La "génération Jean Paul II" s'interroge sur Benoît XVI
LE MONDE | 09.05.05 | 13h45 • Mis à jour le 09.05.05 | 17h45
Il y a ceux qui assument la référence, et d'autres qu'elle agace. "Oui, je suis de la génération Jean Paul II, reconnaît Raphaële Huard, 23 ans, secrétaire nationale de l'association Chrétiens en grandes écoles. Je porte assez bien cette étiquette. C'est mon pape, j'ai grandi avec lui."
Ghislain d'Alançon, 32 ans, cadre bancaire, récuse l'appellation : "Génération Jean Paul II ? C'est une expression qui me dérange. J'ai aimé ce pape, qui m'a beaucoup apporté. Mais ne retenir que cela voudrait dire qu'il n'y a plus rien après lui."
Là est bien le défi pour les jeunes catholiques, qui ont grandi à l'ombre de la figure tutélaire du pape polonais. Ils ont vécu, de leur propre aveu, des expériences spirituelles fortes au cours de grands rassemblements impulsés par Jean Paul II, comme les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ).
L'avènement du nouveau pape Benoît XVI est perçu comme un test décisif, qui va provoquer une sorte de tri entre ce qui ressort de l'admiration pour Jean Paul II et ce qui appartient en propre à une démarche de foi. Les prochaines JMJ, qui auront lieu à Cologne, en Allemagne, du 11 au 21 août, vont marquer une étape.
"C'est un moment historique, qui va permettre à beaucoup de jeunes de faire la différence entre les JMJ et un "show du pape"" , résume Pierre Touzel, coordinateur national des JMJ 2005 à la Conférence des évêques de France. Le rassemblement de Cologne risque fort d'être considéré comme un baromètre de la popularité du pape Benoît XVI.
L'épiscopat s'est fixé pour objectif de parvenir à une fourchette de 40 000 à 60 000 participants venus de France. Aux JMJ de Rome, en 2000, 80 000 jeunes Français avaient fait le déplacement. Mais ils n'étaient que 10 000 pour les Journées de Toronto, au Canada, en 2002. Cette destination était plus lointaine, et le voyage plus onéreux. Les services de la Conférences des évêques visent donc un juste milieu entre les deux.
PALETTE DE COURANTS
Selon M. Touzel, l'élection du cardinal Josef Ratzinger n'a pas fait fléchir les inscriptions des Français. Au contraire, il y aurait même eu un petit pic, mardi 19 avril, jour où la fumée blanche s'est échappée de la chapelle Sixtine.
L'admiration pour le pape polonais n'a jamais atteint en France les sommets qu'elle a connus en Italie. Dans ce pays s'est même constitué un groupe de "papa boys" , véritable fan-club de Jean Paul II. Un phénomène typiquement italien, semblable à celui des tifosi.
En France, il existe bien un mouvement nommé Génération Jean Paul II, mais son audience est très limitée. Créé, en 2001, par deux jeunes femmes de retour d'un pèlerinage à Rome, il est considéré comme proche des milieux les plus conservateurs.
On aime rappeler, dans l'Eglise de France, que les grands rassemblements ne sont pas une nouveauté de l'ère Jean Paul II. "Les grands mouvements d'Action catholique remplissaient le stade Charléty dans les années 1950" , fait valoir Pierre Gueydier, coordinateur de la pastorale des jeunes à la Conférence des évêques.
Cependant, les responsables de l'épiscopat admettent que les JMJ de Paris, en 1997, ont été un "moment-pivot" , fédérateur. Elles ont permis à des mouvements qui oeuvraient chacun de leur côté de travailler ensemble.
Aujourd'hui, la pastorale des jeunes rassemble toute une palette de courants, depuis les Scouts d'Europe, très conservateurs mais reconnus comme "association d'éducation" par l'Eglise, en juin 2001, jusqu'aux mouvements d'Action catholique, perçus comme progressistes. "Aucun mouvement particulier, aucune communauté nouvelle ne plastronne aujourd'hui. Tout le monde a la volonté de ramer dans le même sens" , insiste M. Gueydier.
