4.11.2005

Le sommet du millénaire…

Rome accueillait vendredi un sommet mondial impromptu. Jamais autant de délégations officielles, conduites le plus souvent par les chefs d’Etat n’auront assisté à des funérailles pontificales. Pour cet énorme rendez-vous médiatique — couvert par plus de trois mille cinq cents journalistes — quinze rois, reines et princes, quarante-quatre chefs d’Etat, vingt-cinq Premiers ministres avaient pris place sur le parvis, faisant face à un parterre de six cents prélats, placé de l’autre côté du catafalque, par ordre d’importance : cardinaux, archevêques, évêques, prêtres romains. Deux mondes se faisaient face à face.
Toutefois, ce n’est pas dans ce rapport bilatéral que l’importance de la cérémonie réside. Certes, en participant si massivement aux obsèques du Pape, ces dirigeants rendent hommage à une figure spirituelle d’exception dont la disparition a suscité une forte émotion dans leurs pays respectifs. Mais ils témoignent aussi de l’influence qu’aura eue Jean-Paul II, en vingt-six ans de pontificat, sur les grands dossiers internationaux du dernier quart du XXe siècle. Chacun d’eux a rencontré l’action du premier pape de l’ère mondialisée.
Mais les Grands de ce monde n’ont pas résisté à s’entretenir entre eux. La plupart des contacts entre dirigeants ont été noués au hasard du placement alphabétique, en rapport avec l’ancienneté de leurs rapports diplomatiques avec le Saint-Siège en général (ainsi la France se retrouvait-elle à côté des Etats-Unis, et le protocole avantageait les représentants de la ville de Rome, de l’Etat italien et de la Pologne, assis au premier rang) sur le parvis de Saint-Pierre, vendredi matin. « Plutôt après la messe qu’avant », précisait-on dans l’entourage de certaines délégations. Des échanges improvisés, courts, de simple courtoisie parfois. « Ce type d’événements, d’une durée brève avec d’importantes contraintes de sécurité, ne favorise pas les contacts en profondeur », explique un diplomate. A moins de partager le même hôtel. A moins d’avoir prémédité les rencontres.
Arrivé tardivement jeudi soir, Jacques Chirac est rentré à Paris dès la fin de la messe. Il aura toutefois pris soin d’échanger une poignée de main avec son homologue américain. Moins démonstrative cependant que les chaleureuses congratulations qu’il adressa à Bill Clinton ou que son accolade avec le roi Abdallah de Jordanie. Pour sa part, George W. Bush s’est entretenu avec son homologue italien, Carlo Azeglio Ciampi, puis avec Silvio Berlusconi sur les relations transatlantiques, le Proche-Orient, l’Irak et l’Ukraine. Selon le porte-parole de la Maison-Blanche, le président américain a répété au président du Conseil italien ses « regrets » pour la mort de l’agent secret italien Nicola Calipari, tué par une patrouille américaine, le 4 mars, lors de la libération de la journaliste Giuliana Sgrena à Bagdad. Le ministre israélien des affaires étrangères, Silvan Shalom, a également profité de son séjour pour avoir un entretien avec les autorités italiennes. La venue à Rome, avant le conclave, du président nigérian, Olusegun Obasanjo, revêt une importance particulière : les partisans d’un pape noir portent tous leurs espoirs sur son compatriote, le cardinal Francis Arinze.
L’inédit était aussi au rendez-vous, permettant à ces funérailles d’accéder au rang de sommet diplomatique. Le président israélien, Moshé Katsav, a pour la première fois serré hier à deux reprises la main de son homologue syrien, Bachar al-Assad. Le chef de l’Etat hébreu s’est également entretenu avec son homologue iranien, Mohammad Khatami. Selon la radio publique israélienne, Moshé Katsav, Juif d’origine iranienne, et le président iranien ont même évoqué, en persan, leurs souvenirs de la ville de Yazd, dont ils sont tous deux originaires. Mais le chef de l’Etat iranien s’est empressé de démentir ces allégations. Sa situation en Iran ne lui permet pas d’offrir aux éléments conservateurs du régime de tels motifs de contestation de sa légitimité…
Robert Mugabe a profité de l’occasion pour ajouter un nouveau pied de nez à la communauté internationale. Déclaré persona non grata par l’Union européenne (UE), le président zimbabwéen a néanmoins réussi à obtenir de Bruxelles et de l’Italie, en vertu des accords du Latran, de se rendre au Vatican pour assister aux funérailles de Jean-Paul II. Le dirigeant africain a aussi réussi à obtenir que le prince Charles lui serre la main durant les célébrations. Se retrouvant fortuitement en présence de Mugabe, l’héritier de la Couronne d’Angleterre aurait ainsi été amené « par surprise » à le saluer. Une mésaventure qui était déjà survenue au chef de la diplomatie britannique, Jack Straw, l’an dernier à l’ONU.
Plus intéressantes encore furent les « non-rencontres ». Prenant place à côté de Jacques Chirac, George W. Bush était à bonne distance de Mohammed Khatami et de Bachar el-Assad. Surtout, il y a ceux qui ne sont pas venus. Alors que la Chine n’était pas représentée (excepté Taïwan) et interdisait toute information relative au décès du Pontife romain, Fidel Castro n’a pas fait le voyage après avoir pourtant multiplié les éloges. De même, Vladimir Poutine a préféré envoyer son Premier ministre, Mikhaïl Fradkov. L’Eglise orthodoxe russe a dépêché son « numéro deux », le métropolite Kiril. Quant au président argentin, Nestor Kirchner, il a également boudé la cérémonie, déléguant son vice-président, Daniel Schioli. Le chef de l’Etat argentin avait provoqué un sérieux coup de froid dans les relations avec le Vatican en demandant le renvoi d’un évêque qui avait critiqué des déclarations du ministre de la Santé en faveur de la dépénalisation de l’avortement.
On regrettera cependant la discrétion de Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU. Il est vrai qu’il avait déjà été difficile de le loger ; il avait trouvé refuge chez l’ambassadeur du Ghana.
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