6.09.2005

Benoît XVI, star éditoriale

LE MONDE DES LIVRES | 09.06.05 | 15h14 • Mis à jour le 09.06.05 | 15h27

Pas moins d'une dizaine de livres sur le nouveau pape, Benoît XVI, ou écrits de sa main, sont déjà sortis en France depuis son élection, le 19 avril. D'autres sont annoncés. C'est d'un phénomène éditorial qu'il s'agit. Les uns s'en réjouiront. D'autres auront des haut-le-cœur. Mais s'il répond à un légitime besoin de connaître la personnalité du nouveau chef de l'Eglise catholique, un tel engouement pour la papauté et pour l'ex-cardinal Ratzinger, décrit par certains comme un "conservateur borné" , a de quoi étonner.
La frontière entre éditeurs "profanes" et "confessionnels" s'est effacée. Mais, s'agissant du pape qui vient de disparaître et de son successeur, celle qui sépare les ouvrages de compilation ou de circonstance et les œuvres originales, documentées et pertinentes, les biographies travaillées et vivantes, ressemble à un abîme.
Coupable, une fois de plus, la précipitation éditoriale. Comme si, à peine connu le nom du nouveau pape, une autre compétition avait commencé pour celui qui serait le premier à publier un "Ratzinger", c'est-à-dire à prolonger l'émotion de la mort du pape, le suspense d'un conclave et l'élection d'un cardinal favori depuis longtemps. D'où l'impression de livres"bricolés" à partir de manuscrits préparés à l'avance, bâtis sur le même plan (les "secrets" de l'élection, les "chantiers" , etc.), sans enquête ni révélation, puisant dans la manne déjà éditée par un préfet de la doctrine romaine qui, heureusement pour eux, fut fort prolixe.
Ainsi ose-t-on présenter comme une biographie (Benoît XVI, les clés d'une vie, de Constance Colonna-Cesari, éd. Philippe Rey, 198 p., 14,90 €) le livre d'une journaliste inconnue à Rome qui réécrit les dépêches d'agence et les articles parus lors du conclave, dépeint l'élection du cardinal Ratzinger comme la machination d'un clan ultraconservateur et détaille avec une assurance désarmante les manœuvres des quatre scrutins. Un cardinal latino-américain aurait obtenu 50 voix ! Le "candidat progressiste" Martini aurait souhaité "un nouveau concile Vatican III" . Que d'erreurs et d'approximations !
Puis il y a ceux qui, sous couvert d'érudition, comme le Benoît XVI, les défis d'un pape, de Bruno Lebec (L'Archipel, 262 p., 18,50 €), sont des ouvrages militants. L'auteur, ancien fonctionnaire du Vatican, habille l'élection du cardinal Ratzinger de longues digressions et leçons, préparées de longue date, distribuées aux jésuites, aux Eglises locales accusées de contrarier l'action du pape, aux "aventuriers de la liturgie", à des personnalités qui ne méritent pas tant d'indignité (Helder Camara, cardinaux Villot, Casaroli, anciens secrétaires d'Etat de Jean Paul II, Mgr Marini, son cérémoniaire). Et il annonce que le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, sera bientôt nommé à Rome, "où il rétablira la réputation de l'ancienne primature des Gaules" . A bon entendeur !
La lecture d'un livre écrit par les deux bons connaisseurs que sont Jacques Duquesne et Giancarlo Zizola (Benoît XVI ou Le Mystère Ratzinger, Seuil, 240 p., 19,50 €) suscite à la fois un grand intérêt et quelques regrets. Le portrait réalisé par le vaticaniste italien illustre la personnalité complexe, parfois contradictoire, de l'homme qui vient d'être élu. Il distingue avec bonheur et précision, dans sa vie et son œuvre, la part de la "relativité" et celle de l'"absolutisme" . Après le pontificat flamboyant, hypermédiatisé de Jean Paul II, il loue le souhait de plus grande intériorité et de recentrage sur la gestion des crises internes à l'Eglise exprimé, depuis son élection, par Benoît XVI.
C'est sans doute le livre qui aide le mieux à cerner la personnalité du pape et la nature des défis qui l'attendent. Mais on s'interrogera sur la construction de cet ouvrage, qui commence par quelques chapitres de Jacques Duquesne sortis d'une documentation très froide inspirée d'une vision de l'Eglise des années 1960 et 1970 qui commence à dater.

IL AURAIT FALLU DU TEMPS

On regrettera donc que les éditeurs aient fait le choix de la compilation plus que de l'enquête. Il aurait fallu du temps, étudier les racines bavaroises du nouveau pape, tenter de comprendre le raidissement de sa pensée après Vatican II, essayer d'expliquer son action à Rome par son conflit originel et personnel avec Hans Küng, son collègue progressiste de Tübingen.
Deux ouvrages méritent pourtant d'être retenus. Celui de Jean-Marie Guénois (Benoît XVI, le pape qui ne devait pas être élu, éd. J.-C. Lattès, 202 p., 17 €), pour l'abondante documentation, précise et vivante, réunie sur l'activité du Vatican, ses rouages internes, les règles du jeu qu'il faut connaître avant de prétendre décrire cet univers si particulier et fermé. Le journaliste de La Croix, qui a été longtemps correspondant à Rome, donne involontairement une leçon de modestie à tous les "vaticanistes" en herbe.
Quant à l'ouvrage de Jean-Claude Petit (L'Eglise après Jean Paul II, éd. Calmann-Lévy, 182 p., 15 €), il se distingue par la conviction qui l'anime. Voici un livre qui ne se prétend pas un portrait du nouveau pape. Avec liberté et justesse, il dresse l'état des lieux de l'Eglise à l'heure de la succession. Tels qu'il les décrit, les dossiers à traiter par Benoît XVI (œcuménisme, collégialité, place des femmes, proximité des pays, catégories défavorisées...) ne sont pas originaux, mais l'ancien patron de La Vie, nourri de son expérience de l'Eglise et de sa foi militante, transmet au lecteur son enthousiasme.
Enfin, on ne saurait trop recommander à qui voudrait connaître le nouveau pape d'aller à la source, c'est-à-dire de le retrouver dans ses œuvres, ses entretiens déjà nombreux parus en France (pour certains depuis longtemps). Et on louera les éditeurs qui avaient vu juste en publiant ce théologien parfois rébarbatif. Parmi les quelque trente ouvrages disponibles en français, on lira ou relira en particulier Le Sel de la terre (entretiens avec Peter Seewald, Flammarion/éd. du Cerf, 1997, 278 p., 20 €). Ou Voici quel est notre Dieu. Conversation avec Peter Seewald, Plon/Mame, 324 p., 19 €.)

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 10.06.05
-->