4.12.2005

L'altermondialisme prospère en terre chrétienne

[LE MONDE DE L'ECONOMIE, 12 avril 2005]

Dans le cortège des manifestations ou sur les affiches de campagne, le logo d'ATTAC ou des grandes organisations non gouvernementales (ONG) internationales, le portrait de Che Guevara ou la figure de José Bové apparaissent plus souvent que le sigle des mouvements chrétiens. L'engagement de ces derniers pour un " autre monde possible " est pourtant plus important que ne le laisse supposer l'image renvoyée par ces clichés familiers. Au Forum social mondial de Porto Alegre, créé en 2001 pour faire front au Forum économique mondial de Davos, les deux tiers des participants se déclaraient " chrétiens " selon une enquête de l'institut brésilien de recherches Ibase. A l'origine de ce rendez-vous annuel de la contestation apparaissait Chico Whitaker, ancien secrétaire de la commission Justice et paix de la Conférence des évêques brésiliens.
" Cathos " et " alters ", même combat ? Quel rôle a joué Jean Paul II dans ce compagnonnage qui peut surprendre ? " Je me suis senti en consonance entre ce qui se tenait à Porto Alegre et la doctrine sociale de l'Eglise ", reconnaît Mgr Descubes, archevêque de Rouen, après sa première expérience du CFF, en janvier 2005. " Dès la chute du bloc soviétique, Jean Paul II a attiré l'attention sur les dangers d'un libéralisme sans garde-fous et appelé à un nouvel ordre économique mondial ", ajoute le prélat, également président de la commission sociale de l'épiscopat français. Le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) - une des plus grosses ONG françaises - rappelle ses " appels répétés en faveur d'une économie plus juste ". " Jean Paul II a enrichi la doctrine sociale de l'Eglise, souligne Jean-Marie Fardeau, son secrétaire général. Il nous a fourni un matériau qui légitime notre action en faveur de la réduction des inégalités, et pour une remise en cause des règles actuelles du commerce international. " A l'approche de la célébration du Jubilé de l'an 2000, le pape, dans une bulle édictée le 29 novembre 1998, avait souhaité l'allégement du fardeau financier que subissent les pays en développement : " Il y a un signe de la miséricorde de Dieu qui est aujourd'hui particulièrement nécessaire : la charité. (...) Beaucoup de pays, spécialement les plus pauvres, sont opprimés par une dette qui a pris des proportions telles qu'elles rendent pratiquement impossible leur remboursement. "
Cette prise de position avait été suivie du lancement de la campagne Jubilé dont le succès se traduira par 17 millions de signatures en faveur de l'annulation de la dette, remises au G7 de Cologne en 1999. Six ans plus tard, la campagne n'a pas été abandonnée et les organisations chrétiennes, qui s'apprêtent, avec d'autres, à faire pression sur la réunion des chefs d'Etats des pays les plus riches qui se tiendra en Ecosse en juillet prochain, sont toujours aux avant-postes.
La campagne - élargie aux objectifs de développement du Millénaire - a été rebaptisée Action mondiale contre la pauvreté et elle est relayée en Europe par la Coopération internationale pour le développement et la solidarité (CIDSE), coordination de mouvements chrétiens présents dans quinze pays, forte d'un budget annuel de 600 millions d'euros. Au plan mondial, Caritas International intervient au travers de plus de 160 organisations catholiques d'aide.
Outre un discours érigeant la solidarité au rang de vertu chrétienne, Denis Vienot, président de Caritas Europa, reconnaît à Jean Paul II le mérite " d'avoir toujours défendu la paix en osant affirmer que "la guerre est une aventure sans retour˜ ". Les prises de position du souverain pontife en 1991 puis en 2003 contre la guerre en Irak forment les prises de position les plus en phase avec le mouvement altermondialiste. Car sa critique du libéralisme laisse en revanche insatisfaits ceux qui aimerait voire déboucher " l'option préférentielle pour les pauvres " - prônée par le Vatican, avec un rejet sans détour du capitalisme. " La condamnation radicale de Jean Paul II des situations de misère est en cohérence avec le message évangélique. Mais sa doctrine sociale est en régression par rapport à Paul VI ou à Jean XXIII, affirme ainsi le chanoine François Houtart, directeur du Centre tricontinental en Belgique. Il a condamné le socialisme dans son essence et le capitalisme dans ses abus sans jamais nommer les groupes sociaux ou les dirigeants à l'origine de cette oppression. Sa lutte contre le communisme a eu le pas sur tout. " Et notamment, sur l'expérience des théologiens de la libération en Amérique latine dont les principaux théoriciens et acteurs ont été réduits au silence. Aussi Jean Paul II laisse-t-il une image brouillée, entre un discours que s'approprient en grande partie les courants chrétiens de l'altermondialisme et la présence à ses côtés, comme conseiller, d'un Michel Camdessus, ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI), bête noire des partisans d'une mondialisation plus humaine.

Laurence Caramel
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