4.06.2005

«Un conservateur qui a mené une contre-réforme»

Léonardo Boff, idéologue de la théologie de la libération, analyse l'héritage de Jean-Paul II.

Par Chantal RAYES
mercredi 06 avril 2005

L'un des principaux idéologues de la théologie de la libération, Leonardo Boff fut condamné, en 1985, à dix-huit mois de silence pénitentiel par Jean-Paul II en croisade contre les partisans de cette doctrine, selon laquelle l'Eglise a pour mission de lutter contre la pauvreté. Menacé de nouvelles sanctions, ce théologien franciscain quittera le sacerdoce en 1992.

Quel est selon vous l'héritage du pape ?

Son charisme, qui lui a permis de redonner à la religion une dimension publique, d'en faire une force capable de mobiliser les foules et de faire tomber le communisme. Superstar, c'était aussi un pape paradoxal. D'un côté, il était ouvert, prêchant par exemple le dialogue interreligieux. De l'autre, c'était un conservateur qui a mené une contre-réforme de l'Eglise, voyant dans le processus de modernisation par lequel elle passait depuis les années 60 une menace à l'identité catholique. Il a ainsi renforcé la centralité du Vatican et opéré un retour à la discipline, créant un catéchisme universel - autant dire la pensée unique -, et interdisant toute liberté idéologique. Il a puni 140 théologiens, dont moi.

Qu'attendez-vous de son successeur ?

Qu'il n'ait pas l'arrogance et le fondamentalisme doctrinaire de ce pontificat. L'Eglise ne peut pas se considérer la seule représentante légitime du message du Christ. Le nouveau pape devra aussi placer la mondialisation au centre de ses préoccupations. Car la pauvreté croissante dans le monde et la dévastation écologique sont ses principaux défis. Là aussi, JeanPaul II a été paradoxal. S'il avait un discours de lutte contre les injustices, il a combattu les mouvements qui oeuvrent à cette fin. Le Vatican doit aussi se décentraliser et, partant, se «désoccidentaliser». Cela pour laisser s'exprimer les Eglises nationales, sachant que c'est dans le monde en développement que le catholicisme est le plus dynamique et créatif.

En Amérique latine, où vit un catholique sur deux, le catholicisme cède du terrain au pentecôtisme.

L'Eglise latino-américaine souffre d'une pénurie de prêtres, rebutés par le célibat. Elle n'arrive plus à répondre à la demande religieuse. Les pentecôtistes comblent le vide. Le pape a aggravé les choses, en insistant sur la seule mission religieuse de l'Eglise, au détriment de sa mission sociale. Ses pressions sur la théologie de la libération ont conduit bien des catholiques à se désintéresser de l'Eglise. Or, dans toute l'Amérique latine, le nombre de fidèles a augmenté là où il y a des communautés ecclésiales de base (CEB, associations de laïques créées par les diocèses de gauche pour mobiliser la société, ndlr). Le pape lui-même s'en est rendu compte.

Sa position sur la théologie de la libération a évolué ?

Tout à fait. Au départ, il voyait dans cette doctrine la porte d'entrée du marxisme, qu'il dénonçait à cause de ses dérives en Pologne. Mais, après la chute du communisme, quand il a vu les injustices que le capitalisme sauvage a causées dans l'ex-bloc soviétique, il a cessé de la combattre, déclarant même qu'elle était «non seulement utile mais nécessaire».

Comment se porte aujourd'hui cette doctrine ?

Elle est très vivante partout mais son bastion reste le Brésil, où nous avons 100 000 CEB. Ici, un vaste courant du clergé, partisan de la théologie de la libération ou plus modéré, lutte pour la justice sociale.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=287634
-->