomatique devra donc d’abord faire l’objet d’un « droit d’inventaire » de la part de son successeur. La première bataille politique dans l’Eglise sera bien celle-là : distinguer ce qu’il faut faire fructifier de l’héritage de Jean-Paul II de ce qu’il faut changer, ou peut-être abandonner. Car autant le combat pour les droits de l’homme paraît devoir être, pour le Vatican, un solide et durable point d’ancrage, autant d’autres faits marquants du pontificat du défunt pape sont plus contestables, sont et seront critiqués.
Chez Jean-Paul II en effet prévalait la mission religieuse de l’Eglise sur sa mission sociale. Il a donc organisé ce que certains théologiens dénoncent comme une restauration conservatrice : il a, par exemple, condamné en Amérique latine la « théologie de la libération », persuadé qu’il avait affaire au « cheval de Troie » du marxisme, et peut-être facilité ainsi l’explosion des différentes formes d’évangélisme sur ce continent. Il a aussi prêché contre la pauvreté et la misère (quel pape ne le ferait pas?). Mais il a, par des prises de position en matière de contrôle des naissances, paru faire obstacle à ceux qui sur le terrain se battaient pour faire reculer l’une et l’autre.
Il a certainement été l’un des hommes les plus importants, un géant aux yeux de l’histoire de l a f in du xx e siècle marquée par la fin du communisme. Mais il n’a peut-être pas vu venir la nouvelle religion du début du xxi e siècle, la religion démocratique, face à laquelle il laisse une Eglise encore monarchique, et par là peut-être moins armée après lui pour continuer de peser sur le cours de l’histoire.
Jean-Marie Colombani
L’idée - Jean-Paul II laisse un héritage politique et diplomatique considérable. A charge pour son successeur de distinguer dans ce legs ce qu’il faut développer et ce qu’il faut changer, notamment dans la mission sociale de l’Eglise et dans son fonctionnement monarchique.
L ’image d’une planète endeuillée, le rassemblement inédit de nombre de chefs d’Etat et de gouvernement autour du cercueil de Jean-Paul II – juste retour des choses pour un pape qui visita au long de son quart de siècle de pontificat plus d’une centaine de pays – ont remis l’accent sur le rôle historique et politique de la papauté. En même temps que sur les défis qui attendent le successeur de Jean-Paul II.
Plus que d’autres papes, Jean-Paul II restera d’abord dans l’histoire politique comme le plus cinglant démenti infligé à la doctrine de Staline. Le dictateur soviétique avait eu en effet ce mot célèbre : « Le pape, combien de divisions? » Eh bien, la réponse est venue, dans le soutien décisif apporté à la révolution polonaise par la seule parole d’un pape polonais, et au-delà par le soutien moral décisif apporté par ce dernier aux forces – dont Mikhaïl Gorbatchev lui-même – qui contribuèrent à la fin de la guerre froide. Le KGB ne s’y était pas trompé qui échoua de si peu dans sa tentative d’assassiner Jean-Paul II, via les services bulgares et Ali Agça.
Sur d’autres fronts de l’histoire en marche, Jean-Paul II s’est aussi placé au premier rang, imprimant à l’Eglise un mouvement qui n’est pas sans influence sur les opinions publiques. Au premier rang figure le combat pour les droits de l’homme. Tant décrié aujourd’hui dans certains cercles, celui-ci est, pour le pape, inséparable du refus vigoureux, opiniâtre, de la guerre (qu’elle soit du Golfe ou d’Irak). Autre to
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urnant majeur que celui du pacifisme. Mais la guerre, les guerres, comme celles aussi du Liban ou de Bosnie, étaient pour Jean-Paul II autant de signes avant-coureurs du suicide de la civilisation. Enfin la « repentance » de l’Eglise catholique vis-à-vis des juifs, la dénonciation des racines chrétiennes de l’antisémitisme, la reconnaissance de l’Etat d’Israël resteront un legs décisif au regard de l’histoire de l’Europe, qu’il faudra prendre garde de préserver.
Cet héritage foisonnant et puissant sur le plan de l’opinion et de l’action diplomatique devra donc d’abord faire l’objet d’un « droit d’inventaire » de la part de son successeur. La première bataille politique dans l’Eglise sera bien celle-là : distinguer ce qu’il faut faire fructifier de l’héritage de Jean-Paul II de ce qu’il faut changer, ou peut-être abandonner. Car autant le combat pour les droits de l’homme paraît devoir être, pour le Vatican, un solide et durable point d’ancrage, autant d’autres faits marquants du pontificat du défunt pape sont plus contestables, sont et seront critiqués.
Chez Jean-Paul II en effet prévalait la mission religieuse de l’Eglise sur sa mission sociale. Il a donc organisé ce que certains théologiens dénoncent comme une restauration conservatrice : il a, par exemple, condamné en Amérique latine la « théologie de la libération », persuadé qu’il avait affaire au « cheval de Troie » du marxisme, et peut-être facilité ainsi l’explosion des différentes formes d’évangélisme sur ce continent. Il a aussi prêché contre la pauvreté et la misère (quel pape ne le ferait pas?). Mais il a, par des prises de position en matière de contrôle des naissances, paru faire obstacle à ceux qui sur le terrain se battaient pour faire reculer l’une et l’autre.
Il a certainement été l’un des hommes les plus importants, un géant aux yeux de l’histoire de l a f in du xx e siècle marquée par la fin du communisme. Mais il n’a peut-être pas vu venir la nouvelle religion du début du xxi e siècle, la religion démocratique, face à laquelle il laisse une Eglise encore monarchique, et par là peut-être moins armée après lui pour continuer de peser sur le cours de l’histoire.
Jean-Marie Colombani
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