6.27.2005

Jean-Paul II, la béatification est engagée

La Croix, 28-06-2005

Mardi 28 juin, à Rome, moins de trois mois après son décès, doit débuter l’enquête diocésaine sur la réputation de sainteté de Karol Wojtyla. La route vers la béatification pourrait être longue, malgré les impatiences exprimées lors de ses obsèques
Le doyen des cardinaux avait centré son homélie sur les «oui» successifs de Karol Wojtyla à l’appel du Christ à Simon-Pierre : «Suis-moi !» Pas de doute, ajoutait-il, «notre pape bien-aimé est maintenant à la fenêtre de la maison du Père, il nous voit et il nous bénit».
Puis, comme une conséquence naturelle des mots du cardinal Joseph Ratzinger, des banderoles ont surgi entre les bras de la colonnade du Bernin et sur tous les sites de Rome où l’on suivait sur écrans géants les obsèques de Jean-Paul II : «Santo subito», saint tout de suite !
Toutes les mêmes, toutes écrites de la même façon. Le cri n’était pas tout à fait spontané, mais ce vendredi 8 avril l’émotion étreignait Rome et les catholiques réunis pour prier à travers le monde, et l’appel organisé par les Focolari rencontrait un réel acquiescement populaire.
Le long applaudissement qui avait marqué l’arrivée sur la place du cercueil de cyprès revenait, cette fois, comme une approbation et l’on entendait scander «Santo, santo». Dans une presse italienne qui fait le lendemain matin ses gros titres avec ce «Santo subito», plusieurs cardinaux s’enflamment.
Le cardinal Francesco Marchisano notamment : l’archiprêtre de la basilique vaticane affirme tout de go qu’il a été guéri d’une tumeur à la gorge après avoir été touché par Jean-Paul II. Les miracles supposés ne manquent d’ailleurs pas : un adolescent africain prétend avoir été guéri d’une tumeur après avoir prié avec un chapelet béni par le pape lors d’une audience ; une femme aurait retrouvé la vue après avoir baisé la main de Jean-Paul II lors d’une autre audience.
Même le secrétaire du pape s’en mêle : Mgr Dziwisz parle de la guérison en 2002 de quelqu’un ayant reçu la communion des mains du pape. Mais on est toujours sous le coup de l’émotion : pour être reconnu valide à l’appui d’une cause de béatification, le fameux miracle doit avoir eu lieu après la mort du serviteur de Dieu.

Une pétition signée par de nombreux cardinaux

Plus significative, sans doute, est la pétition qu’ont signée de nombreux cardinaux pendant la période des congrégations générales avant le conclave. Certes 170 des 183 cardinaux vivants à l’ouverture du conclave ont été créés par Jean-Paul II. Mais une telle démarche groupée de cardinaux est tout de même très inhabituelle.
Il y a bien longtemps que l’Église a mis fin aux canonisations populaires du haut Moyen Âge et enquête précautionneusement avant d’autoriser le culte d’un saint. Cela évite emballements et manipulations éventuelles. On est donc quelque peu surpris d’entendre le préfet de la Congrégation des causes des saints lui-même dire au soir de l’annonce de l’ouverture de la cause de béatification de Jean-Paul II : «Vox populi vox dei. Quand le peuple considère qu’une personne est sainte, cela veut dire qu’elle l’est vraiment.»
Le cardinal José Saraiva Martins ajoute même qu’il a ressenti, en regardant parmi les innombrables lettres et e-mails reçus par sa congrégation – «vraiment l’expression d’un sens commun», dit-il – la même impression que pour Mère Teresa.
On y trouve des demandes de nombreux non-croyants ou de croyants d’autres religions qui ne connaissent pas le vocabulaire chrétien, mais demandent quelque chose d’équivalent à la proclamation de la sainteté pour Jean-Paul II.
Le cardinal portugais garde d’ailleurs très bien ses secrets. Le 2 mai, à l’occasion de la présentation d’un livre consacré à «Jean-Paul II et les saints», il dit avoir été heureusement surpris du mouvement populaire pour la cause du pape défunt, mais rappelle qu’il faut «attendre cinq ans après la mort à moins que le pape Benoît XVI dispense de ce délai pour l’ouverture du procès», dispense qui ne changerait d’ailleurs rien au cheminement lui-même de la cause.
«Il faut respecter les temps, dit-il à l’agence de presse Zénith, rechercher toute la documentation et faire les choses pas à pas.» Or, la dispense, il sait parfaitement que le pape va la donner. Le cardinal Camille Ruini, qui en tant que vicaire du pape pour le diocèse de Rome sera chargé d’ouvrir officiellement la cause ce mardi 28 juin à Saint-Jean-de-Latran, est venu la demander lors de sa première audience chez le nouveau pape le 28 avril.