On assiste ainsi à un rééquilibrage entre les "mouvements" , en particulier entre les communautés nouvelles, de type charismatique, qui étaient souvent présentées comme le fer de lance de la "nouvelle évangélisation" prêchée par Jean Paul II, et les services chargés traditionnellement d'accompagner les jeunes dans les diocèses. "La dynamique diocésaine a repris confiance en elle" , constate M. Touzel.
"PETIT ESSOUFFLEMENT"
Signe de ce consensus entre les différentes sensibilités dans l'Eglise catholique : la communauté charismatique de l'Emmanuel a rempli un train de pèlerins, le 6 avril, pour assister aux obsèques du pape. Le 22 avril, c'était au tour de la congrégation des assomptionnistes, à travers l'association Notre-Dame-de-Salut, de remplir un convoi ferroviaire pour Rome. Les deux organisations religieuses ont travaillé main dans la main dans ces deux opérations. Les assomptionnistes ont même financé les places de vingt jeunes dans le train de l'Emmanuel.
Anne-Florence Liban, responsable de la communication de Notre-Dame-de-Salut, reconnaît cependant que l'annonce de l'élection du cardinal Ratzinger a provoqué "un petit essoufflement" dans les inscriptions pour assister à la cérémonie d'installation. "Je pense qu'il y aurait eu plus d'enthousiasme si le nouveau pape avait été du Brésil ou d'un autre pays d'Amérique latine" , dit-elle.
Les animateurs de la pastorale des jeunes insistent sur le fait que le principal défi ne vient pas de la personnalité du pape, mais plutôt des formes de pratique religieuse d'une jeunesse très difficile à fidéliser. "Les jeunes ne se sentent plus tenus d'aller à la messe par une contrainte sociale, constate M. Gueydier. Aujourd'hui, un jeune qui va à la messe quatre fois par an se définit comme pratiquant."
Les responsables catholiques ont bien compris que, succès ou pas, les Journées mondiales de la jeunesse n'allaient pas remplir les églises du jour au lendemain.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 10.05.05
Il y a ceux qui assument la référence, et d'autres qu'elle agace. "Oui, je suis de la génération Jean Paul II, reconnaît Raphaële Huard, 23 ans, secrétaire nationale de l'association Chrétiens en grandes écoles. Je porte assez bien cette étiquette. C'est mon pape, j'ai grandi avec lui."
Ghislain d'Alançon, 32 ans, cadre bancaire, récuse l'appellation : "Génération Jean Paul II ? C'est une expression qui me dérange. J'ai aimé ce pape, qui m'a beaucoup apporté. Mais ne retenir que cela voudrait dire qu'il n'y a plus rien après lui."
Là est bien le défi pour les jeunes catholiques, qui ont grandi à l'ombre de la figure tutélaire du pape polonais. Ils ont vécu, de leur propre aveu, des expériences spirituelles fortes au cours de grands rassemblements impulsés par Jean Paul II, comme les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ).
L'avènement du nouveau pape Benoît XVI est perçu comme un test décisif, qui va provoquer une sorte de tri entre ce qui ressort de l'admiration pour Jean Paul II et ce qui appartient en propre à une démarche de foi. Les prochaines JMJ, qui auront lieu à Cologne, en Allemagne, du 11 au 21 août, vont marquer une étape.
"C'est un moment historique, qui va permettre à beaucoup de jeunes de faire la différence entre les JMJ et un "show du pape"" , résume Pierre Touzel, coordinateur national des JMJ 2005 à la Conférence des évêques de France. Le rassemblement de Cologne risque fort d'être considéré comme un baromètre de la popularité du pape Benoît XVI.
L'épiscopat s'est fixé pour objectif de parvenir à une fourchette de 40 000 à 60 000 participants venus de France. Aux JMJ de Rome, en 2000, 80 000 jeunes Français avaient fait le déplacement. Mais ils n'étaient que 10 000 pour les Journées de Toronto, au Canada, en 2002. Cette destination était plus lointaine, et le voyage plus onéreux. Les services de la Conférences des évêques visent donc un juste milieu entre les deux.
