4.12.2005

Une semaine de concertation s'ouvre à Rome sur l'après-Jean Paul II

LE MONDE | 09.04.05 | 12h57  •  Mis à jour le 12.04.05 | 09h55
Rome de notre envoyé spécial

Poignante, l'image de quelque 180 cardinaux entourant de près, sur le parvis de Saint-Pierre, le cercueil du pape ! Avant d'être des "princes de l'Eglise", ce sont des "frères" qui disent un dernier adieu à leur "père", avant son retour à l'intérieur de la basilique et son inhumation dans la crypte. La foule a compris leur déchirement et a répondu par un long applaudissement. Une foule qui a réclamé - du jamais vu - la canonisation sur-le-champ (santo subito, saint tout de suite) de Jean Paul II.
Les cardinaux ont repris, dès samedi 9 avril, les congrégations générales, ces assemblées ouvertes aux 115 électeurs du prochain pape - et aux non-électeurs (octogénaires) - présidées par le camerlingue, Eduardo Martinez Somalo, et le doyen des cardinaux, Josef Ratzinger. Jusqu'à présent, depuis la mort du pape le 2 avril, ils n'avaient eu qu'à s'aligner sur les dispositions qu'il avait lui-même arrêtées, pour la vacance du Saint-Siège, l'organisation des obsèques et le choix de la date du conclave, dans sa constitution Universi Dominici Gregis de 1996.
Mais désormais, ils entrent dans l'inconnu. Chaque matin, jusqu'au début du conclave lundi 18 avril, s'ouvrira une nouvelle congrégation générale de cardinaux. Au besoin, une séance s'ajoutera en fin de journée. Ces réunions se veulent des lieux de rencontres et d'échanges entre des hommes qui ne se connaissent pas forcément. Aucun ordre du jour n'est arrêté. Les discussions y sont libres et cette période de préconclave est ponctuée de rencontres informelles, déjeuners ou dîners en ville, dans des maisons religieuses ou des lieux publics, à l'écart des bruits et des indiscrétions.


SECRET ABSOLU

Comme pour les précédents conclaves, le collège américain, le séminaire français, le collège belge ou latino-américain vont devenir les endroits les plus prisés des cardinaux et, bien sûr, des journalistes. Mais la règle du secret y est absolue. Dès leur arrivée à Rome pour les obsèques de Jean Paul II, des cardinaux se sont fait rappeler à l'ordre par la secrétairerie d'Etat pour avoir commenté, dans les médias de leur pays, les enjeux du conclave à venir.
Autrement dit, le Vatican entre dans une semaine fiévreuse de conciliabules, de spéculations, voire de manoeuvres. Les pronostics sur les papabili vont reprendre à un train d'autant plus infernal qu'à la différence de conclaves précédents (celui qui a élu Pacelli-Pie XII en 1939, Montini-Paul VI en 1963, Luciani-Jean Paul Ier en août 1978), la compétition ne présente pas de favori incontestable. Aucun candidat ne peut se découvrir, au risque de courir à l'échec. Toute l'habileté des cardinaux consiste à s'interroger sur les chances de tel ou tel, à se faire communiquer sur lui des informations, mais sans jamais citer son nom.
On se trouve là dans une procédure unique au monde, mais éprouvée par le temps, et sur laquelle personne ne compte revenir.
Au lendemain des obsèques, le cahier des charges des cardinaux est considérable. En une semaine, ils vont devoir tirer les leçons du retentissement mondial de l'événement, chercher à analyser lucidement la situation de l'Eglise, définir le portrait-robot du successeur idéal, réfléchir à des candidats potentiels. Où trouver, dans un si bref délai, un pape qui ne soit pas un simple clone de Jean Paul II, mais sache tirer profit de la dynamique créée par ses obsèques, capitaliser l'affection que viennent de lui manifester les foules du monde entier, la sympathie de si nombreux pays attachés à son combat pour la paix et la justice, les relations avec des confessions venues à Rome confirmer son oeuvre de dialogue ? L'image d'accablement que donnent les cardinaux vient autant du chagrin pour le pape disparu que du défi qui s'ouvre sous leurs pas.

DIALOGUE OECUMÉNIQUE

Dès le soir des obsèques, lors d'une assemblée à l'église Santa Maria di Trastevere organisée par la communauté de San't Egidio, MgrChristodoulos, archevêque d'Athènes, en visite pour la première fois à Rome, a proposé la reprise du dialogue international entre les Eglises orthodoxes et catholique. Les funérailles du pape auront permis des retrouvailles entre les primats orthodoxes eux-mêmes, le patriarche Bartholomée de Constantinople, Mgr Kyrill, numéro deux du patriarcat de Moscou, le patriarche Petros d'Alexandrie, etc. Toutes les Eglises d'Orient étaient à Rome à l'appel de celui qui les avait tant de fois pressées de se réconcilier et de faire respirer l'Eglise de ses "deux poumons", occidental et oriental.
La relance du dialogue oecuménique n'a d'égale que la nécessité de conforter les liens étroits qu'a su créer le pape avec la communauté juive (que représentaient, pour la France, Roger Cukierman, Richard Prasquier et le rabbin Michel Serfaty). Le nombre de délégations protestantes, anglicane (avec Rowan Williams, archevêque de Canterbury), puis celles de l'islam, du bouddhisme, de l'hindouisme, du sikhisme rend trop évidente l'une des premières tâches du successeur du défunt : renouer, consolider le dialogue entre les religions.
L'après-Jean Paul II est ouvert. Les cardinaux électeurs s'enfermeront le dimanche 17 au soir à la résidence Sainte-Marthe, avant de se réunir dès le lendemain après-midi à la chapelle Sixtine. Le compte à rebours a commencé.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 10.04.05
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