Jamais aucune cause n’a été ouverte aussi vite

«Je voudrais vous donner une information…» Benoît XVI vient de terminer son discours au clergé de Rome réuni le vendredi 13 mai dans Saint-Jean-de-Latran, sa cathédrale diocésaine, pour une première rencontre avec son nouvel évêque. Et le pape commence à lire un texte en latin qui déclenche un tonnerre d’applaudissements. «Je vois que vous savez le latin», plaisante Benoît XVI. Ils le savent suffisamment pour avoir reconnu ce dont il s’agit à travers les mots serviteur de Dieu, Jean-Paul II, béatification et canonisation. Le pape vient d’autoriser l’ouverture du procès diocésain pour la béatification du pape défunt.
Formellement, il s’agit d’un rescrit (réponse à une supplique) du cardinal Saraiva Martins adressé au cardinal Ruini, par lequel il l’informe que «considérant le contexte particulier», le pape «a dispensé du délai de cinq ans après la mort du Serviteur de Dieu Jean-Paul II (Karol Wojtyla), Souverain Pontife, de sorte que la cause de béatification et de canonisation peut s’ouvrir aussitôt».
Antoine de Padoue avait certes été canonisé un an après sa mort, mais depuis que Sixte Quint avait instauré, en 1588, la procédure moderne de canonisation, jamais aucune cause n’a été ouverte aussi vite.
Dans les normes publiées en 1983 à la suite de la constitution apostolique Divinus perfectionis magister, Jean-Paul II avait ramené de trente ans (code de droit canonique de 1917) à cinq ans après la mort du candidat le délai requis pour l’ouverture d’une cause. Mais il avait lui-même transgressé cette règle en autorisant en 1999 le procès diocésain deux ans seulement après la mort de Mère Teresa.
Ouvert officiellement par le cardinal Ruini mardi 28 juin à Saint-Jean-de-Latran, le procès en béatification de Jean-Paul II devrait cependant, s’il est conduit dans les règles, prendre du temps. La procédure, très détaillée et très formelle, prévoit en effet, et dans cet ordre, l’examen de tous les écrits publiés, puis l’audition de tous les témoins susceptibles d’apporter les informations nécessaires.
Les seuls écrits officiels de Jean-Paul II représentent 55 volumes d’actes du Saint-Siège auxquels il faut ajouter ses écrits personnels publiés et sans doute des milliers de lettres et documents privés divers. La Croix pourra ainsi fournir le texte de l’entretien que le pape lui avait accordée en 1997 à la veille des JMJ de Paris.
Mgr Stanislas Dziwisz a, lui, déjà fait savoir qu’il n’avait pas brûlé les papiers personnels du pape, comme celui-ci l’avait souhaité, considérant qu’ils intéressaient tous les fidèles.
Quant aux témoins, le premier d’entre eux sera Benoît XVI lui-même, au titre des vingt-quatre années pendant lesquelles il fut l’un de ses plus proches collaborateurs. Son audition sera sans doute une première. Mais la liste des personnes à entendre pourrait être longue. On la connaîtra mardi 28 juin puisqu’elle sera présentée lors de la cérémonie d’ouverture de la cause, en même temps que sera dite pour la première fois la prière «pour implorer des grâces par l’intercession du serviteur de Dieu, le pape Jean-Paul II».
Celui-ci, qui avait voulu donner aux hommes de ce temps des figures de référence pour mener une vie la plus proche possible de l’Évangile, sera bientôt honoré comme l’une d’elles, lui dont toute la vie, jusque dans sa mort, a été à l’image de ce qu’il enseignait.

Yves Pitette, à Rome
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