PALETTE DE COURANTS
Selon M. Touzel, l'élection du cardinal Josef Ratzinger n'a pas fait fléchir les inscriptions des Français. Au contraire, il y aurait même eu un petit pic, mardi 19 avril, jour où la fumée blanche s'est échappée de la chapelle Sixtine.
L'admiration pour le pape polonais n'a jamais atteint en France les sommets qu'elle a connus en Italie. Dans ce pays s'est même constitué un groupe de "papa boys" , véritable fan-club de Jean Paul II. Un phénomène typiquement italien, semblable à celui des tifosi.
En France, il existe bien un mouvement nommé Génération Jean Paul II, mais son audience est très limitée. Créé, en 2001, par deux jeunes femmes de retour d'un pèlerinage à Rome, il est considéré comme proche des milieux les plus conservateurs.
On aime rappeler, dans l'Eglise de France, que les grands rassemblements ne sont pas une nouveauté de l'ère Jean Paul II. "Les grands mouvements d'Action catholique remplissaient le stade Charléty dans les années 1950" , fait valoir Pierre Gueydier, coordinateur de la pastorale des jeunes à la Conférence des évêques.
Cependant, les responsables de l'épiscopat admettent que les JMJ de Paris, en 1997, ont été un "moment-pivot" , fédérateur. Elles ont permis à des mouvements qui oeuvraient chacun de leur côté de travailler ensemble.
Aujourd'hui, la pastorale des jeunes rassemble toute une palette de courants, depuis les Scouts d'Europe, très conservateurs mais reconnus comme "association d'éducation" par l'Eglise, en juin 2001, jusqu'aux mouvements d'Action catholique, perçus comme progressistes. "Aucun mouvement particulier, aucune communauté nouvelle ne plastronne aujourd'hui. Tout le monde a la volonté de ramer dans le même sens" , insiste M. Gueydier.
On assiste ainsi à un rééquilibrage entre les "mouvements" , en particulier entre les communautés nouvelles, de type charismatique, qui étaient souvent présentées comme le fer de lance de la "nouvelle évangélisation" prêchée par Jean Paul II, et les services chargés traditionnellement d'accompagner les jeunes dans les diocèses. "La dynamique diocésaine a repris confiance en elle" , constate M. Touzel.
"PETIT ESSOUFFLEMENT"
Signe de ce consensus entre les différentes sensibilités dans l'Eglise catholique : la communauté charismatique de l'Emmanuel a rempli un train de pèlerins, le 6 avril, pour assister aux obsèques du pape. Le 22 avril, c'était au tour de la congrégation des assomptionnistes, à travers l'association Notre-Dame-de-Salut, de remplir un convoi ferroviaire pour Rome. Les deux organisations religieuses ont travaillé main dans la main dans ces deux opérations. Les assomptionnistes ont même financé les places de vingt jeunes dans le train de l'Emmanuel.
Anne-Florence Liban, responsable de la communication de Notre-Dame-de-Salut, reconnaît cependant que l'annonce de l'élection du cardinal Ratzinger a provoqué "un petit essoufflement" dans les inscriptions pour assister à la cérémonie d'installation. "Je pense qu'il y aurait eu plus d'enthousiasme si le nouveau pape avait été du Brésil ou d'un autre pays d'Amérique latine" , dit-elle.
Les animateurs de la pastorale des jeunes insistent sur le fait que le principal défi ne vient pas de la personnalité du pape, mais plutôt des formes de pratique religieuse d'une jeunesse très difficile à fidéliser. "Les jeunes ne se sentent plus tenus d'aller à la messe par une contrainte sociale, constate M. Gueydier. Aujourd'hui, un jeune qui va à la messe quatre fois par an se définit comme pratiquant."
Les responsables catholiques ont bien compris que, succès ou pas, les Journées mondiales de la jeunesse n'allaient pas remplir les églises du jour au lendemain.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 10.05.05
<< Home