6.17.2005

Le style Benoît XVI

RELIGION Les inflexions spirituelles du pontificat

PAR GIANCARLO ZIZOLA *
[Le Figaro, 17 juin 2005]

Les observateurs les plus favorables ne cachent pas une certaine déception. Après le règne éblouissant du pape Wojtyla, nous sommes confrontés à la sobriété du nouveau style imprimé par Benoît XVI à la papauté. Pourtant, ce dernier tient ainsi la promesse de son premier discours aux cardinaux : le rôle du pape, c'est d'abord «de faire resplendir la lumière du Christ, et non pas la sienne propre». Il ne s'agit pas seulement de propos rhétoriques, mais d'une vision de l'Eglise.
«Diminuer» la stature du successeur de Pierre est décisif non seulement pour réformer, dans un sens collégial, la monarchie absolue du Pontife Suprême, mais encore pour faire quelques progrès en matière oecuménique. Dès à présent, l'attention des observateurs est tournée vers le synode des évêques en octobre, consacré à l'Eucharistie – une bonne occasion, si le Pape veut affirmer le rôle fraternel des évêques dans le gouvernement de l'Eglise. On assiste aux premiers mouvements sur le front des rapports avec les Eglises séparées de Rome : un synode des évêques catholiques et des évêques orthodoxes a en effet été mis en chantier à l'occasion du congrès eucharistique de Bari, où Benoît XVI a, le 29 mai, rappelé la nécessité de «mesures concrètes» et pas seulement de «bons sentiments» pour sortir de la crise avec les orthodoxes.
Les voies du dialogue avec le Patriarche Alexis II ont du reste été rouvertes après une décennie de tensions entre Rome et Moscou.
Durant les cinquante jours qui ont suivi son élection, le 19 avril, Benoît XVI n'a pas manqué d'occasions pour marteler la continuité avec Jean-Paul II. Mais, comme on l'a vu notamment lors du discours au Corps diplomatique, si les plats au menu sont les mêmes, la cuisine est différente, et les condiments de l'Allemand ne sont pas ceux du Polonais. Ratzinger est plus proche de saint Augustin avec la valeur qu'il assigne au désir de bonheur, à l'inquiétude présente au coeur de l'homme : «Le Christ est intéressant parce qu'il répond à un désir de bonheur total.»
Par rapport à son prédécesseur, Benoît XVI est engagé dans une campagne d'approfondissement et de recherche, mais aussi d'exploration et de réflexion sur l'héritage complexe qui est le sien, en vue d'ouvrir de nouveaux chantiers. Après la «démesure» de Wojtyla, voilà donc arrivée l'heure de la modération. Le premier voyage à Bari a duré une matinée, le temps de la messe, et à l'heure du déjeuner le Pape était déjà rentré chez lui. Durant son discours, il avait interrompu les salves d'applaudissements, montrant encore une fois à quel point elles lui étaient désagréables. Ce ne sont pas les masses, mais les consciences qui l'intéressent. Ramener à la foi chrétienne les nouveaux analphabètes d'origine chrétienne, les nouveaux païens, les indifférents non moins que les fanatiques : et dans cette mission, que Ratzinger préfère de loin, il insiste sur la nécessité du dialogue entre la foi et la raison moderne.
L'annonce du processus de béatification de Jean-Paul II, lors du discours au clergé romain du 13 mai, déroge certes à la règle canonique de l'intervalle de cinq ans. Mais il ne faut pas se tromper sur l'interprétation de cette décision. En réalité, elle sert avant tout à canaliser et à ramener dans le système institutionnel de l'Eglise le formidable courant d'enthousiasme suscité par Jean-Paul II. Le lancement de la cause, qui ne signifie pas une béatification les yeux fermés, contribuera plutôt à privilégier une approche historique de la personnalité et de l'action complexes de Wojtyla, ainsi qu'à éclairer ses contradictions internes. Le Pape Benoît XVI souhaite aussi conjurer les risques d'une dérive nostalgique et incontrôlée des «disciples» de Jean-Paul II et réinvestir dans le vécu interne de l'Eglise leurs énergies spirituelles, ou éviter qu'ils ne tombent dans des cultes privés illégitimes et des souhaits puérils de miracles. La nomination de l'ancien secrétaire personnel de Jean-Paul II, Mgr Stanislas Dziwicz, comme archevêque de Cracovie peut aussi être interprétée en ce sens, car nombreux étaient ceux qui connaissaient la puissance du personnage et son désir de rester au Vatican comme préfet adjoint de la Maison pontificale.
La priorité que donne le Pape à l'approfondissement spirituel plutôt qu'aux aspects typiques d'un «régime de chrétienté» s'est manifestée clairement dans le discours du 30 mai aux évêques italiens, pris dans la campagne pour l'abstention des catholiques lors du référendum pour l'abrogation de la loi sur la procréation assistée. Malgré les pressions, le Pape a demandé aux évêques de s'en tenir à leur compétence propre pour «éclairer et motiver le choix des catholiques», et il s'est gardé d'appuyer la violente «croisade» en cours. Aux élèves de l'Académie ecclésiastique, l'école des futurs nonces, il a rappelé que le premier devoir d'un diplomate pontifical est de porter la solidarité du successeur de Pierre «à tous ceux qui font partie du troupeau du Seigneur, en particulier aux sans-défense, aux faibles, aux laissés-pour-compte». Les nonciatures doivent se mettre au service des Eglises locales, pour rendre plus «intenses et efficaces» les liens de communion entre les Eglises particulières et le Siège apostolique : il touchait là un point crucial de l'agenda pontifical, à savoir la priorité des critères religieux par rapport aux critères politiques, les limites à poser au centralisme du Vatican et des relations meilleures à rétablir entre Rome et les épiscopats nationaux.
Pour discrètes qu'elles soient, et même invisibles pour la plupart, les inflexions qui précèdent donnent probablement le ton du pontificat qui commence.

* Vaticaniste, auteur, avec Jacques Duquesne, de BenoîtXVI ou le mystère Ratzinger (Desclée de Brouwer/Seuil).
-->